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Qu'est-ce que le temps ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 06 - 2018

«Les hommes t'interrogent au sujet de l'Heure. Dis : Dieu seul la connaît.
Qui donc pourrait te renseigner ? Il se peut que l'Heure soit proche !'»
(Coran : Sourate XXIII, les Factions, verset 63.)
En ce mois de ressourcement spirituel, je propose une halte concernant l'évocation du temps. Le temps est, de nos jours, mesuré avec une précision diabolique. Il n'a jamais, cependant, été aussi insaisissable. Les plus grands voyages intercontinentaux se chiffrent par heures, ils se chiffraient avant par plusieurs mois. Si au seizième siècle, l'espace était réduit à ce que parcourait un individu par jour, à pied, à cheval ou en bateau, l'espace est de nos jours dilaté, on peut pratiquement joindre tous les coins de la planète dans la journée. Le temps est aujourd'hui comprimé. On peut faire beaucoup de choses en un minimum de temps grâce aux technologies de l'information et de la communication.
Comment peut-on définir le temps ?
De fait, la mesure du temps a évolué et cela ne fut pas sans conséquence sur l'idée que les hommes en eurent au fil de l'Histoire. Ses retombées ont affecté bien plus que la simple estimation des durées : la vie quotidienne des hommes s'en est trouvée changée bien sûr, mais aussi et surtout la pensée, qu'elle fût de nature scientifique, ou encore religieuse. Nous savons, depuis l'aube des premières civilisations, comment le mesurer.
Au contraire de l'animal, l'homme est «temporel». Grâce à sa mémoire, il a conscience du temps qui passe. Y-a-t-il un début et une fin du temps ? Le temps est-il rigide ou élastique ? A partir de quel moment on a commencé à compter le temps ? Il y a une fuite inexorable du temps qui est en même temps irréversible. «Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus.» Voilà ce qu'en pensait saint Augustin, le philosophe berbère, il y a seize siècles de cela. Le temps est toujours là, autour de nous, inexorable, silencieux, imperturbable dans cette feuille qui tombe, dans ce mur qui s'écaille, dans cette bougie d'anniversaire qui s'éteint, dans ces rides sur nos visages. Les traitements et crèmes de toutes sortes n'arrêtent pas le cours inexorable, mais donnent l'illusion factice de la jeunesse, c'est-à-dire l'impossible arrêt du temps.
Bien sûr, on peut tenter de définir le temps : dire qu'il est ce qui passe... quand rien ne se passe ou, plus plaisamment, qu'il est le moyen le plus commode qu'a trouvé la nature ou Dieu pour que tout ne se passe pas d'un seul coup. Il y a au moins deux sortes de temps : le temps physique, objectif, celui des horloges, et le temps subjectif, celui de la conscience. Le premier est censé ne pas dépendre de nous, il est réputé uniforme et nous savons le chronométrer. Le second, le temps que l'on mesure de l'intérieur de soi, dépend évidemment de nous et ne s'écoule pas uniformément : sa fluidité est même si variable que la notion de durée éprouvée n'a qu'une consistance très relative.
Le principe de «causalité» cher aux physiciens indique qu'une cause ne peut qu'être antérieure à ses effets, de ce fait, on impose au temps d'avoir une structure ordonnée. Le sucre en train de fondre au fond de la tasse de café ne reprendra jamais sa forme parallélépipédique ni d'ailleurs sa blancheur... à moins de remonter le temps, comme un film bobiné à l'envers, on verrait alors le morceau de sucre sortir de la tasse et reprendre sa forme. Comme le temps de Newton, ce temps cosmologique s'écoule toujours dans le même sens, et c'est ce qui permet de l'utiliser pour retracer l'histoire de l'univers. On parle de flèche du temps. Quant à l'origine du temps cosmologique, à l'instar de celle de l'univers lui-même, elle se perd dans les brumes aurorales de l'univers primordial. En effet, admettre le modèle du big bang, pour un physicien, c'est reconnaître l'impossibilité d'extrapoler indéfiniment vers le passé à l'aide des lois de la physique. Nous ne savons donc rien de l'origine de l'univers, rien non plus de l'origine du temps, que le terme origine soit pris ici au sens chronologique ou au sens explicatif. Nous pouvons comprendre que l'univers a eu une histoire. Est-ce à dire qu'il a eu un début ? Est-il apparu dans un temps lui préexistant ou bien son émergence a-t-elle été contemporaine de celle du temps ? Peut-on concevoir le temps sans le changement ?
