De toutes les réformes, nombreuses et essentielles, promises par le pouvoir politique dès les premiers mois de l'année 1999, la réforme de l'éducation était et est toujours probablement celle la plus désirée par les citoyens qui sont pleinement conscients de l'importance de l'instruction, de l'éducation et de la formation des jeunes générations, ainsi que par tous ceux qui ne portent pas d'œillères idéologiques ou politiques, qui ne s'embarrassent d'aucun préjugé, qui, par tempérament, gardent leur esprit ouvert aux progrès de l'intelligence et du savoir réalisés dans le monde, et qui, enfin, estiment que la quête de la perfection et de l'excellence, doit normalement commencer pour tout humain dès l'école primaire, pour se poursuivre... toute sa vie durant. L'éducation au sens large, celle qui associe de manière cohérente et complémentaire les trois volets classiques suivants, en l'occurrence l'instruction, c'est-à-dire la transmission des savoirs et connaissances, ensuite l'éducation stricto sensu qui inculque les valeurs et principes d'éthique et de morale, enfin la formation qui prépare nos enfants à la vie en société. C'est pour cela que d'instinct, chacun de nous voit dans la réforme de l'éducation la «mère de toutes les réformes». Pour tous, cette réforme reste impérative, urgente et pressante. Il convient donc de cesser de biaiser, de tergiverser, mais de passer outre les blocages, les mauvaises habitudes prises ou acquises par les corporations et les syndicats, la bureaucratie paralysante des administrations. Plus que jamais, il nous faut briser les blocages des carriéristes et des idéologues, forcer le passage et mettre la réforme en vigueur et les changements tant espérés. La tâche n'est, certes, pas aisée. Nous savons par expérience combien il est difficile dans notre pays de faire bouger comme on dit les lignes, de mettre en application les réformes, fussent-elles d'ailleurs décidées de façon consensuelle. De manière générale, les Algériens n'aiment être dérangés dans leurs habitudes ni bousculés dans leur train-train routinier. Que de fois n'a-t-on pas entendu nos compatriotes, simples citoyens ou responsables de haut rang, dire soit «les choses étaient bien avant !», soit carrément «on ne veut pas que les choses changent !». Au changement en effet, beaucoup préfèrent le cocon rassurant du statu quo. Il y a dans cette réaction de nos concitoyens quelque chose de culturel dont l'origine remonterait à la condamnation religieuse de la «bid'a». Une interprétation littérale et rigoriste du hadith : «Koulou bid'a dhalala wa koul dhalala fi en-nar» permet encore à certains «professionnels» de la religion — une sorte de clergé autoproclamé — d'imposer des interdits injustes et de lancer des anathèmes contre quiconque s'aventure à ne pas penser comme eux. Ces professionnels de la religion qui se sont érigés sans droit ni qualification en directeurs de conscience n'aiment pas que leurs «ouailles» échappent à leur emprise. C'est parmi eux que l'on trouve ceux qui s'opposent systématiquement à toute tentative de faire évoluer notre système éducatif. Aux changements qu'imposent les avancées et les innovations des temps modernes, des Algériens qui pourtant se disent «‘oulama» préfèrent faire ad vitam æternam du surplace, piétiner sans fin dans les sentiers battus de la routine et tourner en rond tels les derviches anciens, dans les voies sans issue... Cependant, s'il est vrai que l'on peut, sans que cela prête à conséquence et sans que le ciel nous tombe sur la tête, se dispenser de certaines réformes politiques telles que, par exemple, une énième révision de la Constitution, soit pour supprimer certaines institutions ou y ajouter d'autres, soit pour réduire les attributions du Président ou celles du chef du gouvernement, soit pour développer le bicaméralisme et introduire un peu de parlementarisme dans notre système présidentialiste à l'excès, soit pour allonger la liste des droits en prenant toutefois la précaution de renvoyer leur exercice à des lois ultérieures, etc. Tout le monde conviendra par contre que, s'agissant du système éducatif, chaque année qui passe