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Le temps, les religions et la science
Publié dans L'Expression le 03 - 09 - 2009

«Les hommes t'interrogent au sujet de l'Heure. Dis: Dieu seul la connaît.» «Qui donc pourrait te renseigner? Il se peut que l'Heure soit proche!»
(Coran: Sourate XXIII,
les Factions, verset 63)
En ce début de millénaire, le temps est mesuré avec un précision diabolique. Il n'a jamais, cependant, été aussi insaisissable. Depuis plus d'un siècle maintenant, l'accélération des progrès de certaines techniques, principalement celles des communications, a contribué à raccourcir considérablement les durées. Ce début du XXIe siècle, dans les sociétés occidentales et par contagion dans les sociétés orientales, a vu la disparition des rites de passage qui se font de plus en plus rares. Rien ne vient plus marquer le passage entre l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. La tradition actuelle a perdu ses racines et a de la difficulté à scruter l'horizon. On esthétise la jeunesse dans une beauté plastique, dans un présent éternel, sans lui donner d'éthique, de sens. Les héros qu'offrent les massmédias à la jeune génération sont prisonniers d'une immortalité tragique. Vieillir est dévalorisé. Dans les sociétés traditionnelles, l'âge de la sagesse était valorisé en ce qu'il était le gardien et la mémoire des traditions. L'existence humaine et sociale était ainsi bouclée comme un cercle où l'expérience rencontrait la fougue, où la jeunesse échangeait avec l'âge mûr. La tradition, par le biais de la transmission, devenait presque éternelle. Aujourd'hui, tout est différent.
Qu'est-ce que le temps?
Le temps nous affecte sans cesse, nous voudrions nous arrêter, et le regarder couler; peine perdue, nous sommes inexorablement dans le temps. Nul ne peut l'arrêter à l'aide d'un feu rouge, ni le suspendre à un portemanteau. Y a-t-il un début et une fin du temps? Le temps est-il rigide ou élastique. Le temps est toujours là, autour de nous, inexorable, silencieux, imperturbable dans cette feuille qui tombe, dans ce mur qui s'écaille, dans cette bougie d'anniversaire qui s'éteint, dans ces rides sur le visage de notre mère. Les traitements et crèmes de toutes sortes n'arrêtent pas le cours inexorable, mais donnent l'illusion factice de la jeunesse, c'est-à-dire l'impossible arrêt du temps Un système ordonné a une entropie minimale. Avec le temps, l'entropie ne fait que croître, la vieillesse et la mort sont donc une augmentation du désordre de l'organisme. Ceux qui vivent vieux, arrivent à contrôler la cinétique de détérioration des cellules, c'est-à-dire en définitive, à freiner l'augmentation rapide et désordonnée de l'entropie.
Depuis les années 20 du siècle dernier, les scientifiques sont convaincus que l'univers a vu le jour à partir du néant à la suite d'une explosion reconnue sous le nom de ´´big-bang ´´. En deçà du big-bang qu'y avait-il? Ici, honnêtement, la science ne sait plus que balbutier, et parle en termes pittoresques de «soupe primitive». En d'autres termes, la science tente de nous expliquer comment l'Univers a vu le jour après le «mur de Planck», soit 10-43 seconde, avant c'est pour la science, le mystère, d'autant qu'elle est incapable de nous expliquer-est-ce bien son rôle?- pourquoi cette chaîne causale des événements. De plus l'idée que la création de l'Univers est le fruit du hasard et non le résultat d'une conception volontaire pose problème. Aujourd'hui, certains scientifiques appellent l'élaboration extraordinaire de la vie le ´´principe anthropique´´: ce principe stipule que tout ce qui existe dans l'Univers, jusqu'au plus petit détail, est soigneusement arrangé pour rendre la vie humaine possible. D'autres, émules de Jacques Monod, s'en tiennent au hasard. Pour les croyants, il est erroné de penser que l'Univers ait été créé en vain. Il est dit dans le Coran: ´´ Je n'ai pas créé le ciel et la terre et tout ce qu'il y avait entre ces deux éléments sans aucun but. C'est l'opinion que tiennent les mécréants. ´´(1)
Il y a au moins deux sortes de temps: le temps physique, objectif, celui des horloges, et le temps subjectif, celui de la conscience. Le premier est censé ne pas dépendre de nous, il est réputé uniforme et nous savons le chronométrer. Le second, le temps que l'on mesure de l'intérieur de soi, dépend évidemment de nous et ne s'écoule pas uniformément: sa fluidité est même si variable que la notion de durée éprouvée n'a qu'une consistance très relative. A l'instar du fleuve, le temps a un cours: il s'écoule inexorablement du passé vers l'avenir. Le principe de «causalité» indique qu'une cause ne peut qu'être antérieure à ses effets, de ce fait, on impose au temps d'avoir une direction à moins de remonter le temps...Admettre le modèle du big-bang, pour un physicien, c'est reconnaître l'impossibilité d'extrapoler indéfiniment vers le passé à l'aide des lois de la physique. Nous ne savons donc rien de l'origine de l'Univers, rien non plus de l'origine du temps. Nous pouvons comprendre que l'Univers a eu une histoire. Est-ce à dire qu'il a eu un début? Est-il apparu dans un temps lui préexistant, ou bien son émergence a-t-elle été contemporaine de celle du temps? Le temps de la physique est réputé uniforme et ne dépend pas de nous. C'est le temps qu'affiche nos montres. L'étalon est la seconde défini comme la durée de 9 192 631 770 périodes de l'onde électromagnétique émise ou absorbée par un atome de césium 133 lorsqu'il passe d'un niveau d'énergie à un autre. Bien sûr, on peut tenter de définir le temps: dire qu'il est ce qui passe...quand rien ne se passe; qu'il est ce qui fait que tout se fait ou se défait; qu'il est l'ordre des choses qui se succèdent; qu'il est le devenir en train de devenir; ou, plus plaisamment, qu'il est le moyen le plus commode qu'a trouvé la nature ou Dieu pour que tout ne se passe pas d'un seul coup.(2)
