Les Ateliers sauvages ont abrité dernièrement un hommage au cinéaste Farouk Beloufa, disparu le 9 avril dernier. Ses amis, les amoureux de son cinéma et ceux qui ont travaillé avec lui étaient présents pour parler d'une expérience unique dans le 7e art algérien. Ce n'est qu'une semaine après son enterrement que les amis et anciens collègues de Farouk Beloufa apprennent son décès. Wassyla Tamzali décide alors d'organiser un modeste hommage au cinéaste avec, au programme, la projection de son unique long métrage Nehla, mais aussi le making-off réalisé par la cinéaste libanaise Jocelyne Saâb, ainsi que des témoignages de ses amis et anciens collaborateurs. Merzak Allouache qui a fait ses premiers gestes derrière la caméra en compagnie de Beloufa, s'est dit choqué d'avoir appris sa disparition silencieuse, des jours après les obsèques. Il se souvient de leurs premiers pas, côte à côte, au cinéma, à l'époque du parti unique avec lequel ils ont essayé de composer avant de prendre leur envol ailleurs. Il a transmis également un bref message du fils du défunt, Neïl Beloufa, également cinéaste et artiste-plasticien, qui «souhaiterait que Nahla soit projeté dans les salles algériennes». Allouache ajoute que même ayant été produit par l'ENTV, ce film pourrait être récupéré par les ayants droit puisqu'après trente ans la propriété exclusive n'est plus de mise. Pour sa part, Kamel Mekesser, qui a travaillé comme ingénieur de son sur le tournage du film, se souvient d'abord de Beloufa quand il était premier assistant dans L'enfant prodige de Youcef Chahine : «Ce dernier était d'ailleurs fasciné par l'intelligence et l'universalité de culture de Farouk. Il se permettait même d'intervenir sur la mise en scène !» Et de décrire un Beloufa très directif en tant que réalisateur «il savait exactement ce qu'il voulait tant en matière de son, de photo que de découpage technique». Par ailleurs, il raconte que le disparu voulait ensuite faire un film sur Isabelle Eberhardt ainsi qu'une adaptation du roman Le pain nu de l'écrivain marocain Mohamed Choukri, deux projets restés dans le tiroir. Tahar Harhoura, directeur de production de Nahla, témoigne d'un «homme cultivé, l'un des plus brillants de sa génération. Lorsqu'il est venu à l'INC (Institut national du cinéma d'Alger), il savait déjà beaucoup de choses sur le cinéma». Se sentant à l'étroit dans l'Algérie des années 1970, il décide de s'échapper et de libérer son imaginaire à travers le projet d'un film sur le Liban, déchiré par la guerre civile. «A l'époque, témoigne Harhoura, Abderrahmane Laghaouti venait d'être nommé directeur de la télé et il a immédiatement adopté le projet de Farouk. Après la sortie du film, il a décidé de partir.» Le comédien Khaled Benaïssa qui a tourné dans le court métrage Le silence du Sphinx, très peu vu en Algérie, raconte comment Lyès Salem et lui ont été appelés à la rescousse pour sauver ce projet qui patinait depuis des années : «Ayant été financé par le ministère de la Culture dans le cadre d'un panorama africain, il devait absolument finir le tournage, à défaut de quoi il risquait la prison.» Khaled se souvient de sa première rencontre avec un «homme affaibli, isolé, triste et aigri, qui en voulait au monde entier», tout le contraire du «mythe Beloufa» terrassé par «un métier ingrat». Enfin, le critique de cinéma Samir Ardjoum, qui passait des heures à discuter de cinéma avec le réalisateur, au crépuscule de sa vie, raconte cette anecdote : «Beloufa me racontait comment, enfant, il allait au cinéma en cachette et devait quitter la salle avant le retour de son père à la maison. C'est peut-être ainsi que l'on peut décrire son rapport au cinéma : entre le désir et la peur ; et c'est, en tout cas, ce que l'on peut voir dans Nahla». Nahla justement, l'unique long métrage de Farouk Beloufa, est devenu pour certains un cas d'école et une excroissance extraordinaire dans la cinématographie algérienne, à une époque où cette dernière était plutôt tournée vers l'intérieur. Le jeune cinéaste, revenu de ses études parisiennes sous la direction de Roland Barthes, rêve déjà d'ailleurs et de dépaysement. Il décide alors de partir au Liban où il prendra le pouls d'un pays au bord de l'implosion à travers l'histoire de ce journaliste algérien (Youcef Saïah) parti en reportage au Liban où il rencontre une jeune chanteuse en voie de mythification qui succombera à une aphasie au moment même où le pays s'apprête à sombrer dans la guerre. Les passionnés de cinéma n'ont pas raté ce film éthéré et dense, exhumé trente ans après par la magie du Web (il est libre visionnage sur Youtube). Mais à leur grand bonheur, c'est son making-of que le public des Ateliers sauvages découvre lors de cette soirée d'évocation. Réalisé par Jocelyne Saâb, ce précieux document audiovisuel de 30 minutes nous offre des moments privilégiés avec le réalisateur et ses acteurs durant le tournage. On retient ce moment où Beloufa explique pourquoi il ne fait pas lire son scénario en entier aux comédiens : «D'abord pour qu'ils restent sous mon contrôle ! Ensuite, parce qu'entrer en rapport avec une scène sans avoir le temps de l'étudier et de l'assimiler, donne de meilleurs résultats.» Yasmine Khlat, qui incarne Nahla, a à peine 19 ans à l'époque et évoque son «rapport passionnel au rôle». Les Roger Assaf, Fayek Hamissi, Lina Tabbara, Youcef Saiah ainsi que les techniciens, témoigneront devant la caméra de la difficulté, mais aussi de l'excitation et du plaisir qu'ils ressentaient à participer à un film aussi exigeant tant du point de vue formel que thématique. Sarah H.