Le dernier numéro de la revue El Djeich du mois de mars 2021 nous replonge dans les années 1960. Sans le vouloir, l'état-major de l'armée rejoue la crise de l'été 1962. En fait, à la fin de la guerre, l'état-major général s'opposait frontalement au gouvernement provisoire. À la différance de 1962, l'adversaire en 2019 était la grande majorité du peuple dans la rue. En tout cas, après la signature des accords d'Evian, cette crise s'est exacerbée. À la décision politique du GPRA, par la voix de Ben Youcef Ben Khedda, de congédier les responsables de l'EMG, Boumediene, chef de l'EMG, avait répondu que le GPRA et l'EMG étaient tous les deux l'émanation du CNRA –le parlement de la révolution – et étaient donc au même niveau de hiérarchie. En se mettant au même niveau que le gouvernement, les responsables militaires ont créé une autorité parallèle. Et comme il ne pouvait en exister qu'une seule, la victoire est revenue logiquement au plus fort des belligérants. Pour rétablir la vérité historique, le CNRA n'a jamais élu les responsables militaires. Ces derniers étaient nommés par le gouvernement provisoire. L'EMG pouvait à la limite préconiser des noms. Dans la logique des choses, celui qui peut nommer un responsable a aussi la faculté de pouvoir mettre fin à cette mission. Mais, quand les ingrédients du coup d'Etat sont réunis, ces considérations sont uniment ignorées. Cependant, bien que les périodes ne soient pas similaires, à la lecture du commentaire de la revue El Djeich (page 18), le haut commandement militaire se donne un rôle équivalent, voire supérieur, à celui du peuple. D'après les rédacteurs de ce commentaire, « la société doit à son armée nationale populaire toute reconnaissance et la gratitude pour tout ce qu'elle a entrepris... »Cet esprit paternaliste pose un problème de fond. Car, dans les pays qui se respectent, l'armée n'est qu'une institution, parmi tant d'autres, contrôlée par le peuple. Ne pouvant exercer le pouvoir directement, le peuple délègue ce pouvoir à ses représentants pendant une mandature renouvelable. Ayant une mission sensible et dangereuse, le militaire est rémunéré pour les risques encourus. Là s'arrête le rôle de l'armée dans ces pays démocratiques. Bien entendu, il s'agit du rôle politique. Car, les armées, dans le monde entier, sont indispensables. « Si elles sont déchues, les nations sont détruites et condamnées à disparaître », expliquent les rédacteurs dudit commentaire. Jusqu'à preuve du contraire, aucun Algérien ne remet en cause les sacrifices des soldats qui veillent sur les frontières.En revanche, il remet en cause le rôle politique des militaires. Ce fut le cas de Boumediene, de Chadli, de Nezzar, de Zeroual, de Gaid Salah et aujourd'hui de Chengriha. Cette critique était aussi valable pour les anciens chefs des services secrets qui organisaient ce pouvoir en catimini. Pour toutes ces raisons, les rédacteurs de la revue El Djeich ont tort de ne pas faire cette distinction. Contrairement aux allusions des rédacteurs du commentaire, le fait de soulever cette intrusion dans le champ politique ne constitue nullement une trahison ni la vente de son âme. En bloquant le processus politique depuis 1962, l'Algérie est à reconstruire. Ce débat est donc légitime, et ce, loin de toute insulte. Et si tout allait bien, pourquoi Bouteflika a été éjecté alors qu'il avait plus de 6 millions de parrainages et avait un dossier médical prouvant son alacrité ?