MIS EN LIGNE LE 4/12/2019 À 18:02 BILLET d'humeur PAR BAUDOUIN LOOS Pour l'armée algérienne et son chef Gaïd Salah, tous les moyens sont bons pour pousser la population à voter à la présidentielle du 12 décembre, y compris les insultes les plus grossières. Sale temps pour les régimes corrompus dans le monde arabe. D'Alger à Bagdad en passant par Beyrouth, ça bouge, ça grince, ça tangue. Ça révolutionne pacifiquement. Les régimes, eux, s'accrochent. Qui par la violence, qui par la perfidie. Prenons le cas emblématique de l'Algérie. L'armée, qui se cachait depuis l'indépendance de 1962 derrière une façade civile, se trouve contrainte à assumer son vrai rôle. Son chef, le général Ahmed Gaïd Salah, n'est que vice-ministre de la Défense et, pourtant, son comportement montre qu'il a pris la tête de l'Etat depuis que les foules innombrables de ses concitoyens, mobilisées depuis le 22 février, ont congédié le président sortant Abdelaziz Bouteflika que l'armée voulait prolonger jusqu'à ce que mort s'ensuive. Or donc Gaïd Salah s'agace. Il dit vouloir préserver la stabilité du pays et de ses institutions. Depuis avril, il a déjà tenté par deux fois d'organiser une élection présidentielle. Echec en avril. Echec en juillet. Mais cette fois, pas de doute, l'armée aura «son» président le 12 décembre : l'élection aura lieu, cinq candidats tous labélisés «régime compatibles» se présentent. Il reste pourtant un gros «hic»: les Algériens, dans leur immense majorité, hurlent leur rejet de cette procédure électorale cousue de fil blanc destinée à élire, comme toujours, un civil-feuille de vigne du régime. La campagne se passe mal. Les candidats recueillent au mieux une belle indifférence, au pire des sarcasmes sinon des insultes. C'est clair, les isoloirs resteront isolés. Alors, le régime convoque ses derniers artifices. Ce qui marche souvent bien en Algérie, c'est le recours au réflexe patriotique. Et son corollaire: la non-ingérence. Le Parlement européen, justement, vient d'adopter le 28 novembre une résolution qui s'inquiète pour les libertés en Algérie. C'est l'occasion rêvée: tous les volontaires mobilisables se sont ébroués pour dénoncer comme l'a dit Gaïd Salah lui-même «ces graves machinations qui se trament dans les laboratoires de la conspiration à l'étranger». Il a dit cela sans rire – d'ailleurs il ne rit jamais. Le pompon? Le vainqueur absolu du prix du plus ridicule, du plus vulgaire et du plus fétide ? Il sera sans conteste décerné au ministre de l'Intérieur, Salah-Eddine Dahmoune, chargé par ses maîtres de lire ce 3 décembre une diatribe turpide devant la chambre haute du parlement: «Malheureusement, il subsiste une pensée colonialiste qui utilise certains Algériens. Ou plutôt des pseudo-Algériens, des traîtres, des mercenaires, des pervers, des homosexuels. Nous les connaissons.» Pour conclure: «Nous devons être unis et donner une leçon, le 12 décembre, pour démontrer l'unité du peuple algérien et protéger notre indépendance». Les gens visés ne sont que quelques millions, tout au plus. D'ailleurs, à voir les réseaux sociaux indignés, un certain nombre de manifestants se sont sentis visés par ces grossièretés. Il y a donc gros à parier que la manœuvre de propagande entrera bientôt dans ce grand livre de la collection Pour les nuls intitulé L'art de se tirer une balle dans le pied.