EL WATAN Après 8 mois de manifestations, il faut bien voir où en est notre pays. En politique, comme en toute chose, les évidences sont à regarder en face et il est encore nécessaire de répéter que l'Algérie a besoin de changement ; elle a besoin d'un changement qui dit bien son nom, c'est-à-dire un changement radical qui doit la conduire à un nouveau système politique et à de nouvelles perspectives pour l'avenir du pays. Il faut le reconnaître et l'accepter : c'est bien à une Révolution que nous assistons depuis le 22 février ; c'est une révolution pacifique qui ne demande pas moins qu'un vrai changement, un changement qui est devenu un besoin politique, social, économique et culturel. Les Algériens ont besoin de liberté, ils veulent respirer un autre air et connaître un autre destin pour leur pays. Chaque mardi et chaque vendredi, des millions de manifestants rappellent aussi qu'on ne fait pas une révolution uniquement pour une élection, aussi importante soit-elle, aussi urgente soit-elle, qui ne garantit pas une alternance politique. Depuis 8 mois, ces millions de manifestants pacifiques disent qu'ils ne font pas la révolution pour détruire les institutions de l'Etat, mais pour remettre de l'ordre là où les institutions défaillantes ont conduit à l'échec. On fait une révolution pour un Etat de droit ; on la fait pour que soient garanties les libertés individuelles et collectives. Plus leur voix ne sera pas entendue, plus la sortie de crise s'éloignera. Alors que les revendications se renouvellent depuis 8 mois, la seule alternative qui est encore imposée par les «décideurs» reste une élection présidentielle avec toutes ses incertitudes. Aujourd'hui, comme depuis 8 mois, les réponses aux revendications des manifestations sont en retard d'un rendez-vous historique pour notre pays : retard pour abandonner l'idée du 5e mandat ; retard pour exiger le départ de Abdelaziz Bouteflika, retard pour une transition hors du système, retard pour aller vers un vrai changement de système. Plus encore, à l'engagement annoncé durant les premiers vendredis d'accompagner le mouvement populaire, succède un dispositif répressif qui procède par une restriction des libertés d'expression et de réunion, par les arrestations d'animateurs directs ou supposés du hirak, par l'arrestation d'étudiants et par la chasse aux porteurs de l'emblème amazigh, jetés tous dans les prisons ou envoyés devant les tribunaux. Toutes ces arrestations et les tentatives de diviser le hirak, en désignant des boucs émissaires, resteront les taches noires dans la gestion de la «Révolution du Sourire». La solution attendue pour sortir de cette situation est une solution politique qui ne se réduit pas à un simple dépoussiérage de l'ancien système pour assurer sa continuité et le recyclage de son personnel. Or, toutes les décisions prises jusqu'ici suivent les pratiques de cooptation usées de l'ancien système. Le panel a été désigné pour acquiescer à la décision d'organisation de l'élection présidentielle sans préalable, ni discussion ; et, la commission d'organisation de ces élections ne peut se prévaloir que du soutien des adeptes du 5e mandat. Ces pratiques ne peuvent contribuer qu'à assurer une succession à l'intérieur du système ; elles ferment la porte à toute perspective politique nouvelle. Les candidatures à ces élections le témoignent, encore plus s'il le fallait, de l'impasse vers laquelle irait notre pays par la reconduction du système et de ses méthodes. Personne ne veut, pour notre pays, un nouvel échec après celui du 4 juillet dernier. C'est pourquoi il faut anticiper sur les problèmes à venir. C'est un devoir de lucidité que de revenir à la recherche d'un consensus démocratique qui conduira à une véritable solution politique. Pour cela, il faut engager un nécessaire dialogue ; un dialogue qui a ses valeurs et ses vertus, un dialogue qui ne souffre d'aucune restriction pour être capable d'envisager toutes les éventualités. L'idée d'une transition n'a jamais été un caprice ou une lubie, mais une étape nécessaire pour mettre en place un dispositif politique conduisant à une réforme institutionnelle globale, par de nouvelles élections, à tous les échelons de la vie politique. Il n'est pas trop tard pour annoncer : – des mesures d'apaisement qui garantissent toutes les libertés ; – l'élection d'une nouvelle Assemblée capable de donner un socle incontesté et incontestable à la démocratie ; – la nomination d'un gouvernement qui portera les idées de changement ; – un Conseil national de transition qui préparera une élection présidentielle qui a besoin d'une période transitoire pour garantir la sérénité nécessaire à un tel rendez-vous. Le report de l'élection présidentielle sera un acte salutaire pour le pays. Ceux qui prendront cette décision répondront aux appels des citoyens et anticiperont sur un échec d'élections sans adhésion populaire ; ils assureront un climat de sérénité et de paix pour un changement démocratique et un projet de société fondé sur les valeurs de liberté et de solidarité nationale. Par Mohamed Lahlou , Professeur d'université, professeur honoraire