Je publie cette interview ici et chacun pourra comprendre les raisons pour lesquelles Liberté a renoncé à sa publication. Je confirme donc ce que j'affirme depuis des décennies : il n'existe pas de media libre dans notre pays. Mais il y a bel et bien des journalistes libres que je salue au passage. Bonne lecture ! 1-La présidence de la République vient de mettre en garde les médias contre la recherche du scoop. Qu'est-ce que cela vous inspire ? Je pense que le communiqué ressort de la communication institutionnelle, vise à encadrer la couverture médiatique officielle et annonce « l'accréditation prochaine de journalistes de différents médias pour la couverture des activités présidentielles ». il s'agit d'une démarche classique, qui existe partout dans le monde. Mais comme nous le savons le journalisme n'est pas la communication mais avant tout réside dans la recherche et le traitement de l'information. Le journaliste professionnel fonde son travail sur un principe éprouvé « contact avec le réel et recul analytique ». Partout dans le monde le journaliste est en quête, en recherche d'information, en particulier celle qui n'apparait pas, celle que cache les appareils, les entreprises et les institutions. Le métier de journaliste ne peut être confondu avec celui d'attaché de presse ou d'agent de communication ou d'influence. 2-Pensez-vous que c'est un prélude à un nouveau tour de vis autour des médias? Avant de se livrer à ce qui peut être interprété comme un procès d'intention, il serait plus pertinent et plus objectif de poser la problématique du système médiatique, et essayer de faire le diagnostic de ce système, car le problème est systémique. Le système médiatique reflète la nature du système politique. Le système médiatique Algérien a été construit depuis 1962 sur la propagande, l'ouverture médiatique de 1990 et l'ouverture politique de 1989 n'ont été en fait qu'une parenthèse vite refermée par les décideurs qui après le coup d'Etat de janvier 92, ont organisé sous les pressions de la violence le transfert du monopole économique du public vers le privé, pour faire avorter les réformes économiques et la transition économique. Le système politique avait refusé à la nation Algérienne son droit à une transition politique réfléchie et en douceur. Le système médiatique après ce coup de force a été pensé et utilisé comme vecteur de haine, de propagande et de désinformation dans la gestion d'une guerre contre les civils des années 90. Une guerre qui a engendré des traumatismes, une rupture du consensus de pouvoir et une éradication de la politique. Le système médiatique sous Bouteflika a été submergé de titres de presse que même leurs rédacteurs en chefs ne les lisent pas, des supports pour organiser le détournement des milliards de dinars de la publicité étatique, et des chaines de télévision offshores comme relais de propagande qui versent jusqu'0 aujourd'hui dans la diversion, la haine, les discriminations et l'abrutissement de masse, ces médias qui se transforment en véritable menace pour la cohésion nationale et qui sapent le tissus social. La question centrale c'est que les oligarques des années Bouteflika avec ceux des années 90 possèdent ces médias. Une bonne partie de ces oligarques est en prison mais aucune enquête sérieuse ne suit son cours pour ouvrir le problème de l'argent sale dans le secteur de l'informations. Ainsi chaque chaine de télévision privée par exemple doit régler au moins 35 milles de dollars annuellement en droits de diffusion, comment font ces chaines pour leurs transferts de fonds d'autant qu'elles n'ont aucune existence juridique ? Ne sont-elles pas en infraction au moins vis-à-vis de de la loi sur la monnaie et le crédit ? Sont-elles au-dessus de la loi ? Qui les protègent et pour quelle mission ? 3- Dans une situation où la corporation des médias, notamment des journaliste, est divisée, peut-on envisager une riposte? Peut-on parler de corporation ? Avec des patrons de presse très enrichis par le rente, et une profession qui accepte que des centaines de journalistes continuent d'exercer sans protection sociale, sans salaires depuis 6 mois dans plusieurs entreprises médiatiques. Une profession qui trouve normal de faire le black-out depuis le mois de juin 2019 sur des marches qui drainent des millions d'Algériens et d'Algériennes au niveau national. Une presse qui accepte de transformer les espaces médiatiques en espace d'expression de la haine, la division et la propagande ? je pense que le métier de journaliste est en crise et cette crise profonde, générale, systémique. Les journalistes doivent comprendre que leur liberté et leur dignité sont liées à la liberté de la société. Cette organisation médiatique fondée sur la rente et la propagande doit évoluer, se professionnaliser, se moderniser. Pour que changement soit possible le système politique doit changer.