Le t�nor Azal Belkadi vient de triompher � l�Europ�en, une salle branch�e de Paris. Depuis quelque temps, ce plasticien sp�cialis� dans la restauration des �uvres anciennes cartonne sur les sc�nes o� on appr�cie le chant. Une voix exceptionnelle et une inclinaison � favoriser le chant plut�t que de s�duire un public lui donnent l�aura d�un Pavarotti. Sa forte pr�sence transporte ipso facto le chant lyrique berb�re au niveau universel qui le fait comprendre comme musique par n�importe quel m�lomane du monde, quelle que soit sa langue. Mais encore une fois, un artiste de cette trempe doit-il atteindre le z�nith ailleurs avant de chanter chez lui ? Il est urgent qu�on le fasse venir � Alger ou ailleurs en Alg�rie. Faute de quoi, on prive les Alg�riens d�un tr�sor qui leur appartient. Propos recueillis par Arezki Metref Le Soir d�Alg�rie : Vous venez de donner un concert � l'Europ�en, une salle parisienne parmi les plus prestigieuses. Qu'est-ce que cela vous inspire-t-il ? Azal Belkadi : L'Europ�en est une salle intimiste situ�e dans un quartier branch� de Paris : place de Clichy. Le c�t� intimiste m'�voque la nostalgie de mes premiers spectacles que j'improvisais dans le salon de la maison familiale en Kabylie, avec comme premier public ma m�re, mes s�urs et d'autres membres de ma famille. J'aime beaucoup le c�t� intimiste car je me sens proche du public quand je chante. L'Europ�en c'est aussi l'occasion de faire rentrer la musique berb�re dans l'universel, c'est ce que je dis de mes peintures aussi. Il ne faut pas confiner l'art au niveau d'une communaut�, il faut le partager avec d'autres pour le faire conna�tre. Vous avez d� le remarquer, 80 % du public pr�sent ce soir-l� �tait un public europ�en. Le spectacle �tait annonc� dans bon nombre de supports m�diatiques parisiens, dont le magazine Pariscope. Vous avez choisi une voie compl�tement vierge, le chant lyrique. A part Taos Amrouche, personne ne s'y �tait aventur�. Comment cela est-il accueilli par le public kabyle, plut�t habitu� � la vari�t� ? Je suis quelqu'un qui �coute beaucoup l'universel, notamment la musique classique et l'op�ra. Le premier spectacle auquel j'ai assist� � Paris �tait Hamlet. Je me rappelle m'�tre demand�: pourquoi pas un jour Hamlet en kabyle ? C'est important de s'ouvrir � l'universalit�. Taos Amrouche a su le faire. Gr�ce � elle, la culture berb�re s'est fait conna�tre �� travers les chants anciens qu'elle interpr�tait majestueusement �, de mani�re universelle. J'essaie modestement de reprendre le flambeau, de continuer son travail. Le public kabyle est un public large qui peut aimer plusieurs styles diff�rents. Il est � l'�coute, il faut lui proposer des choses nouvelles. C'est lui qui demande, il a soif d'autre chose. Sur ce plan, je rends hommage � ces artistes qui innovent, � l'instar de Ines Mazal qui fait du jazz en kabyle, Ali Amran� en rocker et Akli D. en moderne. Quel est votre r�pertoire et pourquoi celui-l� ? La majorit� de mes chansons sont issues du patrimoine, je voulais faire revivre les chants anciens, les chants du terroir. Parfois, je m'inspire de l'ancien que j'adapte � ma sauce, comme notamment l'hommage � Brahim Izri: l'air est connu dans les zaou�as, quant au texte je l'ai �crit le jour de son enterrement. Il y a de nombreux artistes alg�riens ou kabyles qui puisent de ce patrimoine sans �voquer l'origine, il faut rendre � C�sar ce qui appartient � C�sar, je pense que �a revaloriserait leur �uvre s'ils leur disent. Pourquoi ne pas faire conna�tre aux g�n�rations futures notre patrimoine, en le sauvegardant pour que �a ne tombe pas tans l'oubli? Vous �tes aussi auteur-compositeur ? Il m'arrive d'�crire