Après avoir été l'atelier à bas coût des multinationales américaines, la Chine s'est imposée comme acteur autonome, s'émancipant des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) en créant ses propres acteurs de l'internet. Arès le hard, elle ambitionne d'avoir la haute main sur le soft. Ainsi, 42% du commerce électronique mondial est localisé en Chine, nous rappelle Rob Smith dans une étude pour le Forum économique mondial.(*) L'économie numérique de ce pays connaît une croissance forte et soutenue depuis une décennie (le commerce électronique social, apparu en 2013 en Chine, combine les médias sociaux avec le commerce électronique). Le résultat est là : il y a environ 10 ans, la Chine représentait moins de 1% du marché mondial du commerce électronique; aujourd'hui, sa part est de 42% — en comparaison, la part du marché des Etats-Unis est de 24%, contre 35% en 2005. La Chine domine sans partage le commerce électronique. Elle cumule désormais plus de transactions annuelles que la France, l'Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis réunis. Le verdict vient de l'honorable institution McKinsey Global Institute, qui évalue les forces du système numérique chinois, le degré de numérisation de ses industries et la possibilité pour les technologies numériques de changer et de créer de la valeur. Une des explications de la domination chinoise tient à l'explosion des paiements par mobiles, qui sont passés de 25% des utilisateurs d'internet mobile en 2013 à 68% en 2016. Au total, 731 millions des 1,4 milliard de citoyens chinois utilisent internet. Les paiements mobiles liés à la consommation ont totalisé 790 milliards de dollars en 2016, soit 11 fois plus que les Etats-Unis. Le mouvement est porté par ce qu'on appelle aujourd'hui des licornes : un tiers (34) des 262 start-up privées évaluées à plus d'un milliard de dollars — aussi appelées «licornes» — sont chinoises et représentent 43% de la valeur mondiale de ces entreprises. La licorne est, selon le Larousse, «un animal fabuleux ayant un corps de cheval, une tête de bouc, une longue corne au milieu du front et souvent des pieds fourchus». L'expression ne désigne cependant pas que cet animal mythologique. Ce terme, apparu la première fois en 2013 sous la plume de Aileen Lee, un analyste américain, qui est également le créateur d'un fonds d'investissement, désigne sous l'appellation initiale anglaise de «unicorn» – licorne en anglais — les entreprises installées sur le sol américain, spécialisées dans les nouvelles technologies, ayant moins de dix années d'existence et valorisées plus d'un milliard de dollars avant même d'être cotées en Bourse. L'industrie chinoise du capital-risque a également augmenté ces dernières années, passant de 12 milliards de dollars entre 2011 et 2013, à 77 milliards de dollars — soit 19% du total mondial. Toujours selon McKinsey Global Institute, la majorité des investissements de capital-risque est concentrée dans les technologies numériques telles que le big data et l'intelligence artificielle (IA), et les entreprises fintech. «La fintech, contraction de financial technology (technologie financière) désigne des petites entreprises (start-up et PME) qui fournissent des services financiers grâce à des solutions innovantes. Les domaines d'application sont variés : paiement mobile, financement participatif (crowdfunding), gestion de l'épargne, assurance et crédit, conseil financier en ligne, aide à la décision grâce aux algorithmes... », nous rappelle le site officiel du ministère français des Finances.(**) De l'ensemble de cet investissement à l'échelle mondiale, 42% proviennent de trois des géants chinois de l'internet : Baidu, Alibaba et Tencent. Baidu, Alibaba et Tencent ont conclu 35 transactions internationales au cours des deux dernières années, contre 20 pour les trois premières sociétés internet aux Etats-Unis. Toutefois, l'excédent annuel de 10 à 15 milliards de dollars enregistré dans les services numériques au cours des cinq dernières années ne doit pas occulter une faiblesse inquiétante : la Chine reste à la traîne des économies avancées en matière de numérisation de ses industries. Ainsi, les industries des Etats-Unis étaient environ cinq fois plus numérisées que celles de la Chine en 2013. Mais cet écart s'est réduit sensiblement ces dernières années et il est attendu des changements majeurs dans les sources de revenus et de profits des industries chinoises. «Trois forces numériques» — la désintermédiation, la désagrégation et la dématérialisation — devraient faire passer la valeur d'entreprises en évolution lente à des entreprises plus souples et d'une partie de la chaîne de valeur à une autre», est-il projeté. Habituellement, on rattache les dernières transformations économiques à quatre piliers, également appelés les quatre «D». Le premier «D» c'est la «digitalisation» ou numérisation (action de convertir une information analogique sous forme numérique) d'un produit ou d'un service pour être transmis sur des réseaux, stocké et traité. Le deuxième «D» est la «démonétisation» (suppression du rôle joué par un étalon métallique — argent ou or). Troisième «D» qui est la «désintermédiation», qui réduit ou élimine les intermédiaires dans le commerce en ligne, la gestion de flottes de taxis, la location de chambres et le prêt entre particuliers. Quatrième «D», la «disruption» digitale qui définit l'impact d'une innovation et le bouleversement des codes qui l'accompagne. Les produits ou services proposés par les start-up sont qualifiés de «disruptifs» car ces entreprises sont constamment en quête de nouvelles idées afin de réinventer des systèmes économiques ou des comportements en proposant des produits ou des services innovants. Nous sommes toujours à l'ère de Schumpeter. Fort d'une longue expérience auprès des entreprises multinationales, McKinsey suggère six approches que les entreprises chinoises devraient se fixer comme priorités au fur et à mesure dans une économie qui se numérise à grande échelle et à grande vitesse: 1. «Adopter des stratégies audacieuses», avec des entreprises prêtes à revoir de fond en comble leurs propres modèles d'affaires afin d'élargir leur clientèle. 2. «Utiliser la puissance du vaste écosystème numérique de la Chine» pour inviter les entreprises à réfléchir à la meilleure façon de collaborer avec les grandes plateformes numériques et les géants de l'internet chinois. 3. «Maximiser la valeur de l'analyse en utilisant les pools de données de la Chine», ce qui doit inciter les entreprises à perfectionner leur système de collecte et d'analyse des données, condition de l'avantage concurrentiel attendu. 4. «Construire une organisation souple pour la transformation numérique», ce qui signifie rendre les entreprises moins hiérarchiques, au lieu d'organiser les entreprises en petites équipes. 5. «Numériser les opérations sur la base d'un programme de transformation solide» parce que les technologies numériques transforment rapidement l'économie. 6. «S'engager avec la politique et la réglementation de la Chine», car le gouvernement a clairement indiqué que la numérisation de l'économie est une priorité majeure. Si ces priorités sont respectées, le rapport indique que la Chine pourrait mener des débats plus larges sur les questions de gouvernance mondiale telles que les obstacles à la concurrence étrangère, la réciprocité et la souveraineté numérique dans les années à venir. A. B. (*) Rob Smith, 42% of global e-commerce is happening in China. Here's why, World Economic Forum, 10 avril 2018. https://www.weforum.org/agenda/2018/04/42-of-global-e-commerce-is-happening-in-china-heres-why/ (**)https://www.economie.gouv.fr/entreprises/fintech-innovation-finance