Le Soir d�Alg�rie : Quel chemin vous a-t-il men�e vers l'�criture? Faroudja Amazit : L'�criture a toujours �t� mon compagnon de route dans mes moments de solitude, et ce depuis mon enfance. Contrairement � d'autres petites filles qui s'accompagnaient de leurs poup�es pour jouer, j'aimais d�j� griffonner, entendre le bruit du crayon craquer sur la feuille quand l'inspiration �tait au rendez-vous ! Mes poches �taient toujours pleines de papier, avec des mots qui se m�lent et s'entrem�lent comme des notes de musique. C'est la d�couverte de cette magie qui m�a donn� envie de continuer � �crire. Cela fait dix ans que je me prom�ne avec un carnet de poche gliss� � l'int�rieur de mon sac � main ou de ma veste, � rester l� sur un banc avec mon imagination. Il y a deux ans, j'ai voulu �crire ma propre histoire, le soir � la maison, quand j�avais termin� mon travail chez Dior. Comment vos parents, partis d'Ifigha, se sont retrouv�s � Neuilly et qu'y faisaient-ils ? Mon p�re est venu seul vers les ann�es 1949 en France, � cette �poque o� l'Alg�rie �tait fran�aise. Lui, le berger d'Ifigha, avait construit seul un projet de vie pour sa famille. Mon p�re, Salem, voulait plus de confort pour les siens qu�il aimait. Car la vie dans les montagnes �tait rude et il �tait de condition plus que modeste. Mon p�re est arriv� dans cette ville bon chic bon genre de Neuilly par le fait du destin. � cette �poque, nous n��tions que deux familles. Il vivait dans une ferme, avec des chevaux qu�il attelait sur une carriole pour monter et d�monter les march�s, puis les chevaux ont �t� remplac�s, par la suite, par des tracteurs. Salem exer�ait deux m�tiers pour offrir une vie digne � notre famille. En �conomisant chaque sou, il a r�ussi � faire venir ma m�re et mes trois premiers fr�res � Neuilly. Ne sachant ni lire ni �crire, il avait compris que pour r�ussir sa vie ailleurs, il fallait se servir d'autres capacit�s, comme l'intuition et l��motion, ainsi que les valeurs du travail et le respect des autres dans sa diff�rence. Vous avez eu une enfance emplie de souffrances en d�pit du fait que vous sentiez l'amour de vos parents. Racontez-nous pourquoi elle est devenue difficile ? Un enfant est un don que la vie nous confie. Nous avons la responsabilit� d'en faire des hommes et des femmes libres pour le monde de demain. Quand un enfant vit dans un univers de souffrance, il va se structurer avec ses peurs, ses angoisses, ses blessures et le rendre plus fragile. L'enfant se construit � travers l'image et les mots de l'adulte, c'est pour cela que nous devons pr�server leur innocence le plus longtemps possible. Parfois nos parents ont v�cu aussi � travers des sch�mas r�p�titifs, ce qui fait que nous sommes aussi des enfants bless�s, j'ai �t� cette petite fille bless�e, mais j'ai aim� �perdument mes parents et ma famille. L�enfant a une capacit� d'aimer et de pardonner � l'adulte. Aimonsles aussi � notre tour avec dignit�, chaque enfant est un peu le n�tre. Votre p�re semble �tre une figure qui vous a particuli�rement marqu�e. Dites-en davantage... Mon p�re �tait un homme qui me rassurait, il �tait solide, tendre, je savais qu'il ne pouvait rien m'arriver : il �tait mon protecteur, je me nourrissais de ses sourires. Chaque apparition �tait une respiration, un nouveau souffle de vie, qui me faisait grandir. Il a �t� une image positive pour ma construction de petite fille et d�adolescente, j'�tais toujours accroch�e � son bras pour dire qu'il �tait un merveilleux p�re parti trop vite. On avait tr�s peu de conversation ensemble, mais j'aimais sa pr�sence, j'aimais ses silences qui me faisaient exister � travers mes mots. Il fut un p�re aimant ses enfants en s'oubliant lui-m�me. Un homme des montagnes de Kabylie, fier et courageux. Malgr� les handicaps de votre enfance, vous �tes arriv�e � avoir une situation confortable, un travail chez Dior, et m�me � vous lancer dans l'�criture. Est-ce une sorte de revanche sur la fatalit� ? J�ai voulu aller � la rencontre de l�humanit� en levant un jour les yeux vers l'autre, et aller vers cette main tendue qui allait bouleverser ma vie pour rentrer dans cette maison prestigieuse. Cette maison de luxe fait partie de mon destin, moi venant d'un milieu modeste, je ne pouvais imaginer un tel cadeau. J'ai fait trois fois le tour avant de p�n�trer dans ce monde de r�ves en pensant que ce n'�tait pas possible, ils m'ont donn� ma chance et cela depuis 22 ans. Gr�ce � cette maison aux quatre lettres d'or, je me suis construite, en tant que femme, avec le savoir-faire et le savoir-�tre, ils m'ont donn� l�opportunit� de r�ussir. Cette maison de luxe a r�ussi sa diversit� dans le monde entier. Vous avez r�solu les questions de l'identit� en acceptant d'�tre � la fois de Neuilly et d'avoir l'identit� alg�rienne, kabyle, de vos parents. Quels conseils pourriez-vous donner � ceux qui vivent cette double appartenance comme un d�chirement ? Oui, c'est une vraie question : comment concilier deux cultures, garder ses racines tout en s�adaptant � une nouvelle vie ? J'ai tout essay�. De ne faire vivre que l'Alg�rienne, j'�tais en souffrance, et de ne faire vivre que cette Fran�aise, j'�tais aussi en souffrance. Donc, il fallait que j'apprenne � les faire cohabiter. J�ai mis plusieurs ann�es pour comprendre que ce sont deux richesses fabuleuses, oui deux cultures radicalement oppos�es mais si riches, avec chacune leur histoire. On peut �tre franco-alg�rienne, sans renier son identit�, ses racines, son histoire et s'enrichir culturellement de la France et de son histoire aussi. J'ai �t� jeune aussi et en col�re, mais la col�re ne doit �tre que de passage, il ne faut pas la garder, il faut apprendre � la transformer en positif pour se construire. La vie nous offre un fabuleux voyage avec une porte d'entr�e et une porte de sortie, faisons de nos vies un miracle. Votre livre est un condens� de r�v�lations sur les membres de votre famille. Pouvez-vous nous dire comment a-t-il �t� re�u par eux ? Je parle avec pudeur de ma famille, je suis parce qu�ils sont, j'ai beaucoup d'admiration pour eux car ils ont aussi leurs blessures. Ce livre parle d'un contexte de vie, on peut vivre dans une ville bourgeoise en �tant modeste et avoir les m�mes souffrances que celui qui va habiter � Bondy. J'ai �crit Les Larmes invisibles pour mettre des mots � nos maux, pour la protection de l'enfant car tout part de l� pour en faire des hommes et des femmes accomplis.