des textes mais pas la musique, souvent ce sont des airs anciens du patrimoine. Les textes aussi d'ailleurs � part ceux que j'ai adapt�s et mis au go�t du jour: par exemple �Aqcic lqed lmecmec, est un po�me de Si Moh u Mhend que j'ai adapt� en hommage aux victimes des printemps 1980 et 2001. �galement le chant en hommage � Brahim Izri Yeccenccen u bendayer. J'ai �crit le texte que je chante sur un air de zaou�a. A l'origine, vous �tes artiste plasticien. Comment s'est dessin� ce virage vers le chant ? Tous les arts se compl�tent: l'art de la peinture pourrait �tre une illustration de chaque m�lodie ou de chaque po�sie par image, �a peut �tre sonore ou visuel. C'est valable dans l'autre sens aussi: mettre du sonore sur de l'art visuel. Une fois, un ami non-voyant m'a dit une chose qui m'a beaucoup touch� : �Je vois ta peinture � travers ton chant.� C'est avec ces personnes-l� aussi que j'aimerais partager mon art. Comme je suis toujours le souci de la sauvegarde, y compris dans l'art plastique, je me suis sp�cialis� dans la restauration des peintures des XVIIe et XVIIIe si�cles. Le 7e art englobe tous ces arts: la com�die, la lumi�re, la photo, l'art plastique dans la d�co et les costumes, le maquillage de cin�ma, la musique et le chant: on peut accompagner chaque image d'une musique, etc. Quelles sont vos influences musicales ? J'aime tout ce qui est musique ancienne, notamment les chants m�di�vaux. Il y a aussi les chants comme le fado : chants anciens portugais, la musique classique, le jazz et bien s�r les chants anciens de Berb�rie que ce soit kabyle, targui, chaoui, allaoui ou du Sahara. J'ai toujours admir� Zerrouk Allaoua, H'nifa, Cherifa, Khelifi Ahmed et tant d'autres qui ont berc� ma jeunesse. Vous chantez un chant �mouvant � la m�moire de Brahim Izri. Quelles sont vos amiti�s et complicit�s musicales ? Brahim Izri s'int�ressait � la chanson ancienne du patrimoine notamment soufi, pour exemple la chanson Lboudala. Aussi, j'ai toujours �t� �merveill� de le voir jouer du bendir � la mani�re des zaou�as. Il �tait d'une g�n�rosit� sans limites, avec un grand sens de partage. Il n'a pas cess� de m'encourager et je peux dire que si je chante actuellement, c'est gr�ce � lui. Il m'a permis de faire de belles rencontres, notamment celle de Jean-Philippe Rykiel. Il m'a permis de participer dans son dernier album avec une chanson que j'ai �crite en hommage � Meziane Mhennni, o� je chante aussi. Le jour de l'enterrement de Brahim Izri, dans son village natal d'Ath Lahc�ne � Ath Yanni, j'ai �t� stup�fait par la c�r�monie fun�bre: veill�e sous un orchestre de violons et mise sous terre sous le son des bendirs. C'est ce qui m'a inspir� pour �crire �Yccenccen u Bendayer� - �bendir �corch� que je chante pour lui rendre hommage, avec un air de zaou�a. A chaque fois que je l'interpr�te sur sc�ne, j'ai le sentiment qu'il est l�, d'o� la grande �motion qui m'envahit. Vous int�ressez-vous au chant lyrique des autres latitudes ? Qu'�coutez-vous ? Oui bien s�r, j'aime bien �couter Luciano Pavarotti, Andrea Bocelli, la Callas qui est une grande diva pour moi, et l'op�ra en g�n�ral, m�me si je ne comprends pas toujours la langue: �a reste captivant. Vous �tes accompagn� sur sc�ne par Jean-Philippe Rykiel aux claviers et Moussa Kaci aux fl�tes. Quel est l'int�r�t de cette modicit� instrumentale ? Moussa Kaci repr�sente le c�t� authentique avec sa fl�te qui vient bien de chez nous, c'est la fl�te du berger, et Jean-Philippe Rykiel, c'est la touche moderne avec son clavier qui rec�le bien d'autres sons d'instruments modernes, qu'il interpr�te superbement. C'est de la musique authentique avec une touche de modernit�.