Raison garder est comme un cousin français de l'anglais «keep cool». C'est un précieux conseil, vraiment très utile pour garder son calme et sa raison en toute circonstance. C'est en tout cas le titre et l'intention du nouveau livre de Leïla Aslaoui-Hemmadi, paru aux éditions Média-Plus de Constantine et qui vient comme une suite logique de Survivre comme l'espoir, paru en 1994 chez le même éditeur. Dans ce monde où, apparemment, tout le monde est «en colère», le riche comme le pauvre, le travailleur comme le chômeur, le jeune, le moins jeune et la personne âgée, on entend presque tous les jours des expressions comme : «Il ne reste plus rien», «Ya plus d'espoir» ou «Tout va de travers dans ce pays». Même si c'est vrai, que faire à titre collectif et surtout individuel ? Faut-il en rire ou en pleurer ? Face à l'amertume ambiante, Leila Aslaoui choisit ce qui paraît être la meilleure des deux solutions, sans prétendre détenir la «vérité» ni une quelconque solution miracle. «Ce recueil de nouvelles intitulé ‘‘Raison garder'' met à nu les nombreuses dérives qui polluent le quotidien de l'Algérien : bureaucratie, hypocrisie sociale, injustice, arbitraire, incivisme, opportunisme, régionalisme... Serait-ce possible qu'un jour ‘‘raison garder'' puisse signifier tourner en dérision tous ces fléaux ? Se pourrait-il qu'un jour ‘‘raison garder'' puisse signifier rire ?» écrit Aslaoui au début de son recueil. Le nouveau livre de l'auteure de Chuchotements est riche de onze nouvelles dont Au quotidien tu peineras, Mon niqab, mon oxygène, Barkaoum, ce n'est pas moi ou l'Enigme. Au hasard des lectures, le lecteur trouvera ou retrouvera des personnages, des lieux, des situations ou des expressions populaires connues comme «ouach kayen» (que se passe-t-il ou que veux-tu ?), «Rabi koun fi aouni» (Dieu, aidez-moi) ou découvrira une autre qui dit «sahla, mahla, samta» (très facile et coriace), en vérité intraduisibles en français. L'humour n'est jamais très loin dans cette sorte de salutaire séance d'exorcisme littéraire. Pour rester dans l'esprit de l'œuvre, un adage bien de chez nous dit : «Hem y dahak, we hem y bekki» (un malheur fait rire et un malheur fait pleurer). Mais à bien y voir, mieux vaut en rire ! Née à Alger, Leila Aslaoui-Hemmadi est licenciée en droit et diplômée en sciences politiques. Sa formation et son métier de magistrat ont donné des ouvrages comme Etre juge (Enal, 1984) ou Dérives de justice (éditions Bouchène, 1994). Malgré la douloureuse épreuve d'un époux assassiné par le terrorisme en octobre 1994, elle a continué à écrire. Les années rouges est sorti en 2000 aux éditions Casbah, suivi, notamment, par Coupables paru en 2006 aux éditions Buchet-Chastel. Le roman Sans voile, sans remords (Dalimen, 2013), inspiré d'une histoire réelle, recevra le Prix des l'Association des écrivains de langue française à Paris en mars 2013. Le même roman sera adapté au théâtre en 2017. La pièce mise en scène par Ziani Chérif-Ayad est intitulée «Bahidja». En hommage au combat de la femme algérienne, le Conseil de l'Europe a décerné à Leila Aslaoui le prix Nord-Sud en septembre 1996. Kader B.