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Une double tragédie pour l'Algérie
Emigration et immigration
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 03 - 2018

Le propre des grandes migrations humaines est d'être toujours tragiques. Pour son malheur, l'Algérie doit faire face, dans le même temps, à deux mouvements migratoires. Le premier a commencé à se manifester il y a environ une quinzaine d'années, à travers ce qu'on a appelé la harga, dont les protagonistes sont de jeunes Algériens qui tentent de quitter leur pays, à bord d'embarcations de fortune, pour aller en l'Europe y faire ou refaire leur vie. L'autre mouvement migratoire aux conséquences encore plus dramatiques, parce qu'il est massif, est celui qui conduit depuis quelques mois les Subsahariens, qui partent par vagues successives des confins du Sahara en direction du littoral nord de la mer Méditerranée, avec le fol espoir de s'installer en Occident. A leur arrivée en Algérie et avant d'entreprendre la traversée de la Méditerranée, ces Subsahariens s'installent avec femmes et enfants dans les quartiers périphériques et les localités environnantes de certains grands centres urbains. Cette présence commence à poser problème.
La gestion d'une masse aussi importante de migrants devient de plus en plus difficile. De curieux incidents se sont produits à certains endroits. Et pour la première fois cette année, des voix s'élèvent qui appellent à prendre des mesures strictes pour enrayer ces flux migratoires et procéder à des «rapatriements», euphémisme pour dire expulsions...
La harga des Algériens
S'agissant de la harga de nos compatriotes, rappelons que le Parlement algérien, emboitant le pas au Maroc et à la Tunisie qui avaient voté, respectivement, en novembre 2003 et en février 2004, des lois incriminant «la sortie irrégulière du territoire», a, sur proposition du gouvernement, introduit dans le Code Pénal, en février 2009, un article 175 bis 1 qui permet de condamner les harraga à une peine privative de liberté pouvant aller jusqu'a 6 mois d'emprisonnement et à une amende de 60 000 DA.
Il y a dans les chasses aux migrants clandestins que livrent les gardes-côtes des pays du Maghreb quelque chose qui participe de la sous-traitance. C'est moins notre littoral que nos flottilles gardent que les côtes des pays du nord de la Méditerranée, vers lesquelles convergent harraga et migrants subsahariens. Cette sous-traitance qui ne dit pas son nom est de plus effectuée à titre gracieux. Il n'y aurait, semble-t-il, que la Turquie, autre voie de passage pour les Arabes fuyant les guerres et les Africains en provenance du Soudan, de l'Ethiopie et de l'Erythrée, qui a conditionné sa sous-traitance à l'octroi de quelques contreparties, notamment en matière de visas. Dans le Maghreb, la Libye qui, pour redorer son blason totalement terni après deux attentats commis contre des avions civils de la Pan Am et de l'UTA au-dessus de l'Ecosse en 1988 et du Niger en 1989, avait, bien avant le Maroc, la Tunisie et l'Algérie, lancé la chasse aux émigrés, vient de se faire remarquer de la pire manière que ce soit.
La chasse aux migrants est systématique et les migrants capturés sont parqués comme du bétail dans des hangars ou dans des enclos sévèrement gardés. L'Union européenne et l'Italie en particulier y auraient poussé en versant aux Libyens quelques subsides ou en leur livrant quelques moyens matériels... L'occasion faisant les larrons et l'atavisme esclavagiste s'étant ravivé, des Libyens, assistés de complices sahéliens ou subsahariens, vendent et achètent en Libye même des êtres humains, comme au temps de la traite négrière et de la colonisation de l'Afrique. La preuve de l'existence de marchés d'esclaves a été apportée par les films, largement diffusés sur la Toile par CNN. Le scandale est universel. Le CICR, l'UNHCR et le Conseil de Sécurité de l'ONU s'en sont émus. En fait, la Libye court à sa perte !
