Riyad a reconnu hier que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, disparu début octobre, a été tué à l'intérieur du consulat du royaume à Istanbul, rapporte les médias citant l'agence officielle saoudienne SPA. Celle-ci a confirmé la mort de Khashoggi et fait état du limogeage de deux hauts responsables saoudiens et de l'arrestation de 18 suspects, tous des Saoudiens. «Les discussions entre Jamal Khashoggi et ceux qu'il a rencontrés au consulat du royaume à Istanbul (…) ont débouché sur une rixe, ce qui a conduit à sa mort», a indiqué SPA, citant le parquet. Le procureur général Saoud Al Mojeb a publié un communiqué sur le déroulement des faits : «Les discussions qui ont eu lieu entre lui et les personnes qui l'ont reçu au consulat saoudien à Istanbul ont débouché sur une bagarre et sur une rixe à coups de poing avec le citoyen Jamal Khashoggi, ce qui a conduit à sa mort, que son âme repose en paix.» Il n'a pas précisé où se trouvait le corps de Khashoggi, alors que les enquêteurs turcs poursuivent leurs investigations, fouillant notamment une vaste forêt proche d'Istanbul. Plus tard, le ministère de l'Information a affirmé, dans une déclaration en anglais, que les discussions au consulat avaient pris «une tournure négative», entraînant une bagarre qui a conduit à la mort de Khashoggi et à une «tentative» par les personnes qui l'ont interrogé de «dissimuler ce qui est arrivé». En confirmant la mort de Khashoggi, l'Arabie Saoudite a annoncé la destitution d'un haut responsable du renseignement, le général Ahmed Al Assiri, et celle d'un important conseiller à la cour royale, Saoud Al Qahtani, deux proches collaborateurs du jeune et puissant prince héritier, Mohammed Ben Salmane. Critique envers ce dernier, Khashoggi vivait en exil depuis 2017 aux Etats-Unis, où il collaborait notamment avec le Washington Post. A un journaliste qui lui demandait s'il jugeait «crédible» la version annoncée par Riyad samedi, le président Trump a répondu : «Oui, oui.» «Encore une fois, il est tôt, nous n'avons pas fini notre évaluation, ou enquête, mais je pense qu'il s'agit d'un pas très important.» «Nous sommes attristés d'apprendre que la mort de M. Khashoggi a été confirmée», a déclaré la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders. Les Etats-Unis notent que «l'enquête sur le sort de Jamal Khashoggi progresse» et que le royaume saoudien «a entrepris des actions à l'encontre des suspects qui ont été pour l'instant identifiés», a ajouté la porte-parole. Les Etats-Unis vont «appeler à ce que justice soit rendue dans les meilleurs délais et de manière transparente, et en accord avec l'Etat de droit». Des élus américains républicains et démocrates confondus ont exprimé leur circonspection par rapport à la version de Riyad. Ainsi, le sénateur républicain Lindsey Graham a déclaré avoir du mal à croire l'explication donnée par le royaume wahhabite. «Dire que je suis sceptique du récit saoudien à propos de M. Khashoggi est un euphémisme», a-t-il écrit sur Twitter. «On nous dit d'abord que Jamal Khashoggi a soi-disant quitté le consulat, et toute implication de l'Arabie Saoudite est fermement niée. Et maintenant, il y a eu une bagarre et il a été tué à l'intérieur du consulat, tout cela sans que le prince héritier ne le sache», a-t-il ajouté. «C'est difficile de considérer cette explication comme crédible.» Pour le sénateur démocrate Chris Van Hollen, «les Etats-Unis ne doivent pas être complices de cette dissimulation. Hâte de savoir ce que nos agences de renseignement ont à dire». Confusion, démentis et conjectures Jusqu'ici, Riyad a affirmé que Khashoggi, qui était entré le 2 octobre au consulat d'Istanbul pour des démarches administratives, en était ressorti et il a qualifié de «sans fondement» les accusations de responsables turcs selon lesquelles le