Chacun sait qu'une minute passée à attendre un feu rouge ou le bon vouloir d'un agent de police peut paraître une éternité, contrairement à une minute passée à converser sur un sujet qui nous captive. Le temps de l'ennui est interminable, celui de la joie est intense et très bref, même si, dans une expérience personnelle, il dure plus longtemps que celui de l'ennui. Comment alors concilier les deux temps ? Ne peut-on pas dire, alors, que le bonheur, c'est une contraction du temps de l'ennui, est une dilatation de celui de la joie ?
Le temps subjectif est manifestement irréversible, il a un sens d'écoulement. Le présent est une attente, nous l'écrivons en le vivant. Le futur nous paraît incertain, il fait parti du mystère, il est en relation avec la destinée. Certaines personnes auraient la possibilité de décrire les événements à venir. La prémonition et les devins ont de tous temps eu des places privilégiées dans les société humaines. Est-ce que le fait de prédire l'avenir diminue le libre-arbitre, puisque tout est écrit ? Nous rejoignons les religions pour qui l'homme est prédestiné. Pour l'Islam, le mektoub n'exclut pas les actes en termes de devoir.
Comment prendre la mesure du temps ?
Les premiers calendriers se retrouvent chez les Mayas, les Sumériens, les Egyptiens... Nombre de cultures possèdent une appréhension différente du temporel. Cela dépend de la vision et de la connaissance qu'on a ou croit avoir de l'univers. Au lieu de l'opposition entre temps et éternité, nous avons, en Egypte ancienne, l'opposition entre le «temps petit» des êtres terrestres et le «temps grand» de la vie cosmique et des êtres divins, y inclus le roi. Les Grecs anciens connaissaient tous un calendrier lunaire qui comptait, en principe, 12 mois ; selon les besoins s'y ajoutait un mois intercalaire. Le temple maya de Chichen Itza dans la péninsule du Yucatán, par exemple, est un véritable calendrier. Cette pyramide a quatre côtés, associés aux saisons, douze paliers pour les douze mois solaires, et trois cent soixante-cinq marches pour les jours de l'année. C'est l'invention de l'écriture qui a marqué une comptabilisation systématique du temps. Durant la période faste de la civilisation musulmane qui a fait connaître à l'Occident l'héritage grec, on sait que les savants musulmans étaient versés dans l'astronomie : un des premiers astrolabes de la science musulmane a été mis au point dès le Xe siècle. La première clepsydre, conçue à Baghdad, a été offerte par Haroun Rachid, calife abbasside, en l'an 800 à l'empereur d'Occident Carolus Magnus (Charlemagne) qui lui envoya des sloughis.
Aucun document historique et aucun argument rationnel ne nous autorisent à supposer que le Christ soit né un 25 décembre, ni qu'il soit né dans l'année zéro de l'ère chrétienne. Denis le Petit ­— ce modeste écrivain qui, vers les années 525, utilisa pour la première fois le calcul des années à partir de la naissance du Christ — fit commencer cette nouvelle série avec un retard d'environ quatre ou cinq années.
Le temps pour la science
Les physiciens datent le big bang de 13,4 milliards d'années. En deçà du big bang qu'y avait-il ? Est-ce que le temps existait ? Ici, honnêtement, la science ne sait plus que balbutier, elle ignorait tout de ce qu'il s'était passé au petit matin du big bang avant que l'univers ait atteint «l'âge» du «temps de Planck», c'est-à-dire 10-43 secondes. On ne sait rien dire de cette minuscule période. C'est-à-dire : que faisait donc Dieu avant de créer le monde ? Stephen Hawking, qui dans sa «Brève histoire du temps» suppose malicieusement, reprenant une boutade de saint Augustin, qu'il ne s'agissait pas seulement de «préparer l'enfer pour ceux qui posent de telles questions».