En Algérie, il ne se passe plus une semaine depuis quelque temps sans que l'on signale l'interception par les gardes-côtes de la Marine nationale d'embarcations de fortune, transportant des groupes de jeunes gens, parfois des femmes et des enfants, tentant de passer en Europe.
A l'évidence, longtemps minimisée et réduite, d'abord par la loi pénale, à un délit presque contraventionnel, ensuite, par les statistiques de l'activité des gardes-côtes et des tribunaux, à de simples faits divers sans importance, la harga que l'on pensait éradiquer rapidement a pris au contraire de l'ampleur. Les autorités sont interpellées. La tentation est grande d'aller à la solution la plus facile et en même temps la moins efficace, qui est celle d'aggraver les peines prévues par l'article 175 bis 1 du Code pénal. Il ne faut surtout pas y céder car le risque est grand qu'une répression plus sévère ne soit tout autant impuissante à régler le problème de l'émigration clandestine. Il est à craindre, en effet, que la misère sociale à laquelle s'ajouterait une répression pénale plus sévère n'aboutissent qu'à rendre la situation encore plus explosive. Il faut, quoi qu'il nous en coûte, nous rendre à certaines évidences.
La harga est la seule possibilité de partir à l'étranger pour ceux à qui il devient impossible de rester chez eux. Dans les cités délabrées des sous-quartiers de nos villes, dans les masures des villages, quand les privations, le chômage, et la crise du logement deviennent insupportables, que peut faire un homme dans la force de l'âge ? C'est de ces immeubles décatis et abîmés des cités et des villages périphériques, viviers de la harga, et non des quartiers huppés des grands centres urbains et des résidences balnéaires, que s'élèvent les hurlements de douleur des mères, des épouses et des sœurs quand leur parviennent les nouvelles des naufrages, des noyades et des disparition en mer.
L'«Algerian Dream» des années 1970 s'est transformé en un film d'épouvante, plein de chômeurs, de «hittistes», de sans-domicile-fixe, de drogués, de dealers, de criminels, de rapts d'enfants, de terroristes, de bigots compassés et de zombies égorgeurs. Ce n'est pas un besoin bourgeois irrésistible de partir en villégiature qui pousse tant d'hommes à quitter leur pays et à risquer leur vie en Méditerranée à bord de frêles embarcations. Au contraire, il n'y a que de la souffrance dans la harga. Il n'y a que du désespoir chez les harragas et il n'y a que de l'amertume et du chagrin dans les familles des harragas. Ayant bu le calice du mal-être et de la mal-vie jusqu'à la lie et jusqu'à l'écœurement, les harragas rejettent le poids paralysant du «mektoub», brisent les lourdes chaînes du fatalisme traditionnel et prennent le large. Malheureusement pour eux, des bateaux patrouilleurs, déployés le long de notre littoral, veillent, nuit et jour, à les empêcher manu militari de partir et nos tribunaux auxquels ils sont livrés les traitent comme des malfrats.
Quand ils sont pris de l'autre côté de la Méditerranée, l'accueil qui leur est réservé n'est ni hospitalier ni affable. Ils sont interpellés, gardés à vue, emprisonnés, jugés et condamnés comme des délinquants.... Emigration en deçà, immigration au-delà, les mots pour nommer le fait délictueux changent, le traitement subi par le harrag est le même, ici et ailleurs ! Jadis, il y avait dans les législations pénales de certains pays une peine dite de bannissement. Elle consistait à déporter et exiler certains criminels dangereux. De nos jours, il y a des pays, comme le nôtre, qui condamnent à la prison et à de fortes amendes leurs nationaux qui veulent aller à l'étranger. C'est-là une infraction nouvelle. Cette nouveauté est-elle un progrès ? Le législateur algérien, en prévoyant des sanctions privatives de liberté contre ses nationaux qui tentent de se rendre clandestinement à l'étranger, a-t-il fait œuvre utile ? Et si oui, au profit de qui ? En d'autres termes : quand les gardes-côtes des pays du Maghreb se lancent à la poursuite de leurs compatriotes qui tentent de traverser la Méditerranée, quel territoire protègent-ils ? Le territoire national ou les territoires de quelques pays occidentaux ? Les pays du Maghreb ne sont-ils dans cette affaire que des sous-traitants pour le compte des pays occidentaux ? Et si c'est oui, quelle est la contre-partie de cette protection ? Quelle est, en termes de moyens matériels et financiers, la contribution et l'apport des pays du nord de la Méditerranée aux frais engagés par les pays du Maghreb contre les migrations clandestines ? Un grand homme d'Etat, qui a présidé aux destinées d'un pays de la rive nord de la Méditerranée, a dit : «En matière de relations entre Etats, c'est la règle de fer de ne rien donner pour rien !»
