Le film documentaire La Bataille d'Alger, un film dans l'Histoire, a été projeté deux fois à la salle El Mouggar. Malek Bensmaïl y suit la trace du long-métrage culte de Gillo Pontecorvo dont le parcours étonnant ne s'est pas limité à la sphère cinématographique. Ouvrant sur un magnifique traveling aérien balayant la ville d'Alger et notamment La Casbah au rythme des coups de baguettes asymétriques du batteur Karim Ziad, le film enchaîne les témoignages et les images d'archives dont certaines inédites retraçant le parcours étonnant de cette œuvre majeure de l'histoire du cinéma algéro-italien. Au lendemain de l'indépendance, Yacef Saâdi, chef de la Zone autonome d'Alger, troque sa mitraillette contre une caméra et sillonne l'Europe à la recherche d'un réalisateur capable d'adapter son livre sur La Bataille d'Alger. Après plusieurs refus, Gillo Pontecorvo, l'un des maîtres du néo-réalisme italien, accepte le défi tout en exigeant une totale réécriture du scénario. S'ensuivent alors le récit passionnant du tournage, le coup d'Etat de 1965, la controverse à la Mostra de Venise où le film remportera le Lion d'or au grand dam de la délégation française, l'interdiction en France où eurent lieu tout de même quelques projections mouvementées, sa deuxième vie internationale où il est appréhendé tantôt comme une œuvre artistique remarquable, tantôt comme un «manuel» filmique précieux sur les techniques de guérilla et de contre-guérilla. Ainsi, l'un des éléments à charge lors du procès contre les Black Panthers aux USA était la possession de ce film ; le bureau du Front de libération de la Palestine eut également droit à une projection dès son installation à Alger à la fin des années 1960 ; et plus étonnant encore, le centre opérationnel du Pentagone avait montré le film à ses troupes partantes pour l'Irak au lendemain de la chute de Saddam Hussein... Malek Bensmaïl affiche une volonté de cerner le film, le faire parler et le faire raconter par différents personnages, allant des protagonistes de premier plan à certains spectateurs en passant par l'équipe technique et les témoins de l'époque. En optant pour un montage dynamique et quelques scènes de reconstitution épousant les moments forts du film et en faisant le choix heureux de ne pas recourir aux scènes originales se contentant de photos de tournage et de captures d'écran, le réalisateur réussit à nous entraîner dans l'épopée d'une œuvre singulière autant par son traitement historique que par l'esthétique de sa mise en scène. On regrettera, néanmoins, que cette forme originale en soi qui oscille entre le «film sur le film» et la création endogène, n'ait pas permis la pleine expression du style Bensmaïl, ce dernier favorisant souvent le dispositif classique d'alternance entre interviews et images d'archives, ce qui crée un rapport didactique, voire directif, avec le spectateur. De plus, le récit glisse souvent dans une histoire parallèle, celle d'Alger Mecque des révolutionnaires durant les années 1960-1970, puis de l'invasion américaine de l'Irak, dont le lien avec le film de Pontecorvo s'établit de manière laborieuse, quasiment forcée. On retiendra, néanmoins, des moments forts où l'on se laisse émouvoir autant par quelques témoignages que par la majesté et la sensualité de certains plans de Bensmaïl qui clôture son documentaire sur la magnifique chanson révolutionnaire du rappeur Farid Belhoul, alias Diaz, La Bataille d'Alger, celle d'ici et de maintenant ! Sarah Haidar