Corporalisé à souhait, le syndicalisme dans l'enseignement continue toujours à se prévaloir de ses différentes sensibilités selon qu'il s'agisse du corps des instituteurs ou de celui des professeurs ainsi que du personnel périphérique. Seulement, cette différence de sigles derrière lesquels s'expriment leurs représentants disparaît, comme par magie, chaque fois qu'il est question de déclarer la grève des cours comme s'il s'agissait de participer à une union sacrée pour sanctionner huit millions de potaches et inquiéter quelques centaines de milliers de parents perturbés et irrités cette fois par le recours intempestif aux débrayages dont ils firent une tradition. Car, si l'on parle au nom du Cnapeste ou bien du CLA tout autant lorsque l'on plaide sa cause à partir du Satef, du Snapest ou de l'Unpef, l'on ne vise qu'à instruire le procès de l'employeur tout en ignorant superbement les premiers usagers de l'école. Ceux qui subissent ponctuellement les procédés vindicatifs d'un syndicalisme à la dérive et dont la patience et la culture de la négociation ont été remplacées par le chantage. Certes, ce vocable-là est en soi impropre à l'usage lorsqu'il s'agit de qualifier la stratégie que reconduit, depuis au moins cinq années scolaires, le syndicalisme de l'enseignement. Néanmoins, l'on doit se demander si nos marchands d'alphabet sont toujours en conformité avec l'éthique lorsqu'ils décrètent avec une telle légèreté le black-out sur les établissements scolaires. Et c'est cet empressement qui est formellement rédhibitoire dans leur démarche en ce sens qu'il impacte négativement la qualité de l'école algérienne dont ils savent, avant tout le monde, qu'elle demeure d'une médiocrité notoire. L'insupportable surenchère que ce syndicalisme pratique d'une année sur l'autre n'a-t-elle pas fini par lui coûter une certaine hostilité dans l'opinion ? Un revirement à son égard qui s'est substitué à la sympathie ayant accompagné leur combat du passé. Car, pour n'avoir pas su éviter les faux-pas que pose habituellement le manque de «rondeur» dans les négociations, ces autonomistes, trop pressés, se retrouvèrent dans des impasses. Et pour cause ! Ils ignoraient, en effet, les appels à la raison lancés par les parents d'élèves l'an dernier lorsqu'ils boycottèrent, durant 60 jours, les cours dans les lycées. Curieusement, l'activisme syndical ne semble pas près de muter dans le bon sens afin d'accéder au statut de partenaire. Une répétition des scenarii de la précédente année scolaire qui explique la réactivation de la contestation et la rédaction d'un cahier de doléances où se côtoient ridiculement des exigences relevant de la pédagogie (le refus des cours de soutien le mardi, par exemple) et les problèmes statutaires concernant le passage d'une catégorie à une autre. Le tout posé comme un préalable immédiat avec à la clé une journée de grève le 21 janvier en guise de «tir de sommation». Il est vrai que la lourdeur administrative d'un ministère-mammouth avec son million de fonctionnaires n'est pas exempte de ce qui s'y passe et se trame au nom de l'école. Or, c'est à partir de l'iceberg scolaire que l'on peut mesurer l'étendue de l'échec de l'action publique. Celle-ci fut incapable jusque-là de séparer les problèmes, tant l'influence des lobbies est pesante au sein même du pouvoir, qu'on lui exigea en permanence de passer des compromis afin de calmer la contestation. C'est de la sorte que la gestion des carrières dans l'éducation nationale demeure le carburant, ce dont profite un syndicalisme de plus en plus pointilleux en l'absence de l'interface qu'est l'Etat. Il est d'ailleurs significatif que rien qui ressemble à l'autorité de la loi n'était venu perturber la longue grève injustifiée et injustifiable qu'engagèrent les professeurs de lycée au cours de la précédente année scolaire. C'est dire que la sanctuarisation du système éducatif n'est jamais l'affaire d'un seul ministère, surtout lorsqu'il s'agit de se pencher au chevet de ses problèmes et des tares, certes héritées d'une autre période, mais qui demeurent néanmoins des abcès de fixation dans l'enseignement. Or, comment maintenir le cap des réformes dans un environnement houleux et comment riposter à la déstabilisation chronique du fonctionnement des écoles alors que le syndicalisme agite régulièrement son chiffon rouge et cela sans l'intervention solennelle de l'arbitrage de la puissance publique ? Tout se résume dans cette défaillance de l'Etat alors qu'il aurait dû être en mesure d'actionner l'arsenal légal concernant l'intérêt public afin de dissuader une certaine praxis contraire à l'éthique syndicale. Dès lors qu'il est admis que l'éducation nationale est une composante fondamentale de l'identité du pays, n'est-il pas, en effet, impératif que l'armature, qui doit l'immuniser et préserver son fonctionnement, devienne la préoccupation primordiale de l'Etat ? Hélas, elle n'est scandaleusement pas encore la priorité qui prévaut au somment de la République où l'on se préoccupe plutôt de la pérennité d'un régime. Ravalées au rang de problème secondaire, les difficultés de l'école sont désormais illustrées par le recours systématique de la… «déscolarisation» des potaches imposée par des maîtres-grévistes. Une impasse qui vient d'obliger cette ministre à la peine de différer une fois de plus les réformes concernant les examens cardinaux (5e, BEM et bac). C'est dire que l'école algérienne est en soi un système idéologique à part. A elle seule, elle influe sur bien plus de nombreux enjeux sociétaux qu'on ne le soupçonne. De ceux qui ont trait au rapport de force entre des approches culturelles opposées et au sujet desquelles l'on a refusé de faire le choix qu'il faut. Ce sont là des tergiversations essentielles politiciennes qui, à ce jour, empêchent et les pédagogues de faire valoir leur science didactique et les doctrinaires patentés d'indiquer les voies royales du savoir. En un mot comme en mille, l'école algérienne demeure en otage perpétuel totalement fragilisée dans son fonctionnement, ce dont profite lamentablement un syndicalisme de moins en moins respectueux de sa propre éthique. B. H.