sans que le système soit amendé et amélioré, il peut résulter de cette inaction des dégâts irréversibles pour la bonne santé et l'équilibre de la société. A chaque année passée, c'est en effet des centaines de milliers d'enfants, en âge d'être scolarisés, qui sont condamnés par leurs aînés à l'illettrisme et à l'inculture. Ce sont des générations entières que la société perd en les laissant au bord de la route... C'est là une illustration du fameux principe de l'effet papillon : d'une négligence commise par un petit groupe de responsables timorés ou paresseux, il va résulter des conséquences catastrophiques immenses... Le secteur éducatif : la pression permanente Au fil du temps et des actions de sabotage menées insidieusement contre toute tentative de changement de fond, la réforme de l'éducation, œuvre intrinsèquement compliquée, est devenue encore plus compliquée. L'idéologisation à tout bout de champ de la question éducative, la politisation inconsidérée du secteur éducatif, ainsi que les interférences ou intrusions intempestives des hommes de religion dans ce domaine ont dangereusement, oserais-je dire, complexifié la situation. N'a-t-on pas vu, il y a peu, un homme de religion s'interposer en vue d'une médiation entre les grévistes du Cnapeste et la ministre de l'Education nationale ? Une question se pose : mais où sont donc passées les institutions officielles, les inspecteurs du Travail, les commissions mixtes ad hoc ? Ont-elles été dessaisies de leurs attributions ? Ne peut-on plus dialoguer dans ce pays, sans l'intervention d'un imam ? Qu'est venu faire cet imam dans une procédure de règlement pacifique d'un conflit du travail, prévue, réglementée et encadrée par le droit social ? Le président de l'APN, un homme âgé et sensé et de surcroît n'est pas tombé de la dernière pluie, a rencontré des médecins résidents grévistes venus effectuer un sit-in devant le siège de l'APN : il fut, c'est quasiment surréaliste, promptement rappelé à l'ordre par le SG d'un parti politique qui avait l'air de lui dire «Mais de quoi te mêles-tu ?» De plus, pourquoi cette «judiciarisation» des litiges du travail et des conflits sociaux par le recours systématique aux juges des tribunaux administratifs ? Et une fois saisis par l'Administration, en tant qu'employeurs, qu'est-ce qui interdit à nos juges de tenter des conciliations entre les administrations et les grévistes, car en droit «es-solh afdhal !» et le recours à un arbitrage est toujours recommandé, «Hakamoun min ahlihi wa hakamoun mine ahliha», dans les cas les plus ardus ? De plus, en matière de référé, même administratif, le principe est que la décision du juge ne doit pas préjuger du fond. Aussi, dire et juger en référé qu'une grève — n'importe laquelle — est illégale, n'est-ce pas préjuger du fond ? Les juges en référé du tribunal administratif de Bir-Mourad- Raïs n'auraient-ils pas dû renvoyer le demandeur, en l'espèce l'Administration, à saisir le juge du fond pour engager devant lui un débat contradictoire sur le fond avec le ou les défendeurs, si la tentative de conciliation entre les parties, pilotée et conduite par ce même juge, échoue ! Mais comment expliquer tous ces interminables bras de fer, têtus et obstinés, dans lesquels on a l'impression fâcheuse que tous les conflits du travail se pervertissent en conflits personnels entre un membre du gouvernement et des fonctionnaires placés sous son autorité ? Pourquoi tant de crispations et de tensions, alors que tout le monde sait ou devrait savoir qu'il existe des voies et moyens apaisés de règlement des conflits du travail ? Le deuxième trimestre de l'année scolaire va bientôt s'achever, la situation reste confuse, embrouillée, opaque, telle que «la bouteille à l'encre» sale et couverte de dépôts d'encre durcie, des tables d'écoliers de notre prime jeunesse, et que nos maîtres nous obligeaient périodiquement à nettoyer à l'eau ! Il n'y a plus de dialogue, il n'y a que des monologues ! Retour aux fondamentaux A cette série de remarques simples, j'ajouterais, en revenant aux fondamentaux, cette observation encore plus simple : il ne peut pas y avoir de bons élèves