spécialiste en droit constitutionnel D'abord quelques évidences. Aller vers l'élection d'un président de la République le 4 juillet prochain, c'est aller vers l'élection d'un dictateur constitutionnel. En effet, dans la Constitution actuelle, le président est responsable des affaires étrangères et de la défense nationale, nomme walis et généraux sans contreseing ni contrôle, est seul à être à l'initiative du référendum, prend des ordonnances en période d'intercession parlementaire, dispose du pouvoir réglementaire autonome, peut opposer un veto aux lois adoptées par le Parlement, dispose d'un veto indirect par la nomination d'un tiers des membres du Conseil de la Nation, peut décréter l'état d'urgence, l'état de siège et l'état d'exception sans aucun contreseing ni contrôle excepté des consultations qui ne le lient pas, etc. et surtout, ce qui permet de reconnaître immédiatement la dictature, il est seul à être à l'initiative de la révision de la Constitution, ce qui en fait le souverain réel là où le peuple n'est qu'un souverain formel, alors qu'il est à la fois irresponsable politiquement et pénalement, ce qui lui permet de violer la Constitution à son aise, en sachant qu'il ne la viole même pas en réalité puisqu'il est garant de la Constitution et interprète de ses propres actes. Aller vers de telles élections conduirait donc, pour le peuple, à aliéner sa souveraineté au profit d'un zaïm tout puissant constitutionnellement. Que faire ? Abroger une telle constitution non constitutionnaliste, c'est à dire n'appliquant pas le principe de séparation des pouvoirs, paraît ainsi comme une nécessité absolue afin de permettre au peuple de recouvrir sa souveraineté, à commencer par son pouvoir constituant. Une telle abrogation ne produira pas de vide juridique, puisque la période de transition pourra être gérée par une petite constitution provisoire en proposant au peuple ou bien de continuer avec cette constitution qui le prive de sa souveraineté ou bien d'aller vers une constituante afin de la recouvrir, le référendum prévoyant le cas échéant une petite constitution (voir à ce sujet la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945 à titre d'exemple). Faire rédiger la Constitution par un comité d'expert n'est pas une procédure démocratique, d'autant plus que toutes les constitutions non constitutionnalistes depuis 1963 ont été rédigées par des experts au profit de l'exécutif. Comment recouvrir cette souveraineté ? Par une Assemblée constituante à même de permettre au peuple d'élaborer sa propre constitution, sans aliéner sa souveraineté, cette Assemblée pouvant consulter des experts sans que ceux-ci ne la lient dans ses décisions. L'Assemblé constituante, revendication historique du nationalisme algérien réclamée, en même temps que l'indépendance de l'Algérie, dès 1927 par l'Etoile nord-africaine lors du Congrès anti-impérialiste de Bruxelles, doit être une priorité pour le gouvernement provisoire, quitte à ce que celui-ci prenne six mois ou un an afin de réunir les conditions favorables à sa mise en place : revoir les listes électorales, décider des modes de scrutin les plus représentatifs de la population et mettre en place de vastes programmes de sensibilisation de celle-ci aux enjeux constitutionnels. Le peuple conservera sa souveraineté, notamment en ayant décidé par référendum de la réunion de cette Assemblée constituante, en adoptant ou rejetant par référendum la proposition de constitution élaborée par cette même Assemblée et en pouvant réviser en tout ou en partie cette Constitution par référendum d'initiative populaire. Quant à l'urgence économique, le gouvernement provisoire pourra durant la période de transition légiférer par ordonnances, ordonnances que l'Assemblée constituante pourra ratifier afin de leur conférer une légitimité démocratique. Cette Assemblée pourra elle-même être « nationale constituante », c'est à dire adopter les lois ordinaires, y compris donc sur le plan économique, en même temps qu'elle élaborera la Constitution. Une assemblée est beaucoup plus à même, par la diversité de ses compétences, de gérer la situation économique du pays, plutôt qu'un zaïm dont l'intelligence seule permettrait de résoudre l'ensemble des problèmes du pays. Il convient ici de mettre en garde contre les dangers du présidentialisme. C'est en effet vers l'élection d'un assemblée constituante qu'il faudrait d'abord aller. Celle-ci pourra alors choisir si oui ou non le pays a besoin d'un président, élu au suffrage universel direct, au risque du césarisme, ou élu par l'assemblée, afin de garantir la préséance de cette dernière, ou bien vers un exécutif collégial de type directorial qui favoriserait un gouvernement consensuel. La croyance dans le présidentialisme est un habitus qu'il faut déconstruire tant celui-ci paraît dangereux dans la transition démocratique. En effet, la croyance en l'homme providentiel qui, mieux que la communauté, saurait tout, pourrait tout, verrait tout et serait partout est évidemment sur le plan politique une croyance archaïque et superstitieuse qui conduit inéluctablement à la déception et favorise les dérives autoritaires. Plutôt que de succomber à l'idole paternaliste du président en faisant du zaïm le bouc émissaire responsable unique de tous les maux de la société, la maturité politique serait celle d'un peuple réellement souverain et ainsi lui-même responsable collectivement de ses propres choix politiques. L'Algérie souffre particulièrement de l'habitus présidentialiste par son passé autoritaire et par l'influence jouée par la dérive présidentialiste des institutions de la Ve République dans l'ex-puissance coloniale. Or, il suffit de sortir de l'Hexagone pour se rendre compte que la présidentialisme n'est pas une fatalité. Ainsi, dans un certain nombre de pays marqués par les totalitarismes et autoritarismes du XXe siècle, le chef de l'Etat est effacé. Il en est ainsi en Allemagne, anciennement marquée par le nazisme, et en Italie, anciennement marquée par le fascisme, où le président n'est pas élu au suffrage universel direct, alors qu'en Espagne, anciennement marquée par la franquisme, le roi est encore moins puissant que la reine d'Angleterre. Quant à la Suisse, pays de vieille tradition démocratique, il n'y a pratiquement pas de président, mais un exécutif collégial, un directoire de sept membres parmi lesquels le Parlement suisse choisit pour un an, non renouvelable l'année suivante, un président honorifique, primus inter pares, premier parmi ses pairs. Loin d'une vision essentialiste qui condamnerait l'Algérie, paradoxalement pays des tajmaat-s, au despotisme oriental, celle-ci est au contraire libre de s'émanciper du présidentialisme qui a caractérisé son passé récent et la pratique des institutions de la Ve République de l'ancienne puissance coloniale, et ce au profit de son propre modèle qui permettrait au peuple d'être souverain réel et non formel, en concrétisant ainsi les revendications portées par la rue algérienne.