Le temps est subjectif, il ne s'écoule pas uniformément, le temps psychologique est un caoutchouc, il a ses rythmes et variations. Chacun sait qu'une minute passée à attendre un feu rouge ou le bon vouloir d'un agent de police, peut paraître une éternité, contrairement à une minute passée à converser en bonne compagnie. Le temps de l'ennui est interminable, celui de la joie est intense et très bref, même si dans une expérience personnelle, il dure plus longtemps que celui de l'ennui. Comment alors concilier les deux temps? Ne peut-on pas dire, alors, que le bonheur, c'est une contraction du temps de l'ennui, et une dilatation de celui de la joie?
Chacun de nous mourra. Loin de pouvoir tuer le temps, c'est lui qui nous dévore. Chacun sait constamment qu'un moment doit survenir où il n'y aura plus d'avenir; le présent s'efface devant le passé.. Le temps nous est donc compté, nous n'avons qu'une part plus ou moins épaisse en termes de durée, mais une part finie. C'est pourquoi toute évocation du temps est chargée d'angoisses, de spleen, de fantasmes, d'espérances, voire aussi de résignation. Cette nostalgie est une constante de la nature humaine. Nous voulons nous révolter contre la mort, en pensant au paradis, à la réincarnation, à procréer pour laisser une trace de nous-mêmes sur terre. C'est là, pour les croyants, que les «religions» entrent en scène pour apaiser nos angoisses sans les faire disparaître. Elles deviennent seulement plus apprivoisées. C'est donc dans les religions que le caractère ´´construit´´ de la perception du temps apparaît de la façon la plus évidente. Le trait fondamental de tous les systèmes est que le temps n'est pas homogène. Ils identifient toujours un ´´moment central´´, un moment ´´de plénitude´´, qui représente l'embryon vital, mais aussi la synthèse et la récapitulation, de la totalité du temps.(3)
Pour le Christianisme, ce moment est la naissance du Christ. Pour les Musulmans, la date fondamentale est le 16 juillet de l'année 622 de notre ère, date de la Hijra ou ´´émigration´´, et sera appelée l'Hégire. Pour les Juifs, la date fondamentale est celle de la création d'Adam et Ève, fixée en l'an 5767 avant l'année 2009. Selon le Judaïsme, le temps est créé par Dieu.
Dans le livre de la Genèse (chapitre 1), Dieu a créé, non seulement le monde entier, mais également le temps et toute sa structure: une semaine de sept jours, un mois de dix-huit jours et une année de douze ou treize mois. Dieu a créé le temps, et c'est dans le temps et par le temps dont Il dispose souverainement qu'Il crée tout son ouvrage, c'est-à-dire l'Univers et, en particulier, l'homme. D'où l'importance accordée dans le récit de la Genèse au temps de la création, émergeant d'un monde chaotique, le tohu bohu. Le temps y est considéré comme cyclique à travers les fêtes juives. Ainsi, la célébration de la Pâque actualise cette fête chaque année. De même, l'étude de l'Ecriture accentue l'actualité de l'histoire biblique. Cette dernière rejaillit sur l'histoire présente, mettant en valeur l'importance de l'observance de la Loi et de l'éthique. Pour saint Augustin, les événements sont les filins tissés de l'étoffe du temps. «Qu'est-ce donc que le temps? Si personne ne me le demande je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus.» Voilà ce qu'en pensait saint Augustin. À l'heure où st Augustin a rédigé ses Confessions, il y a tout lieu de penser, que pour se repérer dans le temps, il avait à sa disposition un cadran solaire, un sablier, peut-être même une clepsydre. Dans l'Islam, il faut souligner que les 5 fondements (arkane) de l'Islam segmentent pour le croyant le temps au temps. En effet, la ´´chahada´´ (déclaration de foi) est censée être répétée tout le temps, la prière est accomplie 5 fois par jour, le jeûne (Ramadhan) est exigé une fois par an, la ´´zakat´´ (don proportionnel aux biens) distribuée une fois par an, enfin le pèlerinage (hajj) à la Mecque une fois par an à une période bien déterminée.(5)
Dans une conférence intitulé les «Sciences de l'homme et de la société appliquées à l'étude de l'Islam», le professeur Mohamed Arkoun s'interrogeait sur le rapport de la vérité au temps dans le Coran, il écrit: «....Mais au temps coranique constitué par le temps fini de la vie terrestre totalement articulé au temps infini de la vie éternelle, le temps céleste servant ainsi de cadre et de référent obligé au temps terrestre en tant que durée vécue. Le temps coranique est un temps plein: chaque instant de la durée vécue est remplie par la présence de Dieu actualisé dans le culte, la méditation, la remémoration de l'Histoire du Salut, la récitation de la Parole révélée, la conduite éthique et légale conforme aux "ahkam"».
