Des passerelles pour demain Son nom est Djamel Bensmail. Il est né le 23 février 1985 et vit à Miliana. Il ne possède pas beaucoup de choses mais celles qu'il a sont précieuses : des tableaux, des vers, une guitare, un pinceau et une idée dont le titre est « la Vie » ; la vie en culture, en art et en citoyenneté. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, Djamel a vu le jour dans une « Algérie de la crise », avec une société en crise, une économie détruite et une politique tordue. Il a connu une enfance difficile, comme beaucoup d'enfants de sa génération. Il a commencé l'école en 1992, une année où les balles étaient le langage de la pratique « politique », où la mort et le meurtre étaient les seules nouvelles qui circulaient dans les quartiers, les villages, les villes et les campagnes algériennes... tantôt au nom de la défense de l'islam, tantôt au nom de la défense du pays et de la République, l'Algérie qui sanctifiait la mort et justifiait le meurtre. Djamel n'a pas été compris par le système d'enseignement. Il a quitté l'école à la neuvième année scolaire, en 2002. Mais il a eu de la chance. Le défunt mari de sa tante, l'artiste connu à Miliana, « Djamel Touat », lui a appris l'école de la vie et l'art... La vie que déteste un système nourrit à la culture du diable « Je suis meilleur que lui »; un système basé sur l'exclusion et la haine... Un système qui sème la haine, vit dans la haine et perdure dans la haine.Miliana : Sid Ahmed Ben Youssef... de Tamokra à Bejaia à Zekri à Tizi Ouzou. Djamel, fils de Miliana, la plus ancienne et la plus grande ville de l'histoire de l'Algérie. Miliana du Cheikh Sid Ahmed Ben Youssef, l'un des plus célèbres et plus grands cheikhs soufis du Xe siècle de l'hégire, fondateur de la tariqa al-Rashidiya, qui vécut pendant une longue période à Tamokra à Bejaia, à l'école du Cheikh El-Aidli; là, il étudia les sciences islamiques, Al-sira nabawiya et le soufisme avec le Cheikh Ahmed Zerrouk. Cheikh Sid Ahmed Ben Youssef était un voyageur, il parcourait les régions d'Algérie, notamment la Kabylie. De nombreux récits historiques racontent qu'il aurait eu des petits-enfants au village Tizaghiwin à Zekri, détruit par les récents incendies. Cheikh Sid Ahmed Ben Youssef possédait une sagesse et une autorité symbolique qui lui permettaient de concilier et résoudre les conflits en lien avec l'eau, l'héritage et d'autres problèmes dans les villages de la région. La réputation de Cheikh Ben Youssef rayonnait de Miliana à Adrar, jusqu'au Maroc en passant par Béjaia. Il est l'un des symboles oubliés de l'Islam dans ce pays, en raison de l'instrumentalisation de l'Islam dans des guéguerres politiques dont le but est la richesse, le pouvoir et sa monopolisation.La relation qu'avait Djamel Bensmail avec sa ville et son histoire est forte. Il connaissait la région de la Kabylie à travers les voies de la religion et de l'art. De nombreuses familles anciennes de Miliana ont des relations avec les cheikhs de la tariqa Rahmania à Seddouk, dans la wilaya de Béjaïa, où elles effectuent régulièrement des pèlerinages. Plusieurs familles de Zekri et d'Azeffoun font également des pèlerinages au sanctuaire du Cheikh sid Ahmed Ben Youssef, comme l'appellent les voisins, les amis de son père, et les familles « milianiennes » qui avaient des relations par liens de mariage avec celles qui abandonnèrent Miliana, après la révolution de Cheikh al-Haddad, ou celles qui venaient de la région de Ouacif, composées principalement de marchands ambulants. Djamel vivait pleinement la vie dans la modestie. Il se déplaçait beaucoup entre Miliana et la capitale, de Miliana à Chlef, à Oran, à Bejaia, à Tizi Ouzou et dans d'autres régions... Djamel était un jeune homme qui aimait l'art, la poésie et la diversité de la nature. Il voulait exercer sa citoyenneté, loin de la domination de la société sur l'individu.Djamel avait l'habitude de se priver de plusieurs choses dès lors qu'il ressentait les besoins des autres. Lors de mon entretien avec son ami l'artiste Chamseddine cet après-midi, il m'a dit : « Djamel Bensmail était au service des autres et s'oubliait lui-même... ». Dans son témoignage au sujet de Djamel, Lotfi Khawatami de Miliana, un dentiste qui connaît le défunt, m'a dit ce matin : « Jimmy est imprégné de valeurs humaines et il peut vivre n'importe où dans le monde. C'est un jeune homme qui ne cesse de travailler ». Le désespoir ne connaissait pas le chemin du cœur de Djamel. Il portait le projet de citoyenneté en lui. C'est pourquoi il était dans le mouvement populaire depuis le début. Djamel espérait que celui-ci se terminerait par la construction d'un Etat pour les citoyennes et les citoyens. Inculquer la culture et l'art pour enterrer l'ignorance et la haine« L'art du matin au soir ». C'était le dernier projet que Djamel Bensmail cherchait à mettre en œuvre avec l'Association des amis de Miliana pour la culture et l'art ; un projet dont le but était d'inculquer la culture et l'art dans la rue. Djamel était convaincu que dès lors qu'elle est « jetée » dans la rue, la culture serait adoptée par le peuple pour faire face à l'ignorance et à la haine, de la même manière que le peuple s'était saisi de la Révolution de contre le colonialisme et... la révolution contre la corruption et l'autoritarisme. Le dernier tableau peint par Djamel était une réplique de l'ultime tableau de Van Gogh avant son suicide. Le fameux tableau des «Racines » qui était un message d'adieu de la part de cet artiste universel. Le dernier poème écrit par Djamel portait sur la mort. Il était intitulé « La maison de la stabilité », comme s'il voulait dire adieu au monde par la porte de la culture. L'art est loin de la sauvagerie avec laquelle il a été tué. Une sauvagerie qui illustre l'absence de l'Etat et de la loi... alors la justification de l'Etat est d'abord la protection des personnes et des biens. Le rêve de Djamel Bensmail de voir s'édifier un Etat citoyen se réalisera-t-il ? Peut-il se construire sans vérité et justice ? La vérité sur tous les crimes que l'Algérie a connue. La vérité sur l'assassinat brutal de Djamel et sur lequel le père a réagi avec la sagesse des grands et des prophètes ... sagesse que les marchands des identités meurtrières ne peuvent comprendre. Alors qu'il était de Miliana, Djamel Bensmail est mort en essayant d'éteindre les incendies à Tizi Ouzou, car il aimait la beauté des montagnes et de la nature. Il vivait avec le sentiment que toute l'Algérie est son pays, comme tous les hommes et femmes Algériens qui se sont mobilisés dans l'ensemble du pays, dans un mouvement de solidarité sans précédent pour tendre une main de secours aux sinistrés des incendies. C'est ce message qui fait de Djamel un symbole de citoyenneté confisquée. Un projet de citoyenneté dont la réalisation ne peut être entamée sans la libération de l'individu de la domination et de la tutelle de la tribu, du clan, du pouvoir, des conseils, de la Asabiyya et de toute autorité, quelle qu'elle soit. Aussi, nous devons tous, de Larbaa Nath Irathen à Miliana travailler main dans la main afin d'imposer que la vérité et la justice soient rendues à l'âme de Djamel. Car Djamel est parti, mais il restera vivant. Il est l'avenir. Il est le Projet, celui de l'établissement, enfin, d'une citoyenneté encore confisquée... Redouane Boudjema Algérie, 13 août 2021