Tous les oppose mais ils ont un point en commun: le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro comme celui de gauche Fernando Haddad à la présidence du Brésil sont ceux qui suscitent le rejet le plus virulent de l'électorat. Mais ce n'est pas pour les mêmes raisons. Le premier, nostalgique de la dictature, épouvante les démocrates, tandis que le second, qui porte le lourd héritage des années Lula, répugne à tous les Brésiliens écœurés par la corruption. Jair Bolsonaro s'est mis à dos des pans entiers de la société brésilienne qui ne voteront jamais pour lui. Les Noirs? "Ils ne font rien!" Les homosexuels? "Je préfèrerais que mon fils meure dans un accident plutôt que de le voir avec un moustachu". Les femmes? Elles doivent être moins payées que les hommes à cause des congés maternité. Une semaine avant le 1er tour, des dizaines de milliers de femmes ont déferlé dans les grandes villes brésiliennes pour crier "Ele Não" ("Non, pas lui"). Sur Facebook, des groupes "anti-Bolsonaro" se sont formés pour dénoncer la rhétorique fasciste du candidat. "Ma foi ne me permet pas de soutenir la torture, le racisme et la xénophobie", a écrit un internaute catholique. Autant que l'homme qui a un effet repoussoir, c'est le climat qui pourrait surgir de l'élection qui effraie beaucoup d'électeurs brésiliens. "Bolsonaro ne va pas tuer un transgenre, ne va battre un Noir avec ses propres mains, mais son discours va légitimer pour d'autres personnes de le faire", s'alarme Duda Rodrigues, une autre internaute. "Il est immoral (...) J'ai surtout peur du vice-président, le général [Hamilton Mourao]. Une fois au pouvoir, est-ce que Bolsonaro va réussir à le contenir?", s'alarme Adriana, 44 ans. Comme Bolsonaro, le général de réserve a régulièrement défrayé la chronique. Le jour même du premier tour, il a fait une sortie sur le "blanchiment de la race" très mal accueillie. Selon deux sondages publiés à la veille du premier tour, 43 à 44% des électeurs interrogés excluaient de voter pour Jair Bolsonaro.
Tout sauf le PT Mais ils étaient presque aussi nombreux, de 36 à 40%, à "exclure en toute circonstance" (manière de calculer le "taux de rejet") un vote pour Fernando Haddad. Ce fidèle héritier de Lula recueille la haine viscérale que peut susciter l'ex-chef d'État, condamné à 12 ans et un mois de prison pour corruption et blanchiment d'argent. Pour des dizaines de millions de Brésiliens, hors de question de revoir aux commandes le Parti des Travailleurs (PT), formation de gauche qui a dirigé le Brésil de 2003 à 2016. "Quand ils sont arrivés aux affaires, ils avaient un discours sur le changement, l'honnêteté, mais ils ont été plus corrompus que les autres", accuse Carlos Augusto Neves. "Au début, Lula a bien commencé, mais après il a trompé toute la population", dénonce Ronaldo, un banquier. Pour expliquer cette détestation, "il faut revenir à 2005 et au scandale du +mensalao+", un réseau d'achat de votes au Parlement pour soutenir les réformes de Lula, explique le professeur de philosophie politique Marcos Nobre, de l'Université Campinas de Brasilia. Malgré ce scandale, Lula a été facilement réélu en 2006. "Une seconde chance lui a été donnée. Quand l'opération +Lava jato+ (Lavage express) est apparue en 2014, il semblait clair que le PT n'avait pas changé ses pratiques", dit l'analyste. La gigantesque enquête anticorruption, qui a permis de mettre en cause et d'incarcérer des dizaines de responsables politiques, dont le plus fameux, Luiz Inacio Lula da Silva, n'a pourtant épargné aucun parti. Mais "le PT a été le plus puni et a été au pouvoir le plus longtemps. Pour l'électeur qui n'a pas bénéficié ou qui ne se souvient plus d'avoir bénéficié de l'ère piétiste, le PT est vu surtout comme lié à la corruption", relève Jairo Nicolau, politologue à l'Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Pour limiter son taux de rejet, Haddad a compris son intérêt à prendre ses distances vis-à-vis de Lula. Le PT a annoncé qu'il n'irait plus le voir dans sa prison de Curitiba (sud) avant le second tour.