Horloge biologique et inéluctabilité de la mort
La mort est-elle inéluctable ? Chacun de nous mourra. Loin de pouvoir tuer le temps, c'est lui qui nous dévore. Le temps nous est donc compté, nous n'avons qu'une part plus ou moins épaisse en termes de durée, mais une part finie. C'est pourquoi toute évocation du temps est chargée d'angoisses, de spleen, de fantasmes, d'espérances, voire aussi de résignation. Nous n'avons de cesse de retrouver le paradis perdu, de ne nous souvenir que des bonnes choses et de tenter de les revivre en tentant en vain de revenir en arrière. Cette nostalgie (du grec nostos : retour) est une constante de la nature humaine. Nous voulons nous révolter contre la mort, en pensant au paradis, à la réincarnation, à procréer pour laisser une trace de nous-mêmes sur terre. C'est là que les «religions» entrent en scène pour apaiser nos angoisses. Cette angoisse métaphysique est d'autant plus brutale et sévère que l'individu est immergé dans le matérialisme des choses...
Le temps dans les religions révélées
Selon le judaïsme, le temps est créé par Dieu. Dans le livre de la Genèse (Genèse : chapitre 1), Dieu a créé, non seulement le monde entier, mais également le temps et toute sa structure : une semaine de sept jours, un mois de dix-huit jours et une année de douze ou treize mois. A travers les fêtes, le peuple honore son Dieu et célèbre sa création. Aussi les prophètes critiquent-ils le peuple, soit en visant ses pratiques pécheresses, soit en faisant référence à un temps idéal, temps eschatologique semblable au temps du paradis. Le temps y est considéré comme cyclique à travers les fêtes juives.
Le point de départ du théologien n'est pas le même que celui du physicien. Le temps, pour les auteurs bibliques, est une création de Dieu. Il leur importe de communiquer cette vérité fondamentale: Dieu a créé le temps, et c'est dans le temps et par le temps dont il dispose souverainement qu'il crée tout son ouvrage, c'est-à-dire l'Univers et, en particulier, l'homme. D'où l'importance accordée dans le récit de la Genèse au temps de la création, émergeant d'un monde chaotique, le tohu-bohu. Dieu fait apparaître les luminaires, dont le mouvement va rythmer le temps et donner les saisons, les jours et les nuits. C'est le temps voulu par Dieu pour l'ordonnance de ce monde. Ce qui distingue aussi le théologien du physicien, dans leur approche respective du temps, c'est que le théologien conçoit le temps à partir d'une révélation. Le temps est non seulement associé très intimement à l'œuvre de création, mais encore à l'alliance que Dieu signe d'une certaine façon avec son peuple et, à travers lui, avec l'humanité.
L'histoire humaine se confond avec celle d'un temps corrompu, destructeur, qui porte atteinte à une création que Dieu conserve tout de même et rachète. Le temps se mesure dans la Bible aussi en termes de générations. La fin des temps est-elle la fin du temps ? Dieu lui-même est-il soumis au temps, ou se situe-t-il hors du temps ? Pour les auteurs de la Bible, Dieu est hors du temps puisqu'il le crée. Mais son action providentielle, quelle que soit la forme qu'elle revêt, se déroule dans le temps. Les événements historiques sont conçus comme le résultat d'actions divines appartenant à l'histoire du salut.
De toutes les religions qui existent, l'Islam a donné une valeur sacrée au temps. Nous citerons Hadi Tazi, historien et académicien au royaume du Maroc, qui écrit : «Pour connaître la valeur du ‘'Temps'' et la place qu'il devrait occuper dans la société islamique, nous devrions savoir que Dieu a juré 15 fois par le Temps et l'Heure dans le Coran. Il faut souligner que les 5 fondements (arkanes) de l'Islam sont liés au temps. En effet, la ‘'Chahada'' (déclaration de foi) est censée être répétée tout le temps, la prière est accomplie 5 fois par jour, le jeûne (Ramadhan) est exigé une fois par an, la ‘'zakat' distribuée une fois par an, enfin le pèlerinage (‘'hadj'') à La Mecque une fois par an est organisé pendant une période bien déterminée. L'importance de l'utilisation et de la gestion du temps peut être résumée dans le précepte suivant : ‘'Accomplis pour ta vie comme si tu étais éternel(le) et accomplis pour l'Au-delà comme si tu devais mourir demain''».
