Le magazine américain Prospect revient en profondeur sur les risques qui pèsent sur le Brésil avec l'élection présidentielle de cette fin d'année 2018. Son collaborateur Paul Starr va droit au but en se posant la question de savoir si ce pays n'est pas en train de vivre sa dernière élection démocratique.(*) L'élection probable de Jair Bolsonaro, candidat d'extrême-droite, «pourrait bien sonner le glas du gouvernement démocratique du Brésil, qui dure depuis trois décennies», écrit-il. Les élections de ce dimanche 28 octobre opposent le candidat de l'extrême-droite, Jair Bolsonaro, qui a recueilli 46% des suffrages au premier tour, et le candidat des travailleurs de gauche Parti, Fernando Haddad, qui a reçu 28%. Bryan McCann, professeur d'histoire du Brésil à Georgetown University, voit dans Jair Bolsonaro le représentant d'intérêts revendiquant «une police répressive, des politiques socialement conservatrices et un traitement préférentiel pour le secteur agroalimentaire».(**) Le personnage a de quoi faire peur aux yeux de Paul Starr : « Bolsonaro, membre du Congrès et ancien capitaine de l'armée, n'est pas simplement un ‘'conservateur populiste'', comme le décrivent certains reportages. ‘'Fasciste'' semble être une description tout à fait exacte. Il a appelé à tuer des opposants politiques, a salué la dictature qui a dirigé le Brésil de 1964 à 1985 et a déclaré qu'il n'accepterait pas les résultats de cette élection s'il n'était pas vainqueur et que l'armée pourrait le soutenir. Pour lutter contre le crime généralisé au Brésil, il souhaite donner carte blanche à la police pour traquer et tuer tous les suspects. Il a qualifié les peuples autochtones de ‘'parasites'' et se montre ouvertement méprisant envers les Afro-Brésiliens et les homosexuels. Il a dit à une femme, également membre du Congrès brésilien : ‘'Je ne vous violerai pas parce que vous ne le méritez pas''.» Bolsonaro, nous rappelle Bryan McCann, a entamé son ascension politique il y a une trentaine d'années en tant qu'officier de l'armée «renégate», « réticent à voir la dictature céder le pouvoir à une démocratie naissante. Depuis lors, il a toujours promis de «nettoyer» le pays en tuant toute personne soupçonnée d'être un criminel. Voici le candidat qui a déclaré : «Vous ne changerez rien dans ce pays en votant. Malheureusement, vous ne changerez les choses que par une guerre civile et par le travail que le régime militaire n'a pas fait. Tuer 30 000 personnes, à commencer par FHC (ancien président Fernando Henrique Cardoso).» L'image de Bolsonaro est associée à celle de Rodrigo Duterte, des Philippines. Le danger est d'autant plus grand qu'au Brésil, le Parti des travailleurs ne semble pas capable de diriger une coalition de forces démocratiques et ce, en dépit des progrès sociaux et économiques enregistrés au terme de sa prise du pouvoir en 2003, sous la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva. La fin de mandat de ce dernier, en août 2016, est marquée par des affaires de corruption (endémique dans le pays) et des revers économiques. Après la destitution de la successeure de Lula, Dilma Rousseff, et l'emprisonnement de Lula lui-même, le Parti des travailleurs ne pouvait plus faire face à l'ascension de Bolsonaro. Pourtant, le dispositif anti-corruption mis en œuvre pour disqualifier Lula date des réformes qu'il a lui-même initiées dans ce sens (anti-corruption), «qui ont transformé le système judiciaire et rendu possibles les enquêtes menées» sur son propre parti. Lula a signé la loi qui l'a empêché de se présenter à la présidence cette année, alors que tous les sondages le donnaient largement favori. Quelle est l'assise sociale de Bolsonaro ? Elle se recrute «dans les églises pentecôtistes et l'agroalimentaire qu'il a élargi pour inclure un nombre surprenant de pauvres parmi les pauvres», relève l'auteur de l'article. La clef du succès résiderait «dans le stress quotidien de la vie pour les personnes qui luttent pour se débrouiller». Quel sort se réserve le Brésil avec Bolsonaro au pouvoir ? «C'est la fin des élections, même si les électeurs ne reconnaissent pas que, lorsqu'ils votent pour un autoritaire, ils démissionnent de leur propre rôle en tant que source ultime de l'autorité dans une république.» Un autre article du même magazine Prospect dresse le profil de Fernando Haddad, le remplaçant de Lula à la course pour la présidentielle.(***) Si Haddad «n'est pas le charmeur polyvalent qui était son mentor, Luiz Inácio Lula da Silva», il dispose toutefois de nombreuses qualités. Fils d'un immigré libanais, Haddad a été ministre de l'Education sous les gouvernements Lula et Rousseff, puis maire de l'une des plus grandes villes du Brésil, Sao Paulo, pendant un mandat. Le manifeste électoral, rédigé par Haddad, reprend les propositions que Lula avait précédemment mises de côté - comme la réglementation des médias et la modification de la Constitution. Haddad présente le profil d'un «homme qui ne peut pas représenter toutes les vertus de Lula, mais qui doit assumer les péchés réels et imaginaires de la gauche entière». «Le Brésil lutte depuis une génération pour contenir la violence policière, protéger les droits des minorités et éliminer l'esclavage dans le secteur agraire. Ses progrès ont été stoppés et ses échecs démoralisants. Mais dans tous les domaines, il y a eu des améliorations depuis la fin de la dictature en 1985. Une présidence de Bolsonaro mettrait tous ces acquis — et la démocratie elle-même — en péril», conclut Bryan McCann. A. B. (*) Paul Starr, Is Brazil about to have its last democratic election ?, Prospect, 11 octobre 2018, HTTP://PROSPECT.ORG/ARTICLE/BRAZIL-ABOUT-HAVE-ITS-LAST-DEMOCRATIC-ELECTION (**) Bryan McCann, Brazil's Coalition Against Democracy, Dissent, 15 octobre 2018 https://www.dissentmagazine.org/ (***) Fernando Haddad and the problem with the Brazilian left, Prospect, 12 octobre 2018, https://www.prospectmagazine. co.uk/