Le Président camerounais Paul Biya, 85 ans dont 36 au pouvoir, a reconnu hier au cours de sa prestation de serment «les frustrations et les aspirations» en zone anglophone frappée depuis un an par un conflit armé. C'est la première fois depuis le déclenchement de ce conflit que le Président Paul Biya reconnaît aussi clairement les difficultés rencontrées par les habitants en zone anglophone où 79 élèves ont été enlevés lundi par des séparatistes. «Je me suis attentivement penché sur les frustrations et les aspirations de la grande majorité de nos compatriotes» dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, a-t-il assuré. Avant de promettre qu'un «bon nombre de réponses» y sera apporté «dans le cadre de l'accélération du processus de décentralisation en cours». Paul Biya, qui entame un 7e mandat, a déclaré avoir «l'intime conviction que l'écrasante majorité (des Camerounais des régions anglophones) aspirent à retrouver rapidement la paix au sein de la communauté nationale». Dénonçant le «joug extrémiste qui fait régner la terreur et la désolation» et les «entrepreneurs de guerre», il a appelé les séparatistes armés à «déposer les armes et à retrouver le droit chemin». «Je ferai en sorte que le calme et la sérénité reviennent dans les deux régions concernées», a encore déclaré le Président Biya, estimant que «le destin de nos compatriotes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest s'inscrit dans le cadre de notre République». M. Biya, vêtu d'un costume et d'une cravate sombres, a prêté serment devant les députés et les corps constitués rassemblés à l'Assemblée nationale de Yaoundé. «Je le jure», a répondu en anglais et en levant la main droite le chef de l'Etat aux questions du président de l'Assemblée nationale, Cavaye Yeguié Djibril, lui demandant notamment s'il jurait «devant Dieu et les hommes» de «veiller au bien général de la Nation», «à son intégrité» et à son «unité». Cette cérémonie s'est tenue au lendemain de l'enlèvement de 82 personnes — dont 79 élèves — à Bamenda, capitale de la région anglophone du Nord-Ouest qui, avec le Sud-Ouest, est en proie à un conflit armé depuis un an entre séparatistes et forces armées. Les recherches étaient toujours en cours hier pour les retrouver. Un impressionnant déploiement de la police et de la gendarmerie était visible à Yaoundé où des opposants ont annoncé qu'ils entendaient manifester contre la réélection qu'ils estiment «frauduleuse» de Paul Biya. La journée de mardi a été décrétée jour férié au Cameroun à l'occasion de la prestation de serment du chef de l'Etat. Dans la région du Nord-Ouest, outre l'enlèvement des élèves, un sous-préfet a également été enlevé dimanche. Dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, une crise socio-politique sans précédent s'est installée fin 2016, qui s'est transformée fin 2017 en conflit armé. Des affrontements entre armée et séparatistes, agissant en groupes épars dans la forêt équatoriale, s'y produisent quasiment tous les jours depuis plusieurs mois. Les séparatistes ont décrété un boycott des établissements scolaires, estimant que le système scolaire francophone marginalise les étudiants anglophones. Depuis l'annonce de la réélection du Président Paul Biya, au terme de la présidentielle du 7 octobre, la situation dans ces régions s'est encore détériorée, tout comme le climat politique, des dizaines d'opposants ayant été arrêtés et des journalistes interpellés. Le 30 octobre, un missionnaire américain a été tué par balle dans son véhicule à Bambui, en banlieue de Bamenda. Les raisons de son assassinat restent inconnues, mais l'Etat a accusé les «terroristes» d'être à l'origine de sa mort alors que Washington a évoqué des «tirs croisés». En prévision d'éventuels troubles qui auraient pu survenir pendant la prestation de serment de M. Biya, réélu pour un septième mandat avec 71,28% des votes, policiers et gendarmes ont été déployés depuis plusieurs jours dans plusieurs zones de Yaoundé et d'autres villes. L'opposant Maurice Kamto, qui revendique la victoire au scrutin, a appelé ses partisans à résister par des actions pacifiques. Dimanche, 38 militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le parti de M. Kamto, ont été arrêtés à Bafoussam (ouest) alors qu'ils participaient à une marche pacifique contre le «hold-up électoral» en faveur du Président Biya. Plus de 60 autres, dont des avocats, avaient déjà été arrêtés avant d'être relâchés à Douala (sud) et Yaoundé, mais plusieurs ont été inculpés. Classé deuxième avec 14,23% des voix, M. Kamto a demandé à la communauté internationale le recomptage des votes.