Agressions et batailles rangées y sont fréquentes Alors que les forces de l'ordre sont omniprésentes dans toutes les villes et à plus forte raison dans les artères de la capitale, il est certains endroits mal famés que les policiers ne quadrillent que « de loin ». Selon les habitants de ces « ghettos », ils n'osent pas s'y aventurer, n'intervenant que très rarement. Et s'ils le font afin d'arrêter des dealers en flagrant délit, par exemple, ils se heurtent à l'hostilité de ces riverains particuliers, comme c'est le cas dans certains quartiers isolés de Bab El Oued. L'ex-carrière Jaubert surplombe la ville. Ses bidonvilles et autres baraques, qui se sont multipliés au fil des ans, en ont fait un no man's land au cœur duquel même les plus téméraires risquent gros à y entrer. Face à l'abandon de ces cités par les autorités, des gangs se sont imposés par la terreur et la violence pour faire régner leur loi. Agressant à tout-va, ils ont fait de la localité la plaque tournante notoire de tout genre de trafics, stupéfiants en tête. « Cette baraque s'appelle le kiosque. C'est là que se donnent rendez-vous dealers et acheteurs, au su et au vu de tous. Bien sûr que les policiers le savent, la plupart des personnes arrêtées pour possession de drogue affirment l'avoir achetée ici, mais ils ne font rien ! », raconte un jeune homme habitant les environs. Le vandalisme de ces bandes ne se limite pas à ce seul ghetto, il s'étend aussi à d'autres « territoires », affrontant, pour ce faire, les habitants des quartiers voisins, transformant les rues en un véritable champ de bataille et plongeant Bab El Oued dans la peur et la psychose. Pour mettre le feu aux poudres, un rien suffit. Dans la nuit du 13 octobre dernier, des jeunes voyous se sont affrontés dans les rues de la ville, la mettant à sac. Des dizaines de voitures ont été saccagées, des vitres brisées, et les « belligérants », une trentaine selon certains, beaucoup plus selon d'autres, se sont affrontés à coups de barre de fer, de couteau ou de machette. Des dizaines d'entre eux ont été gravement blessés, poignardés à maintes reprises ou férocement battus. L'un d'entre eux a même eu la joue tailladée jusqu'à l'oreille. Chacun y va de sa version afin d'expliquer l'origine de cette boucherie. « Une bagarre de gosses de deux quartiers rivaux, ils ont ensuite appelé les grands à la rescousse », racontent certains. « Les voyous de la Carrière venaient souvent manger chez un gargotier et partaient sans payer. Le gérant a alors engagé des « videurs » du quartier rival. Ils se sont disputés dans la journée et la nuit venue, ils sont revenus pour se venger. Ils ont démoli la baraque restaurant et sur le chemin du retour, ils ont tout cassé », assurent d'autres. Cette violence aveugle causée par une broutille n'est pas un cas isolé. Ainsi, l'année dernière, un litige entre habitants de deux « houmate » de la ville autour d'un stade, ou plutôt un terrain de jeu, tourne à la guerre. Jets de pierres et autres projectiles, bagarres au corps à corps et à l'arme blanche. Les dégâts sont considérables. Un jeune homme poignardé, des dizaines de blessés, gravement parfois, des dizaines de voitures et d'édifices saccagés… « Le pire, dans tout cela, c'est que les agents de l'ordre en faction sur le rond-point, lorsque la première pierre a été lancée, se sont contentés de s'enfuir », se souvient un témoin de la scène, ajoutant : « Depuis, à chaque nouvel épisode ou règlement de comptes, « s'hab » la Carrière les préviennent en jetant un caillou sur leur fourgonnette. Celle-ci démarre en trombe et une horde de vandales déboule par les escaliers. » Nouvelle forme de crime organisé Force est de constater que la présence des hommes en bleu ne se fait pas vraiment ressentir dans cette partie de la capitale, et ce, même en pleine journée. Au commissariat de la ville, l'on se refuse à tout commentaire. Toutefois, un élément de sécurité présent dans les locaux affirme que « les policiers font leur travail et interviennent à chaque fois que quelque chose d'illégal survient ». Pourtant, les marchands à la sauvette ont envahi les trottoirs, les agressions et les vols sont légion et la criminalité bat des records. « Ici, il n'est pas rare de voir un « kiki », peut-être sous l'emprise de la drogue, insulter deux ou trois policiers en les menaçant d'une arme blanche. Ces derniers ne bronchent évidemment pas », raconte un jeune de ce quartier. Comment expliquer que les forces de l'ordre ne réagissent pas à ces provocations ? « Tout simplement parce qu'ils risquent de se faire « déborder » par les voyous. Plusieurs d'entre eux ont sévèrement été passés à tabac par une horde de fous furieux », répond-il. Dès lors, certains citoyens affirment qu'« ils ont reçu l'ordre de laisser faire ». « Des bandes rivales de délinquants, d'ivrognes et de drogués ont des comptes à régler ? Qu'ils s'entretuent », lance un quadragénaire, témoin fréquent de ces scènes de violence, devenues, selon les dires, quasi quotidiennes. « Ils ont inventé une nouvelle forme de crime organisé. Lorsque le marché aux puces bat son plein, un groupe de voleurs s'introduit dans la foule. D'un peu plus haut, leurs acolytes commencent à jeter des pierres sur la placette, provoquant un mouvement de panique. Les autres en profitent pour ramasser les objets exposés sur le sol », raconte-t-il. Pourtant, certains habitants de la ville estiment que la faute incombe aux policiers eux-mêmes. « Ce sont des haggarine, qui ne s'en prennent qu'aux plus faibles et aux gens sans histoire. Ici, c'est un monde à part, une jungle où des codes et des règles de conduite particulières ont cours. C'est la loi du plus fort qui règne et les autorités ne sont pas tolérées. La plupart du temps, chacun y trouve son compte, essayant de se sortir de ses problèmes de misère, de chômage ou autre, comme il peut », confie l'un d'entre eux. Inquiétant ? Assurément. D'autant plus que cette misère touche de plein fouet une proportion toujours plus grande des Algériens, abandonnés qu'ils sont par l'Etat. De même, les bidonvilles, les habitations précaires et les favelas s'étendent à une vitesse fulgurante, marginalisant un nombre croissant de citoyens. Ce qui arrive à Bab El Oued peut dès lors survenir à n'importe quel moment, dans n'importe quelle localité. Ghania Lassal