sans de bons enseignants ! Au cœur de tout système éducatif, il y a les enseignants : ils doivent être en nombre suffisant, bien formés et faire l'objet de beaucoup d'attention et de sollicitude. A ce propos, combien avons-nous d'Ecoles normales d'instituteurs pour former en quantité et en qualité le personnel enseignant dont nous avons besoin ? Il ne s'agit pas ici d'inventer le fil à couper le beurre, mais de rappeler qu'il existe des ratios internationaux : ratios élèves/enseignants, ratios élèves/classes, ratios élèves/établissements, etc. Je suis persuadé par ailleurs qu'il existe aussi des ratios Ecoles normales de formation des enseignants/inscriptions annuelles d'élèves. C'est sur la base de ces données quantitatives que l'autorité en charge de l'éducation nationale établit son tableau de bord et sa feuille de route pour le court et le moyen termes... Une société qui ne prend pas soin de la formation de ses enseignants, qui ne les protège pas, qui ne veille pas à leur assurer les meilleures contritions matérielles de travail est une société qui n'aime pas l'enseignement et qui se disqualifie donc d'elle-même. Il y a ensuite la pédagogie, le rythme scolaire et les programmes : c'est une affaire de spécialistes expérimentés et confirmés, mais certainement pas de commissaires politiques ni de directeurs de conscience ! Il y aussi le livre scolaire qui doit être de qualité et disponible en quantité au jour J, sur l'ensemble du territoire national. Rappelons aussi, même si c'est une évidence, qu'un système éducatif performant est ouvert sur le monde, et où les sciences sont enseignées très tôt. Un système éducatif performant est celui qui ne s'embarrasse pas des connaissances inutiles et changeantes. J'avoue que je ne vois pas quel intérêt théorique et pratique il y aurait à enseigner à des élèves âgés de moins de dix ans ou qui n'ont pas atteint l'âge de discernement, l'organisation, la composition et les attributions des APW et des APC ! Faire de l'instruction civique, ce n'est tout de même pas obliger des enfants en bas âge à apprendre par cœur des données chiffrées relatives au nombre des membres des APC, des APW et même de l'APN ! Cela ne saurait être non plus d'apprendre quelles sont les mentions à inscrire sur un mandat postal ! Mais quid de l'éducation religieuse ? J'estime personnellement que l'instruction religieuse doit être dispensée dès l'école primaire. Il faut néanmoins que la plus grande rigueur et la plus grande vigilance soient de mise dans la conception et l'élaboration des programmes d'instruction religieuse. Supprimer l'instruction religieuse dans le primaire et le secondaire, c'est livrer nos enfants aux islamistes, aux obscurantistes et autres faux dévots qui activent ailleurs. Il est à présent prouvé que ce que l'on nomme «la radicalisation», c'est-à-dire à mon point de vue l'endoctrinement des jeunes qui les mène ou les incite directement à s'enrôler dans des organisations violentes, a commencé pour beaucoup de jeunes dans les écoles dites coraniques et dans les mosquées et autres salles de prière... Attention par ailleurs à ne pas réduire l'enseignement à des cours de gestuelle et de rituels !... Méfions-nous des récits mythologiques et mythiques... Par contre, il est catastrophique de relancer pour la énième fois des débats sur les jupes, les pantalons serrés, les pantacourts, le foulard «religieux», le jelbab, le hijab, etc., à l'école, dans les lycées et dans les universités. Tant qu'à faire, pourquoi n'établirait-on pas des uniformes réglementaires pour nos écoliers, lycéens et étudiants ? Verra-t-on un jour les ministres en charge de la formation de notre jeunesse, des recteurs, des inspecteurs d'académie, des chefs d'établissement, après avoir eux-mêmes revêtu le costume dit islamique (qu'est-ce que cela signifie pour un Turc, un Indonésien, un Pakistanais, un Chinois, un montagnard du Rif, un Subsaharien, un musulman d'Europe, du continent américain ou australien ?), et laissé pousser leurs barbes pour donner l'exemple, prendre des arrêtés pour réglementer la tenue des élèves et des filles plus particulièrement ? Poussera-t-on le