«Je suis sceptique et peu optimiste quant à l'avenir du cinéma algérien», nous a confié le réalisateur du chef-d'oeuvre Nahla. Né à Oued Fodda en Algérie, Beloufa étudia le cinéma à l'éphémère INC (Institut national du cinéma) à Ben Aknoun aux côtés de Merzak Allouache, Sid Ali Mazif et Mohamed Lamine Merbah, et à I'Idhec (Institut des hautes études cinématographiques) à Paris où il obtint son diplôme en 1967. Il suivit également des cours à l'Ecole pratique des Hautes Etudes à Paris, sous la direction de Roland Barthes (l'auteur de Le degré zero de la littérature entre autres) et il présenta une thèse sur la théorie du cinéma. Depuis ses premiers courts métrages, Situation de transition (1966) et Travestis et cassures noir sur blanc (1967) - tous deux réalisés durant ses études à 1'Idhec - Beloufa témoigne d'une esthétique très personnelle. Ses fortes opinions politiques l'amenèrent à réaliser le documentaire Insurrectionnelle (1973), qui fut remonté par les autorités algériennes et présenté en salle comme une oeuvre collective sous le titre La guerre de Libération. En 1976, il travailla comme assistant auprès du grand réalisateur égyptien Youssef Chahine sur le long métrage Le Retour de l'enfant prodigue (Awdat al-ibn al dall) réalisé en coproduction avec I'Oncic. Son unique long métrage de fiction fut Nahla-coécrit avec Rachid Boudjedra- (1979), produit par la RTA mais tourné en 35 mm et en vue d'une exploitation en salle. Ce film a clôturé vendredi dernier les 7es Rencontres cinématographiques de Béjaïa. Nahla se déroule au Liban au début de la guerre civile et fait un portrait réaliste de la vie des Libanais, notamment de journalistes et activistes palestiniens au début de l'année 1975. Malgré le succès critique que remporta le film, Beloufa n'a toujours pas réalisé de second long métrage. Dans cet entretien, il nous révèle quelques anecdotes sur le tournage de Nahla et ce qu'il pense du cinéma algérien. L'Expression: Enfin! Nahla sur grand écran, même si ce n'était pas dans de bonnes conditions mais vraiment ravie de voir votre film culte dont il me semble que cette femme symbolise le Liban avec ses déchirures dues à la guerre civile perpétuelle... Farouk Beloufa: Oui, c'était l'idée de montrer, à travers une chanteuse qui s'effondre et perd la voix, la métaphore du Liban mais aussi de la Palestine. Cette femme représente réellement cette cause qui se trouve dans une impasse et qui finit par s'écrouler. Elle ne perd pas uniquement la voix mais elle perd aussi la mémoire comme toutes ces populations palestiniennes après avoir été chassées, exilées de leurs terres, et dont les repères deviennent aujourd'hui complètement aléatoires... La mémoire bien sûr est tout ce qui relève de l'intériorité du personnage de la chanteuse. Ce sont ses racines en fait. Cela concerne donc la mémoire en fait de tout un peuple et on le voit d'ailleurs, dans une interview à la télé où son entourage essaye de la canaliser et l'empêcher de parler de ses racines. C'est explicitement dit dans l'histoire... Pourquoi un seul film durant toute votre carrière? J'ai eu d'autres projets mais qui n'ont pas marché. Cela est dû à beaucoup d'obstacles. Un mot sur votre expérience cinématographique avec Youssef Chahine? J'ai été assistant, coscénariste et je m'occupais de la production avec Youssef Chahine. Ce qui est intéressant avec lui c'est de savoir qu'il a été formé dans une école classique, celle du cinéma américain. Il y a donc tout un savoir-faire qui n'existe pas chez nous en particulier. L'enseignement européen est nettement moins développé que les écoles américaines, les traditions américaines ont été poussées plus loin: pour moi c'était très riche, car avec lui je connaissais tout de suite les angles où mettre la caméra, comment le texte est énoncé par les acteurs, etc. Toutes ces choses pratiques sur ce plan -là j'en ai beaucoup appris. Vous avez en tout cas, selon moi, des points communs avec Youssef Chahine de par votre engagement politique et vos qualités de cinéaste d'abord et à travers ces notions de musique et de danse très présentes dans vos oeuvres respectives. Oui, je les revendique tout à fait. C'est absolument vrai. Ce film était complètement dans le sillage du cinéma de Chahine. Je m'intéressais à l'époque, au cinéma égyptien et comme il est la figure emblématique du cinéma égyptien c'est vrai qu'il m'a énormément influencé. Je le revendique vraiment. Comment vous est venue l'idée de faire ce film à l'époque? Justement, je travaillais sur un film de Youssef Chahine et la guerre du Liban a éclaté en 1975. On ne comprenait pas comment cette violence avait émergé ou surgi et qu'elle ait fait autant de ravages. Naturellement, j'ai été obsédé moi-même par ce qui se passait au Liban. J'ai été pour la première fois là-bas à cette époque. J'ai été saisi par ce qui se passait et le film est venu par la suite... Comment s'est effectué le casting? Les acteurs ne sont que des amis d'amis; je rencontre des gens, je vois des personnes. Par Jocelyne Saâb, j'ai rencontré le personnage de Maha, Lina Tabara; Nahla alias Yasmine Khelat, je l'ai rencontrée lors d'un casting vite fait sur place...ce qui était extraordinaire. Comme c'était la guerre, ils étaient disponibles pour une expérience particulière et là c'était pour faire un film. Un mot sur le tournage lui-même: cela n'a pas dû être une mince affaire de tourner à côté de vrais bombardements. C'est fou et risqué non? Oui, bien sûr, on tournait d'un quartier à un autre entre les milices. On a dû interrompre le tournage du film car une partie de l'équipe a été kidnappée. Il fallait les retrouver. C'était violent et très angoissant à faire. Le film date de 30 ans. Nous sommes en 2009: quel regard portez-vous aujourd'hui sur ce film et feriez-vous le même? Je me vois à travers ce film. Je vois mes croyances. Je vois comment je réfléchissais à cette époque par rapport à la situation politique mais aussi mes conceptions du cinéma. Je vois l'importance de tous les films qui m'ont influencé dans l'esthétique de ce film, notamment dans le ton, la mise en scène, dans l'engagement, d'Antonioni à certains films de Sidney Polak et de beaucoup de films italiens... Et le cinéma algérien dans tout ça? Que pensez-vous du cinéma algérien d'aujourd'hui? J'apprécie beaucoup le cinéma de Tariq Teguia qui a fait deux films que je trouve somptueux,(Roma wela n'touma et Gabla Ndlr), je trouve que c'est un cinéaste très important, qui a un regard, une démarche et une pratique complètement nouveaux dans le cinéma algérien mais pas seulement algérien.. Etes-vous optimiste quant au renouveau du cinéma algérien ou son devenir? Je ne dirais pas que je suis optimiste pour son avenir mais qu'il y aura des films intéressants à voir. Je suis très sceptique. Par contre, je sais qu'il y a des cinéastes et quelques-uns qui feront de grands films. C'est sûr.