MERCREDI 21 AOÛT 2019 L'Histoire nous incline toujours à la prudence lorsqu'on évoque l'avenir d'une révolution populaire en cours. Ce n'est toutefois pas invraisemblable de constater que rien ne pourra plus être comme avant dans notre pays. Beaucoup de bonnes raisons laissent croire au début de la fin du pouvoir militaire en place depuis l'indépendance. Six mois après le départ du Hirak, tous les leviers qui ont toujours permis au pouvoir de se maintenir ou de rebondir sont devenus inopérants ou peu efficaces.Le pouvoir dans sa gestion du pays a toujours laissé libre-cours à son désir d'emprise absolu sur la société, sans limite que donne la conscience humaine, sans sentiment de culpabilité et sans aucune autre ambition que celle de « la conspiration permanente » contre le peuple (selon le mot de Balzac). Depuis toujours, il a eu recours aux mêmes manœuvres, aux mêmes combines et aux mêmes techniques de propagande et de désinformation pour soumettre le peuple et créer « la fabrique du consentement » selon l'expression de Walter Lippman.Convaincu que le peuple algérien était installé pour l'éternité dans la soumission et de ce que La Boétie appelle « la servitude volontaire », le pouvoir n'a pas pu voir la colère du peuple qui enfle depuis des mois. Les centaines d'actions populaires revendicatives menées sur l'ensemble du territoire, bien avant le début du Hirak, étaient en réalité les signes avant-coureur de ce qui s'ébauche et mûrit de façon souterraine. Les revendications populaires qui concernaient les droits les plus élémentaires (logement, l'eau, chômage…) étaient réprimées, ignorées ou accueillies par des discours gorgés de paroles méprisantes et insultantes. Le 22 février était le point de confluence de toutes ces actions disparates, avec sa réussite un tournant décisif est pris. Une fois la peur vaincue, c'est tout un univers mental qui bascule. C'est l'irruption salvatrice du peuple dans l'espace public. Depuis 6 mois, chaque vendredi, chaque mardi, des centaines de milliers de personnes convergent dans les rues de la quasi-totalité des villes algériennes. Une révolution populaire pacifique qui s'accompagne d'une maturation politique accélérée, chacun avec ses mots exprime une même perception d'un système politique militaire, autoritaire, mafieux et corrompu. Depuis sa naissance, le Hirak remplit une fonction de socialisation des citoyens à une culture civique et démocratique. Il a sécrété des façons d'être, de s'exprimer, de lutter. Dans une ambiance joyeuse et fraternelle, chacun prend soin de l'autre, de ce qui l'entoure. Les gens se chargent des ordures, ballaient les trottoirs, dessinent, inventent des slogans et des chansons fabuleuses. Pour tous les algériens c'est un vrai ravissement et une grande fierté! Ce fût aussi, une surprise pour le monde entier de voir que ce pays moqué et caricaturé par l'image d'un président momifié est désormais un pays avec un peuple admirable par son pacifisme, son civisme, sa sagesse et sa haute maturité populaire. L'ampleur, la durée, la détermination et le caractère pacifique du Hirak déstabilisent le pouvoir. Une révolution pacifique qui mobilise différentes couches sociales, différentes générations, des courants politiques de tous bords et couvrant toutes les régions du pays. Cela prive le pouvoir de toute cible décisive, il n'a aucune tête à couper pour que tout s'arrête. Alors que le Hirak trouve dans cette hétérogénéité le ressort même de son expansion.Aujourd'hui, il y'a d'un côté un Hirak aguerri, déterminé et immunisé contre les tentatives de manipulation et de l'autre, un pouvoir machiavélique défaillant, discrédité, périmé et incompétent.Dans un tel contexte, il serait plus facile pour le pouvoir mafieux de faire passer un chameaupar la serrure d'une porte que d'organiser une élection présidentielle. L'option du recours par le pouvoir à la solution de la violence et la répression sanglante est également difficile à envisager. En effet, lorsque l'on regarde la cartographie des manifestations et le profil des manifestants, ce sont toutes les régions du pays, toutes les générations et toutes les professions qui sont concernées. Une question se pose alors : qui parmi les Algériens – du simple djoundi, policier ou gendarme jusqu'aux officiers supérieurs – ne risque pas d'avoir un proche ou un membre de sa famille dans la foule si on lui donne l'ordre de tirer ? Il reste alors l'espoir de voir la situation intérieure de l'armée évoluer dans un sens favorable pour une vraie solution politique. Cet espoir ne cessera de grandir tant que le Hirak gardera sa ligne pacifique pour atteindre son unique objectif stratégique : le départ du système mafieux et l'organisation d'une transition démocratique.