Ils étaient un peu moins de 2 000 à constituer le collège des grands électeurs chargés de désigner, parmi leurs pairs qui n'avaient siégé dans les Assemblées communales ou de wilaya que durant une petite année, 48 d'entre eux qu'ils viennent d'envoyer au Sénat. Futurs délégués des territoires dont ils méconnaissent les spécificités économiques et sociétales, ils vont, cependant, en être les fictifs représentants dès lors qu'il ne s'agira pas pour eux de débattre du développement des régions, mais d'accompagner par l'approbation la politique générale du gouvernement. C'est d'ailleurs à cet exercice, sans grandes conséquences négatives pour leur carrière, qu'ils siégeront durant six années pour peu qu'ils s'accommodent de cette discipline cachant pourtant l'indésirable vassalité les contraignant à obéir lors des votes aux signaux du préposé au perchoir : cet inamovible président du Conseil de la Nation. Après cinq législatures, le Parlement algérien s'est, en effet, taillé une réputation peu engageante auprès de l'électorat lequel le lui rend bien en s'abstenant majoritairement chaque fois où il est invité aux rites des urnes. Bref, si ce cénacle où siègent 148 «disciples» adoubés par le pouvoir souffre de la même impopularité que son interface de l'APN, c'est qu'il est devenu, à maints égards, un abcès de fixation auprès de l'électeur à cause de l'ambiguïté de son mode de désignation. C'est ainsi qu'après vingt années (1997-2017) d'existence, le bicamérisme algérien a fini par brouiller l'idée que l'opinion avait de la démocratie représentative quand elle s'aperçut que ces chambres-là ne se renouvelaient cycliquement que pour promouvoir une majorité acquise aux souhaits du pouvoir. D'une chambre à l'autre, les observations furent édifiantes au moment où la rumeur commença à circuler à propos de la manière dont se négociaient financièrement des maroquins. Et si le discrédit cibla en priorité l'APN à cause du bourrage des urnes et falsification des procès-verbaux des scrutins, que dire de ce discret Sénat verrouillé dans son tiers par les cooptations du prince et le reste affecté à la distribution des quotas au seul profit des appareils politiques dociles. Confinés dans des rapports de quasi-allégeance au palais, les partis politiques de la majorité sont paradoxalement ceux qui sont le plus souvent atteints d'instabilité interne et chez lesquels émergent, en temps de crise, d'improbables dirigeants dont les postures sont parfois préjudiciables aux services dont ils seraient redevables au pouvoir. A ce propos, le cas du FLN est significatif à travers les soubresauts qui n'ont pas manqué d'affecter sa direction au cours de ce dernier mandat présidentiel (2014-2019). Autant dire que le monolithisme doctrinal qu'Octobre 88 balaya ne s'est, en définitive, opéré qu'à travers le fractionnement en plusieurs pôles d'intérêts alors que la matrice qui leur a permis d'exister est la même. D'ailleurs, le RND incarne cette «duplication» que s'efforcent d'imiter les partillons du MPA et du TAJ. Malgré donc le formalisme et la pluralité que la Constitution de 1996 introduisit, le tropisme du pouvoir n'a jamais disparu de la démarche des appareils. Considérée comme un objectif secret, l'inclination à se mettre au service du gouvernement, au lieu de se forger une doctrine et une éthique contraire, demeure à ce jour intacte. Emancipé donc du statut de chambre d'enregistrement datant de l'époque où le pouvoir législatif n'était que le notariat de la gouvernance, le forum du bicamérisme n'avait-il pas raté son rendez-vous avec la démocratie dès sa naissance ? C'est-à-dire dès sa récupération par les tireurs de ficelle du système. Le pluralisme qui aurait dû valoir un surcroît de notoriété auprès de l'électeur sera progressivement discrédité et qualifié d'imposture politique au fur et à mesure que les scandales de fraudes arrivaient sur la place publique. Ceux dont se rendirent coupables des mandataires plus soucieux de privilèges personnels que du bien public. Après toutes ces fâcheuses péripéties, n'est-il pas venu le temps de s'interroger sur son indécente instrumentalisation ? Se demander en une formule «à quoi sert le Parlement ?», c'est exiger déjà qu'il soit soumis au scanner des constitutionnalistes seuls qualifiés pour restituer les causes de sa clochardisation. En effet, se pencher à son chevet suppose que l'on doit nécessairement questionner le système politique qui l'avait imaginé en 1996 et toutes les variantes qu'il connut au cours de ses 20 années d'existence. Car la supposée avancée démocratique promise du temps de Zeroual n'était-elle pas un triste un habit d'arlequin grâce auquel l'ancien régime ressuscita en faisant accroire qu'il était différent de son passé. En dotant l'Etat d'un faux nez, le régime pouvait se défausser à tout moment sans recourir aux procédés artisanaux à travers justement l'existence d'un Conseil de la Nation où le tiers bloquant de faux sénateurs censure à son tour les velléités d'une opposition pourtant timide. A ce mécanisme pervers institué sans état d'âme viendra ensuite s'ajouter la tare des fraudes commanditées et le foisonnement des légitimités usurpées. Au cœur de ce processus de décomposition ayant connu son pic au lendemain de 2004, ce Parlement devint alors un pitoyable faire-valoir dont les gouvernements actionnent les votes sans avoir de scrupules à défendre leurs projets. Un Parlement pour quoi faire ? Et comment le faire ? Telles sont bien les deux questions qui seront au centre des débats futurs lorsque le pays aura résolu l'énigme d'un rendez-vous présidentiel chahuté de toutes parts par la rumeur. B. H.