Cette année, les autorités espagnoles, les autorités italiennes et les autorités locales de la Sardaigne, inquiètes devant le flux continu des harragas en provenance d'Algérie, ont réagi vivement, semble-t-il, auprès des autorités algériennes leur reprochant, selon la presse, une baisse de vigilance dans la surveillance de nos propres côtes ! Remarquons que les interceptions sont devenues plus fréquentes. Les naufrages aussi. Dans les eaux territoriales tunisiennes, près de l'archipel de Kerkenna, le 8/10/2017, un patrouilleur militaire et une embarcation de fortune se sont télescopés de nuit, par maladresse disent les uns ; délibérément, disent d'autres. L'embarcation des harragas a sombré par trente mètres de fond.
Plusieurs sont morts et d'autres sont portés disparus... Les corps de plusieurs victimes ont été repêchés à des kilomètres du lieu du sinistre. Il y aurait, selon certaines sources, au total près d'une centaine de victimes ! Les morts par noyade et les disparitions en mer sont, au large des côtes libyennes, plus nombreuses et quasi quotidiennes.
L'émigration clandestine des Algériens ne cessera ou ne diminuera que lorsque l'Algérien trouvera chez lui ce qu'il va actuellement chercher à l'étranger.
C'est au gouvernement qu'il appartient de définir une politique économique et sociale, à même de contenir l'émigration des Algériens vers d'autres cieux et de convaincre ceux qui sont à l'étranger de revenir dans leur pays.
Quant aux bien-pensants qui croient convaincre les Algériens que la harga est un péché en raison des risques de noyade qu'elle comporte, rappelons que, selon la Charia, l'individu qui meurt noyé, comme du reste celui qui périt dans un incendie, est assimilable à un chahid. Les hommes de religion le savent. Beaucoup de citoyens le savent aussi. Ils ont appris cela d'un hadith rapporté par Al Boukhari, Muslim, Abu Horeira et Abu Daoud.
Les Subsahariens en Algérie
S'agissant à présent des migrants Subsahariens qui se pressent chez nous, leur nombre a connu un accroissement considérable en 2016-2017. Généralement, ces migrants squattent, faute de structures d'accueil disponibles, les voûtes des ponts, les tunnels désaffectés ou inutilisés, les immeubles inachevés ou abandonnés ou plus simplement des baraquements en bois ou en tôles, situés dans des bidonvilles ou à la campagne.
Mais ces migrants – même si quelques-uns d'entre eux travaillent dans les champs ou sur des chantiers de travaux publics — n'ont pas l'intention de s'installer en Algérie. Ils ne sont qu'en transit, attendant de trouver le moyen de traverser la Méditerranée et de débarquer sur les côtes de l'Espagne, de l'Italie ou de la Grèce. Or, une étrange rumeur s'est répandue comme une traînée de poudre, à la fin du printemps dernier, selon laquelle les migrants subsahariens seraient une menace pour notre sécurité nationale.
