Une irrésistible force me pousse à réagir devant les récents développements en Algérie. Que ce soit la position de l'ANP annoncée dans El Djeich du 10 mars, ou le lancement d'une pétition pour un appel au retour de Liamine Zéroual, ou encore la psychédélique proclamation écrite (El Watan du 11 mars) attribuée au président Bouteflika… à peine revenu d'un séjour de soins pour des problèmes lourds, il rédige – ou dicte –, dans l'état qu'on lui connaît, une si longue proclamation ! Décidément, les faiseurs de miracles algériens n'ont pas de limites. En premier lieu, j'aimerais saluer l'annonce par notre armée dans son communiqué d'El Djeich (10 mars), affirmant le positionnement clair de l'ANP «aux côtés du peuple». Il était temps. Personnellement, je ne vois pas de chemin vers une sortie de cette «crise», puis vers la mise en place de conditions d'un futur sain pour l'Algérie, sans l'implication de l'ANP et de ses officiers les plus intègres et patriotes, dans le cadre strict dévolu à toute armée soucieuse de démocratie et de bien du peuple. C'est l'institution qui a le devoir et le pouvoir de veiller au respect des demandes du peuple, à la mise en place, dans l'ordre et la paix et sans «magouilles», des jalons de la mise sur les rails d'une nouvelle République. Sans être elle-même partie prenante, ni partisane, bien entendu. Condition sine qua non pour la légitimité du rôle qu'elle est appelée à jouer : celui de «garant neutre et désintéressé» du maintien de l'état de paix et de «bon et honnête» déroulement du processus de renaissance politique – et économique – du pays. En second lieu, je me permets, au sujet des pétitions et annonces du Président évoquées plus haut, de mettre énergiquement notre peuple et notre jeunesse en garde contre les aspects «récupération passéiste» grossiers de telles démarches, contre lesquelles je m'inscris totalement en faux ! Tout le terrain qui a été gagné jusque-là (et de manière si miraculeusement mature et sage) risque d'être perdu, ainsi que tout ce qu'il portait comme espoirs de vrai renouveau pour le pays. Nul ne doit être dupe. Comment espérer d'un ancien membre (que ce soit L. Brahimi, L. Zéroual ou autre) à part entière de ce «système», que le peuple veut voir dégager, un quelconque espoir de changement un tant soit peu radical, quelles que soient les valeurs intrinsèques de la personne ? Cette personne ira, au mieux, pêcher des «ressources» dans quelques recoins jusque-là non – ou peu – utilisés des étangs qu'elle connaît déjà : ceux du «système» honni ! Est-ce là le changement que veut le peuple ? Ensuite, que dire de cette hallucinante déclaration dite du Président et qui reprend, en formes et mots différents, la même tentative criminellement attentiste et de gain de temps ? C'est ce qui a été proposé auparavant (maintien de Bouteflika en place pour un an) et devenu à présent sine die – en plus d'être inconstitutionnel ! On nous propose de mettre en place un processus de changement… confié à des gens qui font partie de ce qui doit changer ! Quel cynisme… On nous parle de «commissions» et de «gouvernement de compétences» ; mais, où étaient-elles donc cachées jusque-là toutes ces personnes et ces ressources/commissions soudainement si propres et compétentes ? On nous propose de gérer entre soi une «transition» qui, miraculeusement (en dépit de cet «entre-soi») accouchera d'une «nouvelle République» s'appuyant sur une «tête de pont» avec des éléments aussi proches, sinon parties du système que les Algériens veulent voir disparaître ! Tels que M. Brahimi ou les personnes nommées Premier ministre et Premier ministre en second ! Personnellement, je reçois cela comme une insulte (une de plus) à l'intelligence de notre peuple. Je crains si terriblement que l'Algérie ne passe à côté de ce providentiel rendez-vous avec l'histoire ! Je crains que ce ne soit l'ultime chance. L'ultime chance de mettre, enfin, entre les mains de son peuple l'Algérie et son destin. De grâce, ne la ratons pas. La seule instance légitime pour la désignation des «compétences», institutions, «ressources» (provisoires, transitoires…), préparatrice d'un changement aussi radical que celui que réclame le peuple – encadré, garanti et protégé par une armée strictement non partisane – c'est le peuple algérien et nul autre ! Par plébiscite, par référendum ou suffrages à travers les réseaux sociaux, etc. Personnellement, j'oppose un fort et catégorique «non» à ces méprisantes mesures dilatoires ! Fini le temps des manœuvres et des manipulations ! Dehors à tout ce qui a peu ou prou gravité, de quelque façon que ce soit, avec et autour de ce «système» dont nul Algérien ne veut. Ni pour un an, ni pour un mois, ni pour une fraction de mandat. Ce que je vois de plus faisable, concrètement et dans l'immédiat (avant d'entrer dans un processus tel que celui de la «feuille de route» que j'ai proposé dans mon dernier texte paru dans El Watan du 10 mars) : notre ANP pourrait s'entendre sur (1)la désignation d'un groupe d'officiers à intégrité et compétences indiscutables, groupe qui (2) avec l'appui de la vox populi (réseaux sociaux, «leaders» de manifestations), de représentants des vraies forces de l'opposition (partis irréprochables, syndicats autonomes…) et (3) d'un «comité de sages» parmi les personnalités «historiques» ou «publiques», «intellectuels»… indemnes de toutes connivence avec le «système» pour aboutir au plus vite à (4) la constitution d'un gouvernement d'urgence nationale (dont aucun membre ne devrait être soupçonné de la moindre accointance passée ou présente avec le «système»), lequel gouvernement (5) mettrait sur les rails le processus de la feuille de route sur laquelle il semble y avoir large consensus : le chemin vers une seconde République ! En toute fraternité, vive l'Algérie libre et démocratique, vive le peuple algérien ! Par Omar Aktouf , PhD. Professeur titulaire – HEC Montréal