Mais tout en restant critique, elle est aussi devenue drôle dans le sens où le rire qui retentit de cette écriture devient le remède ultime contre l'absurde. Le recueil de nouvelles intitulé Raison garder et publié récemment aux éditions Média-Plus, est en effet un ensemble homogène de chroniques de l'absurde ordinaire, une mise à nu de la société algérienne enfermée sans un «absurdistan» désarmant. Dans ce nouvel ouvrage, les personnages de Leïla Aslaoui-Hemmadi font tous ou presque partie du troisième âge (sauf le personnage principal de Monnikab, mon oxygène) ; et leur âge leur offre cette capacité de se moquer, d'être condescendants, détachés devant l'absurde ; ils ne s'emportent pas mais ne se résignent pas non plus. Ils savent raison garder. Ce sont pourtant des personnages d'un modèle social vaincu par la régression et la normalisation du médiocre et de l'infâme. A travers les onze nouvelles que compte le recueil, l'auteure peint des situations tirées de la vie quotidienne partagées par tous les Algériens. La bureaucratie, le système défaillant de santé publique, les tribunaux sans justice, les cités accablées par l'incivisme… Ces maladies manifestement insurmontables de l'Algérie. De simples faits divers, Aslaoui réussi à tirer une radioscopie sociale sans complaisance. Des fictions adaptées de la vraie vie, et où nous pouvons tous nous reconnaître. Les personnages de Raison garder ne sont pas cependant des héros. Ils ne s'autorisent pas des postures moralisantes non plus, et ils peuvent même se dresser du mauvais côté de la morale. Car après tout, ce ne sont que des humains. Des personnages attachants en somme, mais qui refusent de se laisser submerger par l'amertume lorsque le quotidien devient de plus en plus difficile à supporter et à vivre. Pour eux, Raison garder signifie tourner en dérision tous ces fléaux, les observer avec humour. Née à Alger, Leïla Aslaoui-Hemmadi a fait une brillante carrière de juriste avant d'embrasser la politique et intégrer le gouvernement au début des années 1990. L'assassinat de son époux en octobre 1994 change dramatiquement son destin. Elle démissionne d'ailleurs de son poste de ministre de la Solidarité nationale, pour exprimer son désaccord aux pourparlers pouvoir/ex-leaders du FIS en 1994. Auteur de plusieurs ouvrages. Sans voile, sans remords a reçu en 2013 le prix de l'Association des écrivains d'expression française. Une œuvre, Bahidja, est adaptée au théâtre en 2017 par le metteur en scène Ziani Cherif-Ayad.
Raison garder , Nouvelles Leïla Aslaoui-Hemmadi Editions Média-Plus, Constantine, février, 2018 172 pages / 800 DA