clou jusqu'à tenir des salons de l'habillement islamique pour les élèves et étudiants des deux sexes ? Organisera-t-on des projections et des défilés de mannequins avec conférences de sensibilisation données par de pieux enturbannés et de pieuses duègnes ? Trop, c'est trop : que chacun s'occupe, ai-je envie de dire, de ses propres enfants, de leurs effets vestimentaires et de leur façon de se vêtir ! Que ceux qui veulent que leurs enfants ressemblent aux talebs en armes de l'époque des Mourabitounes (XI-XIIe siècle), ou aux talibans d'Afghanistan, ou aux Bonzes de l'ancien Japon du temps des Samouraïs ou aux Turbans Jaunes de l'ancienne Chine, ou encore aux Dob-Dob du Tibet d'avant l'occupation chinoise, les habillent, les couvrent ou les déguisent à leur guise ! En ce qui nous concerne, nous savons par expérience, que sous leurs amples tenues blanches, beaucoup d'islamistes dissimulent des cœurs pleins de haine. Les apparences sont trompeuses. Un dicton français dit : «L'habit ne fait pas le moine.» Les italiens disent : «la barba non fa il filosofo», reprenant à leur compte l'aphorisme de Plutarque, penseur de l'Antiquité romaine, qui a écrit : «barba non facit philosophum.» Roger Garaudy affirme de manière ferme dans son livre intitulé «Terrorisme occidental» : «Je ne reconnais pas l'imam à son turban, le prêtre à sa croix et le rabbin à sa kippa...» Il faut sans cesse rappeler que la mission première de l'école, c'est d'instruire, d'éduquer et d'inculquer aux jeunes une culture fondée sur le respect de l'autre, sur la tolérance, l'acceptation des différences, l'attachement à la justice et à la paix entre les peuples... Les Algériens veulent en effet que leurs enfants soient instruits, éduqués et cultivés. Soyons clairs : en aucun cas les enseignants n'ont pour mission d'endoctriner la jeunesse, de la «radicaliser», ni d'en faire des graines de tueurs et de la chair à canon qu'on envoie au massacre. Ce n'est, en effet, ni d'exaltation ni de plaisir que les cœurs des musulmans se remplissent, mais de douleur et de tristesse, quand ils voient des jeunes musulmans décérébrés se comporter comme des automates et partir les armes à la main pour semer la mort et la dévastation, dans leur pays et ailleurs. Un jour viendra où les commanditaires, les auteurs et les complices de cette sanglante fitna contre l'Islam et contre les musulmans auront à en rendre compte devant Dieu et les hommes. Polémiques absurdes et faux problèmes Cessons aussi de nous diviser en suscitant sans cesse de stupides polémiques, comme celle sur la formule dite de la «besmella», disparue, semble-t-il, de certains ouvrages scolaires. Un livre scolaire reste un livre scolaire. Ne tombons pas dans le «fétichisme» et n'en faisons pas d'un livre de classe un objet de culte ! Parce qu'elle est grossièrement clivante, certains espèrent que cette polémique artificiellement créée allait diviser les Algériens en deux camps : celui des croyants et celui des laïcs, entendre par là les mécréants. Une fois déclenchée, il suffirait, pensaient-ils, de l'attiser, périodiquement, à travers les médias et les prêches dans les mosquées. Pendant ce temps-là, tout le reste, c'est-à-dire la planche à billets, l'inflation, la dépréciation du dinar, la hausse des prix, les nouvelles taxes et redevances, les pénuries, la violence, la délinquance, les contre-performances de l'équipe nationale de foot... seront oubliés ! Wa sawfa tabqa dar Loqman 3ala haliha !!! En tout état de cause, c'est bien la science et les scientifiques qui nous éloigneront de l'obscurantisme, de la roqia, de la hijama et des potions et décoctions du type «Rahmet Rabi», des phénomènes paranormaux, de la superstition, de l'extrémisme, de la radicalisation, phénomènes d'un autre âge, revenus en force dans notre pays ces dernières années. Ce n'est point le prêchi-prêcha de gens confits en dévotion, en pratiques rituelles et en gestuelles mécaniques, qui se prétendent détenteurs exclusifs du «‘ilm» et seuls gardiens de la vérité, qui nous remettra sur la voie du progrès, de la modernité et nous permettra d'accéder comme membre à part entière au concert des