Comme pour enfoncer le clou, d'autres rumeurs lancées on ne sait par qui et à quelles fins précisaient que ces migrants seraient en plus un danger pour notre santé et nos mœurs ! La rumeur est devenue information quand on ne sait par quel tour de passe-passe des médias nationaux ont commencé à broder sur ces envahisseurs menaçants qui remontaient par vagues successives du Grand Sud vers la partie nord de notre pays. Ces articles de presse épars étaient-ils les prémisses annonciatrices d'une campagne de presse contre les migrants subsahariens ? Un grand quotidien arabophone d'Alger a même titré sa page une : «Les migrants sont un danger pour la sécurité nationale». A le croire, derrière chaque Subsaharien homme ou femme et chaque enfant noir, qui viennent chercher refuge en Algérie, se dissimuleraient de redoutables ennemis de l'Algérie. Lui faisant écho, un quotidien francophone de l'Ouest a titré en une, «Des réseaux organisés menacent notre sécurité nationale» ! Puis, enfonçant le clou, ce journal, réputé pour le sérieux de ses analyses politiques et qu'on ne saurait en aucune façon soupçonner de vouloir déclencher des «pogromes» anti-Noirs, ni de faire des réfugiés économiques et politiques, noirs ou arabes, les boucs émissaires de nos propres errances économiques et politiques, a titré un de ses articles : «A Aïn el Turk, c'est l'invasion des Subsahariens !» Dans un autre quotidien, un billettiste a écrit cette phrase qui trahit toute la gêne éprouvée par beaucoup d'Algériens devant ce déferlement de propos xénophobes et alarmistes : «L'Algérien est peut-être plus xénophobe que raciste !» Or, les termes xénophobie et racisme sont synonymes.
On ne peut pas être xénophobe sans être raciste, et inversement. Un autre journaliste y affirmait : «Le racisme est né du colonialisme.» Il est évident qu'on peut dire aussi que le colonialisme est né du racisme. En l'espèce, on n'est pas loin de la métaphore de l'œuf et de la poule : l'œuf provient de la poule et celle-ci provient de l'œuf ! En tout état de cause, il y a du racisme, y compris dans les pays qui n'ont pas subi le colonialisme. Constatons une fois de plus qu'il est hélas fréquent chez nous, chaque fois qu'une situation ou un évènement nous échappe, d'en imputer la responsabilité au colonialisme.
Les Rohingyas de Birmanie ne sont pas victimes du colonialisme mais du racisme, de l'intolérance religieuse et du fanatisme des bonzes bouddhistes. Ils sont persécutés, expropriés, maltraités, chassés de leur pays, par dizaines de milliers. Parce qu'ils sont musulmans ! En ce qui nous concerne, rappelons-nous qu'il y a des Algériens de couleur, notamment dans les wilayas de l'Extrême Sud.
Les Algériens noirs et les étrangers de couleur, qu'on humilie après leur avoir fait du mal, n'oublient pas et ne pardonnent ni le mal ni l'humiliation qu'ils subissent de la part de leurs frères et de leurs amis. Faut-il encore noter qu'en arabe on dit «3abd» pour désigner les personnes de couleur et que le terme «3abd» signifie dans le langage courant esclave ! Il n'est pas sans intérêt de rappeler aussi, à ce propos précisément, que le premier muezzin de l'Islam était un Noir et portait le prénom de Bilal.
Il fut choisi par le Prophète (QSSSL), en personne, qui l'avait ainsi préféré à tous ses autres Compagnons blancs. N'imputons donc pas à l'Islam les turpitudes de certains musulmans d'hier et d'aujourd'hui, tels notamment que ces tristes marchands d'esclaves – qu'Allah les maudisse ! — qui sévissent en Libye, ou ces misérables criminels de Boko Haram – qu'Allah les maudisse eux-aussi ! – qui enlèvent des jeunes filles au Nigeria pour leur usage personnel. «Comment Dieu peut-il servir d'excuse à ces salauds ?» s'est écrié, à propos de la mafia du port de New York, un personnage de Budd Schullberg, auteur du roman policier Sur les quais et scénariste du film d'Elia Kazan, qui porte le même titre que le roman. Mais ce qui est le plus désolant, c'est que ces rumeurs sur l'existence d'une 5e colonne formée de Subsahariens qui pénètrent clandestinement en Algérie, un couteau entre les dents et porteurs de maladies épidémiques mortifères, n'aient jamais été démenties ou dénoncées par les autorités.
