Plus de deux cents ans avant la chute de Grenade en 1492, qui marqua la perte définitive de l'Andalousie par les musulmans qui y avaient régné pendant près de huit siécles, et dès le commencement de la Reconquista, qui prit, les unes après les autres, les places fortes de l'Espagne musulmane, les Maures, comme ils furent appelés, commencèrent à affluer vers le Maghreb. Après la chute de grenade, ce qui restait de musulmans en Espagne, parce qu'ils avaient cru en la promesse du roi Ferdinand d'Aragon et de la reine Elisabeth de Castille, d'être traités comme des sujets à part entière, dans le respect de leur foi, mais qui furent happés par une inquisition et une oppression inimaginable de nos jours, ces derniers Andalous musulmans, qui se chiffraient, malgré le départ massif de leurs correligionnaires, en centaines de milliers, comprirent qu'ils n'avaient plus d'autre choix que de se convertir au christiannisme ou d'émigrer vers des terres d'islam. Et ainsi, dans des conditions que les historiens qualifièrent d'inhumaines, ces musulmans fermèrent leurs demeures, parfois somptueuses, se rendirent au cimetierre pour une dernière visite à leurs chers disparus et se ruèrent vers les ports où ils se retrouvèrent en foules nombreuses, pour s'embarquer vers les villes du Maghreb. Leur douloureuse migration fut un chemin de souffrances indicibles. Ils furent attaqués par des bandits de grands chemins, détroussés des maigres biens qu'ils avaient pu emporter, nombreux d'entre-eux durent assister, impuissants, à l'enlèvement de leurs filles et de leurs épouses. Il n'en demeure pas moins que des centaines de milliers d'Andalous purent atteindre les rives du Maghreb, où ils ne furent pas moins maltraités, bien souvent. En espagne, durant tous ces siecles lumineux qui connurent leur domination, ils s'était toujours enfermés dans une sorte de ségregation communautaire entre eux, et ne se mêlaient presque jamais par les liens du mariage. Arabes( divisés eux mêmes en Kalbites, en Kaïsites, en Syriens), Berberes(Sanhadjas, Zenatas, Masmoudas…) sakalibas(descendants d'esclaves slaves ou scandinaves) Noirs( descendants d'esclaves africains), mais aussi Convertis espagnols, mouwalids( leurs descendance) et juifs. Dans le maheur et la détresse de l'exil, les Andalous qui purent débarquer au Maghreb, et qui tous gardaient l'espoir de retrouver un jour la patrie de leurs ancêtres, oublièrent leurs clivages. Ils devinrent une communauté soudée. La subtilité de leur culture, leur beauté physique, acquise au fil de siècles de métissage avec l'élement européen, slave et scandinave, leur parler particulier, et le sentiment d'avoir appartenu à une grande civilisation, les rapprochèrent les uns des autres. Ils habitèrent les mêmes villes, ne se marièrent qu'entre eux et se tinrent relativement éloignés de leurs autres correligionnaires du cru, jusqu'à l'occupation française qui bouleversa les équilibres sociaux, et abattit les barrières sociales et ethniques entre les populations autochtones. Ces Andalous, subtils, mélomanes, négociants adroits, et enclins à l'érudition, ont été d'une discrétion qui confinait au mutisme. Ils n'ont jamais crié leur colère de voir leur communauté se dissoudre dans une indifférence totale. Au Maroc et en Tunisie, leur sort a été plus heureux. Ils sont parvenus à se faire une place au soleil. Une place reconnue. En Algérie, les deux brutalités, coloniale et celle du régime de parvenus qui confisqua l'independance du pays, les confinèrent dans les recoins de l'oubli. Mais ils n'en sont pas moins présents parmi nous, ces admirables Andalous. Dans notre culture, dans notre gastronomie, dans nos belles manières, dans l'architecture de nos plus beaux monuments arabo-mauresques, dans notre chaabi, dans notre malouf, dans les plus belles toilettes de nos femmes. Il ne serait que justice que nous évoquions, non pas leur mémoire, parce qu'ils sont bien vivants, mais leur présence au sein de notre identité. Et l'identité de l'Andalous est d'autant plus émouvante qu'elle se constitue elle même des nôtres propres, en plus de ces apports, qui coule dans ses veines, venus d'Europe. Et si nous en parlions…