Le temps n'est explicitement mentionné dans le Coran que par deux emplois du mot dahr (en 76, 1 et surtout en 45, 24, où il a le sens de «destin»). Mais le Livre de l'Islam contient trois séries de passages éclairants. Le temps cosmique, d'abord, réglé par les astres, est un bienfait de Dieu, un de ces signes qui font découvrir l'existence du Créateur. En revanche, le déroulement du temps dans l'histoire de l'humanité est vu d'un œil sombre, qui y repère seulement le refus par les hommes des messagers successifs de la Révélation, et le châtiment qui s'abattit sur leurs peuples respectifs. La faute en revient à l'inconstance et à la vanité de l'individu humain.(1)
«Du ciel, il dirige toute chose sur la terre, puis tout remontera vers lui, un jour dans la durée est de mille ans d'après votre manière de compter.» Sourate 33 : «La Prosternation», versets 4 et 5. On voit que le jour n'a pas la même signification que dans la Bible, il s'agit de «périodes» qui se déroulent sur des temps longs, voire des âges à l'échelle géologique. D'ailleurs, dans la sourate 70 : «Les degrés» ; verset 4, on lit : «Les Anges monteront vers Lui en un jour dont la durée est de 50 000 ans.» Les commentateurs du Coran du Moyen-Age qui ne connaissaient pas les avancées actuelles de la science proposaient de traduire le mot «yaoum» par «nawbet», que l'on peut traduire par évènement.
Dans le Coran, plusieurs versets sont consacrés à l'Heure en termes de rendez-vous.
Le caractère eschatologique du Coran est affirmé. L'essentiel du message est de rappeler à ceux qui le reçoivent, les évènements futurs qui se produiront certainement (XLVI, 21). Dans la sourate XVIIIe du Coran versets 17 à 25, «La Caverne», le temps est décrit en termes de relativité. «Nous les avons ressuscités pour leur permettre de s'interroger mutuellement. Un d'entre eux dit Combien de temps êtes-vous restés ici ? Nous sommes restés un jour et une partie d'un jour, Ils restèrent dans leur Caverne trois cents ans auquel on ajoute neuf années.»
Le temps de l'hindouisme est celui d'un long enchaînement de maillon d'où l'homme tend à s'évader pour atteindre la fusion dans la source cosmique. On pourrait considérer que dans cette religion de l'Inde la plus ancienne, le védisme, le temps a une dimension «linéaire» puisque le désir des hommes tend à l'immortalité, mais il repose pourtant sur une conception «cyclique» de l'univers.
Conclusion
Dans les sociétés actuelles, les rites de passage se font de plus en plus rares. Rien ne vient plus marquer le passage entre l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. La tradition actuelle a perdu ses racines et a de la difficulté à scruter l'horizon. Les héros qu'offrent les mass media à la jeune génération sont prisonniers d'une immortalité tragique. Vieillir est dévalorisé. Dans les sociétés traditionnelles, l'âge de la sagesse était valorisé en ce qu'il était le gardien et la mémoire des traditions. Les sages, personnes du troisième âge, transmettaient le savoir et la tradition aux générations plus jeunes.
L'existence humaine et sociale était ainsi bouclée comme un cercle où l'expérience rencontrait la fougue, où la jeunesse échangeait avec l'âge mûr. La tradition, par le biais de la transmission, devenait presque éternelle. Aujourd'hui, tout est différent. Les générations souvent repliées sur elles-mêmes sont en quête de sens.
Quel sera le temps de l'humanité à venir ? Malgré l'anomie actuelle, il semble que les calendriers d'origine religieuse ne sont pas près de mourir avec le retour du religieux. Ce sont, de fait, les dernières défenses immunitaires contre le chaos, elles ont su créer et enraciner des fêtes, des coutumes et des valeurs qui résistent à la mondialisation laminoir. Peut-être que l'initiative de AISA ONG Internationale du président Cheikh Khaled Bentounes, à savoir une Journée internationale du Vivre-Ensemble (JIVE) adoptée par les Nations-Unies et fêtée les 16 mai de chaque année, sera dans le futur la fête la plus importante, la plus intense et la plus sacrée, chez tous les peuples et dans tous les calendriers, celle du vivre-ensemble en paix. Elle aura pour l'humanité une même mesure du temps, celui de l'avènement de la sagesse.
C. C.
1.Guy Monnot, Le temps dans les religions : Colloque Université de Liège11-13-10-2001.


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