Au contraire, elles ont été reprises et diffusées par plusieurs médias algériens. A un certain moment, les articles étaient tellement nombreux que l'on s'est mis à soupçonner le déclenchement d'une campagne de propagande commanditée et orchestrée par quelques irresponsables algériens. Le lynchage n'était pas loin ! Les rumeurs et fausses informations au sujet des migrants africains en transit en Algérie ont été réitérées par au moins deux membres — et pas des moindres — du gouvernement algérien, en juillet 2017 et par l'ancien président de la CNCPPDH, le bâtonnier Farouk Ksentini. Tous les trois soupçonnaient, ont-ils laissé entendre, un complot ourdi par des forces occultes étrangères et leurs complices de l'intérieur. Il est connu que la dénonciation de la main étrangère n'est jamais dans la bouche de certains hommes politiques algériens qu'une technique d'enfumage destinée à détourner l'attention du peuple des vraies questions qui se posent, et des dangers réels qui menacent le pays. La manipulation était trop grosse et nous allons vite oublier ces déclarations alarmistes, racistes et extravagantes ! Reste à savoir si les Africains les oublieront !
Quelques rappels à ceux qui ont la mémoire courte
En ce qui nous concerne, nous continuerons à rappeler qu'Alger fut, au moins à deux reprises, capitale culturelle de l'Afrique, en 1969 puis en 2009. On se souvient des deux Festivals panafricains (Panaf) qui y ont eu lieu et de leur retentissement international. Ces deux grands évènements sont gravés dans notre mémoire collective. Certains d'entre nous les portent aussi au plus profond de leurs cœurs. Nous savons que parmi les artistes qui ont rehaussé de leur participation le festival de juillet 1969, il y avait : Miriam Makeba, Archie Shepp, Barry White, Manu Dibango, Nina Simone, Ousmane Sembène, Aminata Fall, André Salifou.
On se souvient que le deuxième festival a rassemblé 49 Etats dont les USA, le Brésil et Haïti et que son éclat a été rehaussé par la participation de grands artistes subsahariens, notamment Youssou N'Dour, la regrettée Cesária Evora et Alpha Blondy qui, fin novembre 2017, a lancé un appel poignant à la conscience des Africains et des Européens, les exhortant à porter secours aux migrants africains que des trafiquants libyens parquent dans des hangars et des enclos pour animaux, les maltraitent et les vendent à des négriers. Qui aura le courage aujourd'hui de rappeler la liste des noms des grands de l'Afrique qui, par respect et amitié pour notre pays et son peuple, venaient les-uns derrière les autres effectuer des visites officielles, des visites d'amitié et plus simplement encore pour y passer un congé ou des vacances ? Qui peut dresser la liste des cadres africains formés dans nos écoles et nos instituts supérieurs relevant du ministère de l'Enseignement supérieur ou d'autres départements ministériels tels que le ministère de l'Intérieur (ENA, CFA, Transmissions, Protection civile...), et qui, de retour chez eux, y ont occupé de hautes fonctions ? Qu'est-ce donc qui a changé entre les Algériens et les Africains ? Comment les Africains nous perçoivent-ils aujourd'hui ? Est-ce notre façon de les voir qui aurait muté ? Le poison du racisme et de la haine raciale a-t-il pétrifié nos cœurs et pourri nos cerveaux ? A-t-on oublié qui était le Docteur Frantz Fanon et quelle couleur était sa peau ? Savent-ils que F. Fanon fut ambassadeur de l'Algérie combattante ? Leur a-t-on dit que ce Noir natif de la Martinique, territoire français, aimait tellement l'Algérie qu'il a acquis la nationalité algérienne et s'est fait inhumer en Algérie? Alger n'a-t-il pas été un certain temps le carrefour des Nations africaines renaissantes, la plaque tournante des amitiés agissantes et fidèles, le passage quasi rituel des patriotes et des révolutionnaires africains, peut-être aussi le point central de la partie la plus glorieuse de l'Histoire de l'Afrique, celle précisément de la décolonisation et des indépendances ? Alger n'est plus de nos jours qu'un triste et sinistre lieu de transit pour les Africains naguère accueillis dignement et en toute amitié, aujourd'hui rabroués, pourchassés, raflés, humiliés et expulsés manu militari. Comment expliquer ce revirement de situation ? Pourtant, on ne voit dans le regard des Noirs, hommes, femmes et enfants, qu'on rencontre aux coins de nos rues, que de l'inquiétude, de la souffrance et des appels au secours.