«On voit la source des malentendus: ne considérer que le temps chronologiste des faits tels que cherche à les établir l'historien "moderne"- entendons coupé, précisément, du cadre temporel de l'entendement instauré par le Coran et plus généralement, les Ecritures de la Tradition monothéiste- c'est refuser de pénétrer dans cette historicité spécifique comprise et vécue comme le rapport maintenu de la vérité à ce que j'ai appelé le temps plein, par opposition au temps éclaté de la séparation radicale des instances du séculier (le politique, le mondain, le profane) et du religieux (le spirituel, la vie terrestre articulée à la vie éternelle, le sacré; en Islam, Din Dunya, Dawla).»(6)
Dans la sourate XVIII du Coran «La Caverne», le temps est décrit en termes de relativité. Cette sourate rappelle la légende chrétienne des sept dormants d'Ephèse. Ces derniers endormis dans une caverne, se réveillent deux ou trois siècles plus tard, ils pensent avoir dormi un jour et une partie d'un jour. La relativité du temps nous amène une fois de plus à faire le distinguo entre le temps subjectif et le temps objectif.(7)
Le «Roukoud» au quotidien
En Occident, la connaissance du temps a fait des progrès extraordinaires depuis la Renaissance qui correspond au déclin inexorable du monde musulman qui ne fait que suivre et consommer. L'empire ottoman vermoulu, puissance tutélaire battue par les impérialismes européens, n'a pas su prendre à temps les virages technologiques rendus nécessaires par la marche du monde.. L'Histoire retiendra que Haroun Er Rachid offrit à Charlemagne un clepsydre qui mesurait le temps. C'est dire si ce fut une révolution technologique majeure pour l'époque. Charlemagne envoya comme cadeau au calife de Baghdad des..lévriers. Nous payons de nos jours ce «roukoud» au quotidien et un homme de science israélien a bien raison d'écrire ceci: «En Occident on créé des puces (d'ordinateurs), vous les Arabes vous vous cherchez des poux dans la tête» Quel sera le temps de l'humanité à venir? Le retour en force du religieux fait, les calendriers d'origine religieuse ne sont pas près de mourir. Et il est bien qu'il en soit ainsi, car ces calendriers ont su créer et enraciner des fêtes, des coutumes et des valeurs d'une intensité et qualité extraordinaires. Pour le professeur Pierre Boglioni: «De plus en plus, à côté des temps forts traditionnels de chaque culture, émergent des fêtes qui renvoient non à des dates d'un passé spécifique (juif, chrétien ou musulman), mais à des moments structuraux de l'expérience humaine universelle: fête du père, fête de la mère, fête de la nature, fête du travail, fête de l'amitié. Peut-être, un jour, la fête la plus importante, la plus intense et la plus sacrée, chez tous les peuples et dans tous les calendriers, sera la fête de la paix universelle et irrévocable entre tous les peuples. Cette fête sera la synthèse ultime des valeurs que tous les calendriers ont voulu transmettre, depuis le début du temps humain. L'humanité aura alors la même mesure du temps, celui de l'avènement de la sagesse»(3).
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Coran: Sourate Sad: 27.
2.Etienne Klein. Bulletin du C.I. R Etudes Transdisciplinaires n° 12 - Février 1998
3.Pierre Boglioni Université de Montréal.
4..Saint Augustin. Op.cité p.330).
5.Omar Saadi Elmndjra. Le temps est maître du XXIe: http://www.multimania.com /
6.M.Arkoun: Islam dans l'histoire: Maghreb-Machrek.p.5-24, n°102. (1983).
7.Coran: Sourate XVIII; La Caverne, versets 17 à 25).


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