IDDIR NADIR 26 MAI 2019 EL WATAN Recours à la violence pour réduire la contestation populaire. Un dispositif policier impressionnant a été déployé, vendredi, dans le centre-ville d'Alger. Des barrages filtrants avaient également été dressés à l'entrée de la capitale, particulièrement sur l'autoroute de l'Est, où des véhicules sont systématiquement fouillés : leurs occupants se sont vu confisquer leurs drapeaux et leurs pancartes sur lesquelles sont inscrits des slogans hostiles au régime, avant d'être conduits vers différents commissariats de la capitale. Des dizaines de citoyens, parmi lesquels de nombreux militants politiques et associatifs, ont été interpellés et embarqués dans des fourgons vers des destinations inconnues. «Moi, j'ai été interpellé à ma descente du taxi à la Grande-Poste par deux policiers. A croire qu'il m'attendait à cet endroit. Ils ont fouillé mon cartable, où je garde mes documents de militant du FFS. L'un des agents m'a lancé un gros mot. J'ai répondu sans ciller que je suis là pour rejoindre la marche, comme chaque vendredi depuis le 22 février. J'ai été alors poussé dans un fourgon avec un groupe de personnes, dont certaines âgées de plus de 65 ans. Les policiers nous ont humiliés et maltraités. J'ai vu des vieux très affectés, l'un d'eux est un diabétique, un autre marchait difficilement avec sa canne. J'ai vu aussi un jeune qui a dû être hospitalisé après deux crises d'épilepsie au commissariat», raconte Bouider Hmimi Ahmed, militant FFS, embarqué pour le deuxième vendredi consécutif. Les manifestants arrêtés à la Grande-Poste seront gardés au commissariat de Birtouta de 10h jusque vers 16h30. Malgré leur insistance, ils n'ont pas pu contacter leurs familles, leurs portables leur ont été confisqués. «Une fois embarqués, les policiers nous ont emmenés à Birtouta dans un fourgon cellulaire. On était 19 personnes. Certains sont vieux et malades. Nous sommes restés là-bas jusqu'à 17h. Le seul grief c'est d'avoir un drapeau algérien ! Au commissariat, on a protesté contre ces accusations et la prolongation de notre détention arbitraire. Les policiers nous disaient que ce sont les ordres, avant de nous d'affirmer que c'est pour notre sécurité, puis après pour des raisons d'Etat. On n'a même pas eu le droit d'appeler nos familles. La majorité des personnes qui étaient là sont mariées avec enfants, et des grands-pères. Personnellement, j'ai interpellé un officier en lui disant : une vérification d'identité ne prend pas 8 heures, notamment avec les moyens technologiques dont dispose la police. Ce corps parle depuis 20 ans de modernisation avec un budget colossal. Les policiers peuvent vérifier notre identité en deux minutes. Moi, je n'ai pas été maltraité. Mais il y avait un vieux qui a été bousculé lors de son arrestation», constate Samir Larabi, journaliste et militant du PST. «Déterminés à occuper la rue» H'mimi et son camarade ont improvisé une conférence politique au commissariat de Birtouta et lançaient par moment les slogans fétiches du hirak : «Trouhou ga3, tatnahaou ga3 !» (Vous dégagerez tous). Les personnes interpellées ont été transférées vers un commissariat de Ouled Chebel, plus au sud d'Alger, où s'entassaient au moins 70 personnes originaires de diverses régions du pays : Biskra, Annaba, Bouira, Alger… La police, qui a dû recevoir des ordres, les a libérées à un quart d'heure de la rupture du jeûne (iftar). «Nous n'avons pas pu contacter nos familles. C'est illégal toute cette procédure. Mais c'est aussi immoral. Moi, je suis de Aïn Arnat (Sétif) et d'autres de Bouira…» s'offusque H'mimi. Une fois libérées, les personnes se rendront dans un restaurant de la Rahma de la localité avant de louer les services de «clandestins» pour rentrer sur Alger. Député du RCD, Athmane Mazouz, qui a visité quelques commissariats de la capitale avec ses camarades du parti, signale qu'il y avait des «centaines de personnes interpellées». «Elles étaient réparties sur plusieurs commissariats d'Alger. Souvent des jeunes, l'opération visait à ficher et à intimider les protestataires pour les dissuader de prendre part aux marches. Des dérapages ont eu lieu lors des interpellations et un enfant de 9 ans a été embarqué dans un fourgon cellulaire en compagnie de son père, ce qui est une atteinte grave à l'enfance. La semaine dernière, j'ai eu à constater de visu plusieurs blessures sur des personnes interpellées, dont se sont rendus coupables des agents des services de sécurité que j'ai d'ailleurs dénoncés le jour même», détaille le député. Pour lui, les jeunes interpellés sont «déterminés» à occuper la rue jusqu'à l'aboutissement de leurs revendications. «J'ai rencontré des personnes arrêtées par des policiers durant deux vendredis successifs, ce qui démontre leur détermination absolue. Ce qui m'a le plus marqué, c'est la volonté de ces jeunes à revenir chaque vendredi. Un père de famille interpellé m'a confié qu'il avait l'habitude de marcher seul, et que désormais avec ce qui lui est arrivé, il reviendra chaque semaine en famille», relève-t-il.