On ne devrait ressentir envers eux que de la pitié et de la compassion. Peut-on tolérer que des responsables d'une organisation nationale humanitaire qui n'existe que pour porter secours et soulager la souffrance des damnés de la terre ne prennent pas sur eux-mêmes de créer des centres d'hébergement et de soins médicaux et points de distribution de vivres et de vêtements aux Subsahariens nécessiteux sans se défausser de cette noble et belle mission sur les collectivités locales ? Comment est-il possible de dire que les Subsahariens portent en eux des maladies virales et infectieuses ? Y aurait-il parmi nous des docteurs Josef Mengele, prêts à lancer des opérations folles de purification ethnique ? De ces affirmations infâmes et de certains gestes insensés ne peuvent jaillir en effet que les vieux démons du racisme et n'en résulter que plus de violence et de brutalité.
Nos difficultés économiques et sociales actuelles dont personne n'ignore la gravité, nos angoisses et nos coups de colère ne sauraient nous dispenser de nous comporter correctement envers les migrants subsahariens et d'excuser les attitudes gauches ou déplaisantes de quelques-uns d'entre eux, qui, de toute manière, sont en grande souffrance. Ils vivent en dessous du seuil de pauvreté des pays les plus pauvres du monde. Ils sont dans leur pays, martyrisés par des fous de Dieu. Quand, par extraordinaire, ils parviennent à leur échapper, ils tombent en servitude chez d'autres soi-disant frères en Dieu, qui les exploitent comme des esclaves et les vendent comme du bétail. La chaîne TV nord-américaine CNN a récemment apporté la preuve irréfragable, par l'image et le son, de l'existence de marchés d'esclaves en Libye.
Ce terrible documentaire a par ailleurs levé le voile pudiquement posé sur la réalité sociale et politique de la Libye qui du roi Idris Senoussi au colonel Mouammar Kadhafi et à ce jour n'a jamais été qu'un conglomérat de confréries religieuses archaïques et une invraisemblable mosaïque de tribus primitives, c'est-à-dire de groupes sociaux plus ou moins grands, formés sur la base de liens de parenté plus ou moins distendus. Après avoir participé au lancement du processus d'unification de l'Etat italien, l'un des penseurs et acteurs du Risorgimento et de l'Unité italienne, le marquis Massimo D'Azeglio, aurait dit : «Nous avons fait l'Italie, à présent nous devons faire les Italiens !»
Le roi Idris 1er et le guide Mouammar Kadhafi qui l'a remplacé ne se sont manifestement pas inspirés de la politique d'unification des grands hommes du Risorgimento italien, comme Garibaldi, Cavour et D'Azeglio qu'ils connaissaient forcément. L'histoire retiendra que malgré tout le temps passé au pouvoir, ni l'un ni l'autre n'ont su faire des Libyens une nation une et indivisible ! Quant à leurs successeurs d'aujourd'hui, ils se sont organisés en clans, installés les uns en Cyrénaïque, les autres en Tripolitaine, d'autres peut-être dans le Fezzan, chacun a son armée ou ses milices, son gouvernement et son parlement, ils ne se parlent pas et se rejettent mutuellement...
L'affaire libyenne a épuisé et usé une bonne demi-dizaine de médiateurs onusiens, sans résultats positifs.