nations, mais la science et les scientifiques. Sciences et philosophie L'Algérie fera, à coup sûr, un grand pas dans cette direction lorsqu'on introduira dans les écoles, les collèges et les lycées, sans complexe aucun vis-à-vis de qui que ce soit, des modules d'enseignement consacrés aux avancées scientifiques exceptionnelles et aux idées philosophiques de nos «grands salaf», savants et penseurs de l'âge d'or de l'Islam, tels qu'Ibn Rochd, Ibn Sina, Ibn Tofaïl, El Kendi, Abou Al Qacem, Ibn Nafis, Rhazès. Pourquoi continuer à ostraciser les philosophes arabes du courant dit des Al Mu'tazila quand on sait leur apport éclairé à la pensée universelle ? Il est regrettable que tous les illustres hommes ci-dessus cités — parmi lesquels on trouve de brillants Mu'tazilites — restent pour la plupart ignorés et méconnus des musulmans, alors que leur pensée, leur intelligence, leur savoir et leur philosophie ont fortement et positivement impacté la renaissance occidentale. Dans un Que sais-je ?, intitulé «Averroès et l'averroïsme», écrit par Maurice-Ruben Hayoun et Alain de Libéra — Editions Dahlab —, j'ai noté cette phrase extraite du livre Histoire de la philosophie islamique, de Majid Fakhri (Paris 1989) : «Finalement quinze des trente-huit commentaires d'Ibn Rochd furent traduits en latin directement de l'arabe pendant le XIIIe siècle. Par la suite, on peut dire que les commentaires d'Ibn Rochd devinrent une partie de l'héritage aristotélicien de l'Europe de l'Ouest», l'auteur de ces lignes ajoute cette terrible phrase : «Ibn Rochd n'avait presque pas de disciples ou de successeurs dans l'empire musulman.» En effet, alors que l'Occident commençait sa «renaissance» en s'ouvrant aux sciences, le monde musulman par contre prenait le long et sombre chemin de la décadence. En se fermant sur lui-même, il s'enfermait pour son malheur dans une sorte de glaciation culturelle. L'expansion de l'Islam, en tant que religion monothéiste, culture et civilisation, fut ralentie puis dramatiquement stoppée. Les quelques tentatives de nahda ou renaissance furent étouffées dans l'œuf par les religieux, les fouqaha et les prêcheurs dogmatiques. Le monde musulman, en déclin sur tous les plans, n'est plus aujourd'hui que champs de batailles sanglantes où n'importe quel tueur inculte ou semi-inculte se proclame héraut de Dieu et vicaire du Prophète, puis y sème le saccage et la mort. Tout le monde connaît les causes de cet état de fait et nous savons qui maintient les peuples musulmans dans cette situation de blocage et d'arriération intellectuelle et culturelle. La réforme du baccalauréat : jusqu'à quand ? Dans le secondaire, c'est autour de l'organisation de l'examen du baccalauréat que les défauts et imperfections du système éducatif se sont une fois de plus concentrés. Chaque année à l'approche des épreuves du baccalauréat, les autorités rendent publics, de manière quasi rituelle, des chiffres et des statistiques, censés prouver les progrès réalisés par le pays dans l'enseignement secondaire. Ces chiffres, massifs et livrés en gros, sont repris tels quels par la presse. Normalement, les services du ministère préparent à l'intention des journalistes qui assistent aux conférences de presse du ministre ou de ses représentants «des dossiers de presse» documentés en termes d'éléments chiffrés, de tableaux comparatifs, de statistiques et de pourcentages, toutes ces données étant par ailleurs accompagnées d'explications et de commentaires écrits. Il y a dans les informations ainsi communiquées à la presse plusieurs qui sont essentielles. Il en est ainsi par exemple du nombre global des candidats inscrits. Il était lors de la dernière session de juin 2017 de l'ordre de 741 800 dont 491 000, soit 66%, étaient des candidats scolarisés et le reste, soit 251 800 (33%), des candidats libres. Or, si l'on compare le nombre des candidats de 2017 à celui de 2015, on constate, non pas une augmentation, mais une baisse de 92 000 candidats, ce qui est énorme et dans le même temps logiquement inexplicable. Normalement en effet, le nombre des candidats au baccalauréat devrait augmenter d'une année à l'autre. En