journaliste avait été tué au consulat. La situation devient confuse le lendemain de l'entrée du journaliste au consulat de son pays. Ibrahim Kalin, porte-parole du président turc, a déclaré que Jamal Kashoggi serait toujours au consulat. Il a précisé être en contact avec des responsables saoudiens. De son côté, l'ambassade du royaume wahhabite aux Etats-Unis a soutenu que les informations selon lesquelles le journaliste est retenu au consulat sont «fausses». La mission diplomatique affirme que Jamal Khashoggi s'est rendu au consulat «pour demander des documents relatifs à son statut marital et en est sorti peu après». Le consulat général d'Arabie Saoudite à Istanbul a ajouté, dans la soirée, que le journaliste a disparu après avoir quitté le consulat saoudien, affirmant travailler en coordination avec les autorités locales turques sur cette affaire. Le 10 octobre, des sénateurs des deux partis ont ainsi activé la loi Magnitsky. Adopté en 2016, ce texte contraint le Président, s'il est saisi par la commission des affaires étrangères du Sénat, à enquêter sur une affaire concernant les droits de l'homme et à rendre des conclusions sur ces faits au Congrès américain d'ici 120 jours. S'il est établi par la Maison-Blanche qu'un ressortissant étranger s'est rendu coupable d'une exécution sommaire, de torture ou d'autres atteintes aux droits d'un individu, dit la loi, alors Washington pourra imposer des sanctions contre cette ou ces personnes. Le lendemain, le président Trump réclame des explications au sujet de la disparition du journaliste tout en rassurant sur la poursuite des ventes d'armes à Riyad. Les Saoudiens «dépensent 110 milliards de dollars en équipements militaires et sur des choses qui créent des emplois (…) dans ce pays. Je n'aime pas l'idée de mettre fin à un investissement de 110 milliards de dollars aux Etats-Unis» qu'ils risqueraient de «dépenser en Russie ou en Chine», a-t-il déclaré depuis la Maison-Blanche. Et d'ajouter : «Si cela s'avère finalement aussi mauvais que cela semble en avoir l'air, il y a certainement d'autres moyens de gérer la situation.» Lundi dernier, les autorités turques ont pu fouiller le consulat saoudien. La perquisition, qui a débuté en début de soirée, lundi, a duré 9 heures. La fouille du bâtiment consulaire a été autorisée dès le 9 octobre par les Saoudiens, mais n'a pas encore pu avoir lieu en raison d'un désaccord sur ses modalités, selon les médias turcs. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a exhorté à plusieurs reprises, en vain, les autorités saoudiennes à présenter des images prouvant que Jamal Khashoggi a bel et bien quitté le consulat. Le ministre saoudien de l'Intérieur a démenti quant à lui les allégations qui «circulent sur des ordres pour tuer» le journaliste. Mercredi dernier, plusieurs médias rapportent que les autorités d'Ankara sont en possession d'un enregistrement audio attestant que Khashoggi a été tué dans le consulat. Le journal Yeni Safak, proche du pouvoir turc, a retranscrit des extraits d'un enregistrement audio indiquant, selon lui, que Khashoggi a été interrogé et torturé. Le journaliste aurait été tué en quelques minutes, puis ses bourreaux l'ont décapité et démembré. Le meurtre aurait été mené par une équipe d'une quinzaine de Saoudiens qui ont regagné le jour-même leur pays. D'après le New York Times, qui s'appuie sur des témoignages et des documents, quatre de ces suspects font partie du personnel chargé de la sécurité du prince Mohammed Ben Salmane. Le corps de Khashoggi ne se trouverait plus au consulat et aurait été donné à un «opérateur local». Jeudi, le président américain a admis, pour la première fois, que le journaliste saoudien est très probablement mort. Il a demandé à Riyad de s'expliquer et a évoqué de «très graves» conséquences, si sa responsabilité était confirmée.