Il s'est éteint dans la nuit du 5 septembre. A 71 ans, Luciano Pavarotti s'en est allé, laissant des millions de fans orphelins de leur star. Le cancer a eu le dessus sur une voix de légende, symbole d'une démocratisation de la musique classique. Sans forcément l'avoir entendu chanter, tout le monde sait qui est Luciano Pavarotti. Sorte de père Noël en costard pour les uns, icône du lyrisme, ou imposteur, pour les autres, il fait partie de ces vedettes que tout le monde connaît, de 7 à 77 ans. Sa vie, il l'a faite en grand. Beaucoup de concerts, de voyages... Il trouve, même, sa place dans le Guinness Book des records, à deux reprises. Une fois à la page «Rappels» (165 lors d'une représentation en 1988, soit plus d'une heure d'applaudissements) et une autre à celle «Meilleure vente mondiale d'album classique» pour le disque des Trois Ténors, avec Placido Domingo et José Carreras. Des foules colossales se rendent à ses concerts. Il reçoit, même, le prix de l'Excellence culturelle, fraîchement créé en Italie. Le petit instituteur, fils de boulanger a fait du chemin... De doublure de ténors fameux, il devient référence incontournable du chant lyrique du XXe siècle. Se produisant devant des foules monstres, il est capable d'entraîner des stades de foot, entiers, sur des airs d'opéra : cela résume, parfaitement, la carrière de l'éternel optimiste Luciano Pavarotti. Sans rien perdre de son talent, ni tomber dans le style bal populaire, il s'attache à démocratiser l'art lyrique. Car, si Pavarotti se révèle débonnaire et peu élitiste, il n'en a pas moins une voix d'exception. La soprano Joan Sutherland se souvient de la première fois qu'elle entend le maestro : «C'était absolument phénoménal : une résonance fabuleuse, la couverture du son, et quelle tessiture, quelle sûreté !» Invité dans les plus grandes salles, Pavarotti enchaîne avec facilité les contre-ut. Plus de 400 représentations au Metropolitan Opera de New York, de nombreuses prestations à la Scala de Milan. Dans sa volonté d'ouvrir le plus grand nombre au style musical qu'il affectionne, l'Italien donne, aussi, des concerts en plein air. Les rues de Buenos Aires se remplissent de plus de 300 000 personnes, lors d'une de ses représentations. Pavarotti avait l'impression de chanter devant une marée humaine. Mieux encore, 500 000 spectateurs et un million de téléspectateurs profiteront du ténor, lors d'un concert à Central Park, et plus d'un milliard de personnes regarderont sa prestation avec les Trois Ténors, lors de la Coupe du monde de football, en 1998. La musique comme lien La vision de Pavarotti, c'est le chant comme moyen de partage. Au début des années 1980, il crée «The Pavarotti International Voice Competition», sorte de «Popstar» sauce opéra, avant l'heure. Roberto Alagna sera l'un des premiers vainqueurs du concours. Un ténor français avoue considérer Pavarotti comme un «mentor et un prophète». Aider les autres, grâce à la chanson, revient comme une obsession chez Pavarotti. De 1992 à 2002, il organise des concerts au profit du Guatemala, du Kosovo, du Tibet, du Liberia, de l'Irak... Des stars de la pop se joignent à lui pour ces manifestations intitulées «Pavarotti and Friends». Une initiative qui lui vaudra d'être qualifié de «vrai ami de l'ONU» par le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Une star controversée Beaucoup se sont, pourtant, gaussés du grand ténor. «Il ne sait pas lire une partition», «Il annule tous ses concerts», «Il est capricieux», «Il ne voyage pas sans ses cuisiniers». Dans le Roi et moi, livre au vitriol, d'Herbert Breslin, celui qui fut le manager de Pavarotti, pendant 36 ans, va jusqu'à dire de son ancien patron qu'il a «quelque chose d'un guignol». Certes, Pavarotti n'est pas musicien. Il le dit, lui-même : «Apprendre la musique, en lisant des ouvrages s'y rapportant, est comme faire l'amour par courrier.» Bien sûr, Karl Lagarfeld doit encore faire des cauchemars, à cause de cette écharpe bariolée, que le maestro ne quittait jamais, même en portant le smoking. C'est vrai, faire des duos avec les Spice Girls, Ricky Martin, ou Boyzone, n'améliore que très moyennement son image. Mais Pavarotti permet au chant lyrique de rester dans les charts. On pourrait débattre, des heures, de la qualité de telle ou telle chanson. Peut-être n'a-t-il pas fait les choix musicaux les plus audacieux, contrairement à son ami et collègue, Placido Domingo. Néanmoins, nous avons tous, quelque part, caché parmi nos disques, une chanson qui nous mettrait terriblement dans l'embarras s'il venait à se savoir qu'elle était là. Pourtant, cette chanson de la honte, c'est celle qui nous rend toujours le sourire. Peut-on, du coup, lui reprocher son manque de substance technique ou d'originalité ? Le but de la musique est de prendre du plaisir, en la faisant, ou en l'écoutant. Pavarotti a plus que rempli cette mission. Haro sur ceux qui lui reprochent ses choix artistiques. Oui, Mariah Carey n'est pas la Callas, mais les concerts «Pavarotti and Friends» ont attiré des milliers de personnes. Comme l'a dit de façon plus poétique le chef d'orchestre, Carlos Kleiber : «Quand Luciano Pavarotti chante, le soleil se lève sur le monde.» Au XXe siècle, l'opéra a vécu grâce à Caruso, la Callas et Pavarotti. Ce dernier a réussi à démocratiser l'art lyrique, l'extrayant de son carcan de musique désuète, «réservée aux riches». On a eu beau le railler, Pavarotti a accompli quelque chose d'exceptionnel, sa célébrité agissant comme un moteur pour une musique classique marginalisée au XXe siècle. Espérons que l'engouement pour la musique classique ne s'éteindra pas avec lui.