continuant à nous fier, faute de mieux, aux seuls chiffres publiés par la presse, on remarque que le nombre des candidats «libres» croît de manière exponentielle depuis trois à quatre ans. Logiquement donc, on devrait savoir à combien s'élève le nombre des redoublants éjectés des établissements scolaires, celui de ceux qui, bien que déjà bacheliers, se représentent avec l'espoir d'obtenir des notes élevées en sciences ou en mathématiques, leur permettant d'accéder à certaines études supérieures ou à des écoles où l'accès est limité par un numerus clausus. On aimerait connaître sur quels paramètres se fonde l'administration pour fixer les moyennes qui permettent d'accéder à ces études «sanctuarisées». Il serait utile de communiquer le nombre des «vrais candidats libres», c'est-à-dire de ceux qui proviennent d'établissements d'enseignement «privés». A combien s'élève leur nombre ? De la même façon, on devrait décomposer le taux global de succès en deux parties distinctes : le taux de succès des candidats scolarisés et le taux de succès des candidats dits libres. Si celui des candidats «libres» est plus élevé que celui des candidats scolarisés, il faut sonner le tocsin ! On doit en conclure en effet que l'enseignement public est en danger de mort ! Il serait intéressant de disposer d'autres données chiffrées relatives au taux de succès enregistrées chez les filles par rapport aux garçons, ainsi que celles relatives aux taux de succès enregistrés dans les filières sciences et mathématiques, par rapport aux filières lettres, langues, technologie, économie-gestion... On ferait œuvre utile, en dressant des courbes rendant compte sur trois à cinq années scolaires de l'évolution de ces taux. Ce sont, en effet, les indications de ce type qui intéressent le plus les étudiants et leurs parents. Le nombre de centres d'examen ouverts à travers le territoire national, le nombre total des enseignants requis pour assurer la surveillance est strictement sans intérêt pour le public et les élèves. Leur publication ne sert, tout compte fait, qu'à «faire mousser» l'administration centrale et les services extérieurs du ministère de l'Education... Par contre, les élèves suivent avec une attention toute particulière les informations relatives aux mesures prises à l'effet de détecter les cas de fraude et tentatives de fraude aux examens et de sanctionner rapidement et de manière exemplaire les auteurs et complices. Un scandale sans précédent connu Mais ce qui restera la marque exclusive de la session de juin 2017, c'est le nombre incroyable des candidats qui se sont «absentés» aux épreuves ! Si dans les premières journées de la session, on avait laissé entendre que certains candidats n'ont pas été admis à composer parce qu'ils ne s'étaient pas présentés à l'heure aux épreuves — ce qui n'a rien d'exceptionnel, mais dans tel cas, le nombre des absents reste raisonnable ! —, on a appris que ce nombre s'élevait, en définitive, à 104 036, soit environ 13,6% des candidats, se répartissant comme suit : 10 082 scolarisés et 93 934 «libres». Ce sont des chiffres considérables et plus encore, alarmants. Malgré cela, on décréta, « avec le geste auguste du semeur...», de faire bénéficier ces 104 036 absents d'une session spéciale du baccalauréat, organisée à leur intention du 13 au 17 juillet, dans 289 centres d'examen ouverts à cet effet. Mais à la surprise générale, sur les 104 036 inscrits à la session spéciale, il y eut 78 672 absents, soit 75,66% des candidats. Sachant que le taux des absents à la première session a été de 13,67%, celui des absents à la session spéciale a donc été 5 fois et demie supérieur à celui de la session normale ! Le taux de réussite au bac de l'année 2017 a été, pour les deux sessions confondues, de 56,07%. On ignore quel a été le taux de réussite atteint par les candidats de la session spéciale, ni au demeurant celui des réussites à la première session. A-t-on bien fait d'organiser une session spéciale? Ce n'est pas là, semble-t-il, le sujet. Le sujet c'est que tout examen ou concours public et officiel fait l'objet d'une réglementation. Celle-ci doit être strictement