La Libye : le pays des confréries, des tribus et des clans
La Libye fait partie de la catégorie des pays où les sociétés sont fragmentées, segmentées, morcelées et divisées, c'est-à-dire des pays sans Etat, au sens moderne du terme et où il n'existe pas ce groupement humain qu'on nomme la nation et qui transcende les confréries, les sectes, les tribus, les régions, les villes et les villages...
La Libye n'est riche que par son pétrole. S'il y a de belles autoroutes sur lesquelles circulent de puissantes voitures automobiles, de belles cités avec des habitations cossues, des marchés (sont) bien achalandés, des habitants correctement vêtus, la Libye n'en reste pas moins politiquement d'une indigence et d'une arriération étonnante. C'est dans ce pays qu'on trouve aujourd'hui la plus forte concentration de négriers et d'esclavagistes. Les incidents, dérives et dérapages qui se sont produits ces derniers mois dans ce pays contre des migrants subsahariens en détresse devraient être pour nous l'occasion, non pas de dénoncer une fois de plus, comme des perroquets dressés, on ne sait plus quel complot ourdi par on ne sait quels conjurés de l'intérieur ou de l'extérieur, mais d'agir diplomatiquement au niveau bilatéral, et sur le plan multilatéral, au niveau de l'Union africaine, de l'Union européenne, à l'ONU et dans ses différentes agences et structures, et pourquoi pas au niveau de la Ligue arabe dont certains membres disposent de beaucoup d'argent, pour réfléchir ensemble à des solutions aux crises politiques, économiques et sociales qui ébranlent les pays africains et chercher avec tous les voies et moyens de faire cesser les mouvements migratoires de l'Afrique vers l'Europe. Pourquoi tout en criant une fois de plus «haro !» contre le colonialisme, en appeler piteusement encore les hommes blancs à la rescousse à l'effet d'organiser des conférences, des assises et réunions internationales de bailleurs de fonds ? L'UA, l'UMA, les autres organisations régionales africaines sont-elles à ce point atteintes de paralysie et d'impuissance ? Ne peuvent-elles rien initier d'elles-mêmes, réfléchir par elles-mêmes à des solutions à ces problèmes qui sont africano-africains et arabo-arabes, à s'assumer et se prendre en charge ? Les Africains et les Arabes ont assez des sempiternels communiqués où il n'est question que de «parfaite identité de vue, de renforcement de la coopération, de solidarité, de fraternité... et d'unité arabe et/ou africaine»! Plus personne ne croit à ces balivernes. Tous les pays d'Afrique et plus encore les pays arabes sont des pays fermés où chacun s'isole, à qui mieux-mieux, en fortifiant les frontières, en multipliant les contrôles, les refoulements, les expulsions... Jamais les pays arabes n'ont été aussi divisés que ces dernières années. Jamais la désunion n'a été aussi grande dans le Maghreb qu'aujourd'hui...
Boat people et éxodes au XXIe siècle
Les grands mouvements migratoires qui partent des côtes sud de la Méditerranée ressemblent aux boat people qui partaient du Viet Nam entre les années 1975 et 1980, avec cette différence que les vagues de migrants des années 1970-1975 fuyaient vers l'Europe et les USA, tandis que les migrants des années 1978-1980, qui fuyaient la guerre sino-vietnamienne, sont allés chercher refuge en Chine. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a évalué entre 200 000 et 250 000 personnes le nombre des migrants qui ont péri, victimes des gardes-côtes, des pirates ou de noyades durant ces années-là. Les migrations d'aujourd'hui, par l'ampleur qu'elles ont prise dans la partie orientale de la Méditerranée, le nombre des pays qu'elles affectent, rappellent de plus en plus l'Exode de la Bible, c'est-à-dire la fuite éperdue des peuples opprimés par le Pharaon vers une problématique Terre promise. Avec cette immense différence qu'aujourd'hui, le miracle attribué à Moïse n'a aucune probabilité de se renouveler en Méditerranée ou ailleurs, ni pour les Africains ni pour aucun autre peuple ! Il n'y a plus de peuple élu et les temps prophétiques sont clos depuis fort longtemps ! Aujourd'hui, la règle est : chacun pour soi et Dieu pour tous, pourrait-on dire.
