Tout Alg�rien a le droit de porter sur le pr�sident Houari Boumedi�ne le jugement qui lui sied. Qu�il s�agisse de la l�gitimit� historique du patron de l�EMG, de son entr�e tardive dans les rangs de l�ALN, de sa prise de pouvoir en 1962, de l��viction de Ahmed Ben Bella (ci-apr�s ABB) en 1965 ou des orientations qu�il a cherch�es � donner sur les plans �conomique, social et culturel jusqu�au fameux tournant d�avril 1977, la d�bat reste largement ouvert et il appartient � chacun (citoyen ou historien) de s�en saisir, s�il le souhaite. A ce propos, il me para�t utile de rappeler que chacun doit pouvoir donner son point de vue en toute libert� et de pr�f�rence �tayer son plaidoyer (en faveur de qui il voudra) par des arguments scientifiques. Personne ne peut d�nier le droit, quelle qu�ait pu �tre � un moment donn� sa proximit� de tel ou tel acteur de l�histoire, au pr�sident du RCD, le droit de publier un ouvrage document� sur le colonel Amirouche (le Dr Sadi est un enfant de ce pays et il n�a pas � solliciter l�autorisation de qui que ce soit pour contribuer � l��criture de l�histoire). Ceci dit, la clase politique alg�rienne est, semble-t-il, la plus veule et la plus ingrate du monde arabe. 32 ans apr�s la mort de H. Boumedi�ne, personne n�a encore song�, parmi ses compagnons de route, � cr�er une fondation pour honorer la vie et le parcours de cet homme d�exception, toute d�di�e au service du pays. Tout se passe comme si le pr�sident H. Boumedi�ne n�avait jamais exist�, n�avait pas cherch� � instaurer un ordre social juste et �quitable que le capitalisme f�odal alg�rien (qui n�avait eu de cesse de collaborer avec l�ordre colonial) cherchait � d�manteler, n�avait pas lanc� la doctrine du Nouvel ordre �conomique international (qui inspire aujourd�hui, tous les courants altermondialistes), n�avait pas cr�� les conditions d�une paix d�finitive au Proche-Orient en collaboration �troite avec le roi Fay�al Ibn S�oud, opportun�ment assassin� en mars 1975. Tous les hommes, dont H. Boumedi�ne a fait la carri�re, les extirpant du n�ant dans lequel ils se d�battaient, se d�fendent aujourd�hui d�avoir �t� ses collaborateurs, redoutant probablement les foudres de l�actuel locataire d�El Mouradia qui pourtant les ignore superbement, ayant d�j� r�alis� son r�ve de pr�sider aux destin�es de l�Alg�rie et �tant en passe de d�tenir le record de long�vit� � la t�te de l�Etat (15 ans en 2014). Honte � tous ces mercenaires que H. Boumedi�ne avait plac�s aux avant-postes, alors qu�il aurait pu puiser dans le vivier constitu� par les plus authentiques militants du PPA/ MTLD, pour le plus grand bien de l�Alg�rie. Ces mercenaires rappellent �trangement ceux qui ont rejoint les rangs de l�ALN, en mars 1962, quelques jours seulement avant la proclamation du cessez-le-feu, apr�s avoir vendu leur �me au diable. Lorsqu�on voit aujourd�hui de quelle fa�on les Fran�ais, de quelque ob�dience qu�ils appartiennent, c�l�brent l�homme du 18 juin 1940 (autrement dit le g�n�ral de Gaulle), on est afflig� � et le mot est faible � par l�amn�sie qui semble frapper tous ceux que H. Boumedi�ne a combl�s de ses bienfaits. Ceci dit, le 45e anniversaire du �coup d�Etat� du 19 juin 1965 est l�occasion de revenir sur la crise de l��t� 1962 (I), les errements de la pr�sidence ABB (II), la signification de sa destitution par H. Boumedi�ne (III), le projet de soci�t� que ce dernier ambitionnait de r�aliser entre 1965 et 1977(IV), enfin le fameux tournant d�avril 1977 (V). I. La crise de l��t� 