observée, non seulement par les élèves candidats, mais aussi par l'administration qui l'édicte. Il est de son devoir de veiller à son respect. C'est une question de principe. La ponctualité qui est le fait d'être à l'heure et d'accomplir sa tâche dans le délai imparti est une valeur, au même titre que la discipline, l'ordre, l'exactitude, la droiture et la régularité. La ponctualité est au demeurant, selon un adage, la politesse des rois. Espérons que des leçons ont été tirées de cette fâcheuse expérience, qu'un absentéisme aussi massif ne pourra jamais se reproduire et que les absents, si un jour il devait y avoir en si grand nombre, doivent savoir d'ores et déjà que les absents ont toujours tort ! Notons enfin, pour compléter ces quelques observations générales consacrées à l'enseignement secondaire, que la ministre en charge de l'Education nationale a fait savoir, au début du mois de décembre de l'année dernière, que la réforme du baccalauréat, annoncée pour 2015-2016 puis ajournée en 2017, n'aura pas lieu en 2018. «Elle flotte, elle hésite ; en un mot, elle est femme...» Les idéologues ont encore obtenu gain de cause. La ministre aurait pu, en s'adressant directement à eux ou à leurs commanditaires qui agissent dans l'ombre, leur dire : «Qui peut vous inspirer une haine si forte ? Est-ce que de Baal le zèle vous transporte ? Pour moi, vous le savez, descendu (e) d'Ismaël. Je ne sers ni Baal, ni le dieu d'Israël !» (Athalie de J. Racine), en allusion aux rumeurs malveillantes à propos de ses origines. Elle pourrait ajouter, toute suite après ces quelques vers de Racine, le texte de cette aya du Saint Coran : «Puis et en dépit de tout cela, vos cœurs se sont endurcis. Ils sont devenus comme des pierres ou même plus durs encore. Car il y a des pierres d'où jaillissent les ruisseaux, d'autres se fendent pour qu'en surgisse l'eau, d'autres s'affaissent par crainte d'Allah. Et Allah n'est certainement jamais inattentif à ce que vous faites.» (Coran 2/ 74). Conclusion Ceux qui freinent la modernisation du système éducatif savent que le système éducatif auquel ils s'accrochent obstinément de toutes leurs forces est terriblement nocif. Son effondrement est inéluctable : la déperdition scolaire ne faiblit pas, le taux de succès au baccalauréat stagne à un niveau peu satisfaisant et le niveau des élèves, en sciences et mathématiques notamment, est désespérant. Selon le rapport Pisa ou Programme For International Student Assessment, de l'enquête effectuée en 2016 par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), dans 70 pays, notre pays occupe «l'avant-dernière place du classement», a noté Echourouk on line du 07/12/2017. Selon El Watan du 15/12/2017, l'Algérie est classée en bas du tableau «en ce qui concerne les maths, les sciences et la lecture». Les 5 pays les mieux classés en mathématiques, en sciences et en lecture sont Singapour, la Chine, le Japon, le Canada, la Finlande... Ce rapport Pisa et le classement qui l'accompagne a le double mérite, pour ce qui nous concerne, d'une part, de nous montrer où le bât blesse — c'est-à-dire quelles sont les matières enseignées chez nous, dans lesquelles nos élèves rencontrent les plus grandes difficultés — et d'autre part de nous indiquer les systèmes éducatifs les plus performants et dont nous devrions nous inspirer, si nous voulons éviter le naufrage ! Pourquoi ne pas saisir cette ultime occasion qui nous est ainsi offerte, pour en finir avec les réformes de circonstance, les replâtrages ponctuels et superficiels auxquels on nous a habitués ? Pourquoi ne pas saisir l'occasion pour en terminer avec les idéologues, les politiciens et aller droit, avec les pédagogues et les spécialistes de l'éducation, vers une réforme de fond, non seulement du baccalauréat, mais aussi de tout notre système éducatif ? Plaise à Dieu que le rapport Pisa soit la corne de brume, avertisseur sonore en usage dans la marine, qui aura permis au navire algérien «Education», perdu depuis trop longtemps dans le brouillard épais de la politique et les eaux troubles de l'idéologie, d'éviter les écueils et de retrouver la passe qui conduit au port ! Z. S.