Afrique, deux priorités : libération et reconstruction
Le salut des pays du Sahel et de la région sub-saharienne est dans leur libération du terrorisme islamiste, du banditisme transfrontalier et dans la reconstruction économique. Au plan économique, il est encore temps pour la communauté internationale de mettre en place un plan pour la reconstruction des économies des pays de la sous-région du Sahel, aujourd'hui exsangues.
Sans cependant avoir ni l'ampleur ni le coût du plan Marshall de 1947 initié par les USA au profit des pays européens que la guerre 1939-1945 avait laissés en ruines, un plan international pour la survie des Etats subsahariens est une nécessité absolue. S'agissant de la lutte contre le terrorisme islamiste qui sévit dans le nord de l'Afrique, dans le Sahel et dans la région subsaharienne, alors même que personne ne conteste qu'il appartient en priorité aux armées et aux services de sécurité de ces pays d'être à la pointe du combat, nul ne saurait contester que sans l'intervention armée d'une puissance occidentale, Bamako serait peut-être encore à ce jour la capitale d'un émirat islamiste.
C'est là par ailleurs la démonstration que l'on ne saurait, sous prétexte de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, laisser les pays du Sahel, de la région subsaharienne et la Libye, se débrouiller tout seuls, comme ils peuvent, en s'appuyant sur leurs seules armées et polices. Mais il faut savoir que le soldat africain noir n'est pas plus mauvais, ou moins courageux ou moins brave que le soldat blanc africain ou européen. Pas de paternalisme ni de condescendance mais des alliances et des partenariats. Les Africains ayant combattu sous le drapeau français lors des deux guerres mondiales et lors de la guerre du Viêt-Nam ont montré leur parfaite aptitude au combat et leur courage face à l'ennemi. Les armées africaines d'aujourd'hui ont simplement besoin d'être appuyées et soutenues en moyens logistiques et financiers, de bénéficier de l'assistance technique des officiers instructeurs des armées de pays amis ou alliés. Il n'y aura jamais, me semble-t-il, assez de coordination avec les forces africaines et les forces amies ou alliées, assez de soutien au sol, de soutien aérien, de partage de renseignements, de formation technique et tactique, ni d'aide in situ avec des commandos mixtes, ni de recours à un encadrement entraîné et aguerri... Le terrorisme islamiste est en train de détruire plusieurs pays après avoir totalement désarticulé d'autres comme le Mali, le Nigeria et la Libye.
C'est une guerre totale et implacable qu'il faut lui faire, où qu'il soit. En plus clair, c'est en lançant et en soutenant des initiatives humaines et généreuses du genre «plan Marshall» de développement économique et social, comme suggéré ci-dessus, et en favorisant la création de forces conjointes de lutte contre le terrorisme et le banditisme transfrontalier, que l'Algérie restera fidèle à elle-même, que sa diplomatie retrouvera son aura et que ses forces armées donneront la pleine mesure de leur savoir-faire et de leur efficacité opérationnelle.
L'Algérie a certes beaucoup fait pour les pays du Sahel et la Libye en particulier. Cela nul ne le conteste. Néanmoins, l'Algérie peut assurément mieux faire. Elle n'a par contre rien à gagner à lancer par-dessus ses frontières des bordées d'invectives contre les uns et les autres, d'autant que cinq à six de ces frontières sont des zones de tension parsemées de points chauds.Dans notre culture, les termes solidarité et fraternité ne sont pas des concepts abstraits, mais des exigences concrètes.
Finissons-en avec les formules incantatoires, les grandes messes diplomatiques sans suites concrètes, les colloques et séminaires où l'on ne fait que pontifier et pérorer, et traçons ensemble des programmes d'actions, fixons-nous des feuilles de route puis activons chacun selon ses moyens, et en coordination étroite avec les autres.
Et retrouvons-nous à dates fixes pour des bilans et des évaluations !
Z. S.


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