Alors que les commentaires se raréfient de jour en jour à propos de l'inexpliqué limogeage du président de l'APN, ne voilà-t-il pas que, par un curieux hasard du calendrier, l'on évoque le cas de Bensalah dont la longévité au perchoir du Sénat est devenue, par les temps qui courent, une curiosité quand les limogeages sont devenus choses courantes.(1) A moins de 60 jours de la tenue des élections sénatoriales, la fonction régalienne qu'il a longtemps occupée serait-elle devenue un enjeu particulier afin de mieux baliser le fonctionnement à venir d'un 5e mandat présidentiel, périlleux à plus d'un aspect ? Sans doute que la personnalité même de Bensalah a été, jusqu'à présent, exemplaire en termes de fidélité au régime sauf qu'au-delà de sa notoire rectitude, d'autres impondérables pourraient surgir s'il était maintenu devenant, dans ce cas-là, l'option de trop. Mais au-delà des martingales politiques, établissant des probabilités afin de trier dans la nomenklatura, ce genre de préoccupations n'illustrent-elles pas l'insoutenable vassalité à laquelle est réduite la représentation parlementaire et notamment la Chambre des «chouyoukhs» ? En effet, rien n'est plus abusif que d'affirmer que les élus qui la composent tiennent réellement leurs mandats des urnes. Les libertés publiques étant ce qu'elles sont, il est clair que dans ce domaine très sensible, le fait du prince prime sur le choix des électeurs. C'est de la sorte que la démocratie en Algérie s'était empressée de se doter d'un Parlement à deux étages : c'est-à-dire deux Chambres d'inégal rayonnement. L'une, baptisée Sénat, n'est, dans la réalité, qu'une Assemblée de praticiens cooptés pour un tiers et le reste émanant d'un scrutin indirect de supposés «grands électeurs». Bref, une institution légiférant réputée tristement pour sa générosité en sinécures quand elle prétend être la dépositaire des doléances remontant des territoires à travers «des élus locaux» (APC et APW). Jamais d'ailleurs ce bicamérisme institué en 1996 n'a amélioré le jugement de l'électeur quant à la transparence de son vote. Bien au contraire, son scepticisme, face au lamentable spectacle des Assemblées croupions, n'a eu de cesse de se conforter. D'une Chambre à l'autre, les mots d'ordre étaient les mêmes ; et les approbations attendues par les pouvoirs elles aussi étaient rédigées dans la même langue de bois. Or, si le discrédit qui frappe l'APN s'explique essentiellement par le bourrage des urnes, que dire d'un Sénat dont le président est parachuté à partir du palais et où le vote de défiance n'existe guère grâce à la censure d'un «tiers» siégeant d'autorité et sans le moindre mandat ? Autant qualifier ce détestable garde-fou qu'est le Sénat de chambre de la censure d'Etat contrastant avec l'APN qui demeure la modeste chambre d'enregistrement de tous les régimes frileux que le pays eut à subir. Il est évident que ce n'est guère le bicamérisme qui est fondamentalement récusé mais seulement sa version pernicieuse et antidémocratique que le système algérien codifia. Plus d'une fois, les constitutionnalistes soulignèrent les aspects boiteux de sa construction sans pour autant remettre en question son inefficacité qui la caractérise alors qu'il suffisait d'aller puiser dans les modèles des démocraties avancées pour constater ce qu'il manquait à la boîte à outils algérienne. En effet, la démarche de notre système politique ne s'est-elle pas résumée à une transposition formelle d'un cadre institutionnel tout en accordant aux régimes le privilège de truquer les votes et, même plus, en amputant le Conseil de la Nation de 48 sièges qui leur servirent de couperet au cas où… ? A l'origine donc, cette architecture du Parlement n'était pas destinée à renforcer la séparation des pouvoirs mais l'inverse. Celui de créer un contrepoids à la moindre velléité des courants politiques siégeant notamment à l'APN quand il leur arrive de s'accorder pour rétorquer les projets de l'exécutif. Plus proche du modèle moyen-oriental que de la transparence démocratique de l'Occident, le parlementarisme algérien a fini par devenir une dangereuse source de transactions dans les carrières en contrepartie de douteuses conditions. Evidemment, le pouvoir en place peut arguer qu'il s'est défendu de toucher au bicamérisme qu'il a reçu en héritage sauf qu'il n'est pas possible d'attendre des bénéficiaires de cette indifférence officielle (FLN et RND), qu'ils fassent campagne pour amender la loi organique de l'institution législative. En somme, un réaménagement qui permettrait de déconnecter en priorité le Conseil de la Nation de sa dépendance vis-à-vis de l'exécutif en rendant à l'électorat le droit d'élire des candidats aux 48 sièges captifs de la présidence de la République. Car, malgré toutes les dérives qui ont ponctué son activité, l'APN demeure formellement la seule traduction du parlementarisme et le pôle à peu près correct où le débat politique possède encore un semblant de sens : même si toutes les virtuosités oratoires finissent à l'avantage des gouvernements. A l'inverse, ce Sénat mal-né continue à projeter l'image brouillée d'une représentation nationale peuplée de marionnettes. Par ailleurs, la défection massive de l'électorat dont se plaignent les dirigeants du pays ne s'est-elle pas nourrie puis amplifiée en présence du persistant spectacle de toutes les illégitimités «délibérantes» ? Celles que l'on consulte au nom du magistère de la loi alors qu'elles ne sont que des pupitres de la claque. Et si, à une poignée de semaines avant le renouvellement du Sénat, ce diagnostic était nécessaire à établir, c'est que la dualité entre les deux Chambres s'était parfois exprimée violemment sans que le pouvoir ait cru nécessaire de corriger les écarts préjudiciables à la complémentarité de leur exercice respectif. A ce propos, il suffit de rappeler la polémique datant de mai 2011 et dont l'auteur était le président de l'APN qui avait estimé injuste que la mission relative aux consultations en vue de la réforme constitutionnelle soit dévolue à Bensalah, président du Sénat. Ziari, pourtant défenseur patenté de Bouteflika, allait arguer du fait que l'APN, étant une Chambre intégralement élue, n'aurait-elle pas dû bénéficier de la prééminence sur une institution partiellement cooptée ! L'argument ne manquait pas de pertinence dans le contexte de l'époque sauf qu'il n'invoquait qu'une «injustice» alors qu'il aurait dû être le marqueur le plus significatif de ce parlementarisme boiteux. Celui qui permet à Bensalah de demeurer dans les bonnes grâces du chef de l'exécutif pour, ensuite, vaquer à son train de sénateur. B. H. 1) Lire l'article consacré à «Bensalah et sa reconduction», paru in Liberté du 31 octobre.