Isabelle Wilhelmine Marie Eberhardt, journaliste, écrivaine et romancière, appelée communément Si-Mahmoud pour son uniforme masculin en cavalier arabe, ou encore Mahmouda pour les Séfraouis qui connaissent bien cette jeune dame. Elle est née le 17 février 1877 à Genève, morte dans la crue subite de Oued-Séfra le 21 octobre 1904 et inhumée au cimetière musulman de Sidi-Boudjemaâ à Aïn-Séfra. Le 114e anniversaire de sa mort a été marqué par la commémoration de cette journée par une pieuse pensée en sa mémoire, organisée par l'association culturelle «Safi-Ketou» de Aïn-Séfra, où un programme très riche a été concocté en la circonstance. Ont participé à cette rencontre, plusieurs figures historiques et culturelles, ainsi que des intellectuels de la ville d'El-Bayadh. Outre un recueillement devant sa tombe et sa maison, une exposition-photos et livres et une conférence-débat, il a été projeté un film-documentaire sur Isabelle Eberhardt, intitulé Sur les traces de l'oubli, un film tunisien de Radja Amari. Dans les recommandations, l'Etat est interpellé pour sa réhabilitation et sa reconnaissance officielle. D'origine russe, elle est un de ces personnages à la fois universel et unique, dont les sujets de curiosité, les motivations, tout dans son comportement était jugé répréhensible. Sur plus de 110 articles (plus de 2 000 feuillets) publiés dans les journaux (Akhbar et la dépêche algérienne), Isabelle ne racontait de l'Algérie «rien de ce qui aurait pu plaire au colonialisme». Son regard n'allait se poser, ni sur l'orient des richesses ni sur celui des mirages, au contraire, il n'allait qu'à l'orient des réalités quotidiennes, à «… ceux qui n'ont rien et à qui on refuse jusqu'à la tranquillité de ce rien.... ». Elle revendiqua, la liberté, l'islam, d'aimer un peuple et un pays – l'Algérie – un pays qui n'était pas le sien, d'y vivre fièrement en déracinée, tout en cherchant une intégration, à première vue interdite. La liberté de prendre ses distances vis-à-vis de la société coloniale. C'était braver l'opinion et en subir les conséquences, c'était aller jusqu'au bout de soi-même en provoquant haine et suspicion, c'était aimer le désert et en mourir. L'énigme Isabelle, dont le mode de vie, les amitiés et les habits masculins avaient étonné plus d'un sur les rives du Léman, étonna bien davantage les Français d'Algérie, qui l'observèrent avec méfiance. Par sa plume précise et acerbe, elle s'est insurgée contre les comportements inhumains des troupes coloniales et dénoncé leurs agissements en sa qualité de romancière et de reporter aux journaux Al-Akhbar et la dépêche algérienne. «Je travaille à noter mes impressions du Sud, mes égarements et mes inventaires, sans savoir si des pages écrites si loin du monde n'intéresseront jamais personne. N'est-ce pas la terre qui fait les peuples ? que sera l'empire européen d'Afrique dans quelques siècles, quand le soleil aura accompli dans le sang des races nouvelles ? A quel moment nos races du nord pourront-elles se dire indigènes comme les kabyles roux et les Ksouriennes aux yeux pâles ? ce sont là des questions qui me préoccupent souvent… », disait Isabelle. Elle repose éternellement au cimetière musulman de Sidi-Boudjemaâ à Aïn-Séfra sur cette terre d'Algérie qu'elle a tant chérie. «… maintenant que j'y vis, en un petit logis provisoire à Aïn-Séfra, je commence à l'aimer. D'ailleurs, je ne la quitterai plus…– Eté 1904». Fin de citation. B. Henine