1962 Elle vient cristalliser les conflits de l�gitimit� qui ont toujours �t� sous-jacents � l�unanimisme de fa�ade de la Direction du FLN/ALN. L�annonce par le g�n�ral de Gaulle, le 16 septembre 1959, d�un r�f�rendum sur l�autod�termination des populations alg�riennes, l�affaiblissement consid�rable des wilayate de l�int�rieur � partir de mars 1959, l�autonomisation croissante du GPRA � la faveur de l�internationalisation du conflit alg�rien, la mont�e en puissance de l�EMG, seule entit� politico- militaire organis�e et soud�e ; l�ensemble de ces facteurs se ligueront, au moment de la proclamation de l�ind�pendance, pour faire obstacle � l��mergence d�une seule institution habilit�e � repr�senter l�ensemble des forces sociales et politiques alg�riennes. Ce n�est pas le lieu de refaire la relation de la crise de l��t� 1962. Mais il s�agit de faire justice de quelques contrev�rit�s qui continuent de truffer le r�cit historique des �v�nements de 1962. 1. Le GPRA n�a jamais �t� le d�positaire de la souverainet� nationale, m�me si, � lui, �tait revenue la charge de n�gocier puis de signer les Accords d�Evian. Il avait achev� sa mission au soir du 18 mars 1962, cependant que l�Ex�cutif provisoire, institu� par ces m�mes accords, n�a � aucun moment �t� en mesure d�exercer ses pr�rogatives. 2. Il en r�sulte que le GPRA n�avait aucun titre � destituer l�EMG, d�autant moins d�ailleurs que celui-ci �tait une �manation du CNRA qui �tait seul habilit� � sanctionner, le cas �ch�ant, les chefs de l�EMG. Qu�il n�ait pu s�y r�soudre ou seulement l�envisager renvoie � l�absence totale d�un leadership incontestable et incontest� au moment de l�ind�pendance. Cette situation objective n�en d�l�gitime pas moins le GPRA � d�savouer l�EMG car le GPRA n�a jamais �t� per�u que comme un des surgeons du FLN/ALN, celui-ci comprenant �galement le CNRA, les wilayate de l�int�rieur, les �historiques � d�tenus au ch�teau d�Aulnoy et le Comit� interminist�riel de la guerre (CIG). 3. Le colonel Boumedi�ne, qui n�a jamais cherch� a priori l�affrontement avec le GPRA, pouvait d�autant moins se r�soudre � l�alliance insolite conclue entre un GPRA divis� (suite � l��limination de F. Abb�s par B. Ben Khedda en 1961) et les Wilayate III et IV ainsi que la F�d�ration de France du FLN (en juillet 1962), qu�historiquement les Wilayate III et IV avaient toujours d�nonc� l�inertie du GPRA, au plus fort de l�affrontement entre l�ALN et l�arm�e fran�aise, avant de contester ouvertement sa vocation � s�exprimer au nom de la R�volution alg�rienne. 4. Le pourrissement de la crise de l��t� 1962, qui aurait d� trouver son �pilogue le 6 ao�t lorsque la F�d�ration de France du FLN fit all�geance au Bureau politique (constitu� � Tlemcen) et apr�s que ce dernier fut reconnu par K. Belkacem et M. Boudiaf (le 2 ao�t) n�est pas imputable � l�EMG, mais � la volont� de quelques irr�ductibles du groupe de Tizi-Ouzou de marginaliser le colonel Boumedi�ne qui n�avait pas moins de qualit� qu�eux � prendre les r�nes du pouvoir � l�ind�pendance. II. L��viction d�Ahmed Ben Bella Quelque opinion qu�on ait du �coup d�Etat� du 19 juin 1965, aucun Alg�rien ayant v�cu la p�riode 1962-1965 ne peut en garder la nostalgie. Ceux qui font grief au pr�sident H. Boumedi�ne d�avoir �limin� par la force ABB doivent savoir que celui-ci conduisait le pays droit vers l�ab�me, multipliant les d�cisions d�magogiques, allant jusqu'� nationaliser bains maures et gargotes, emprisonner le personnel politique qui osait seulement manifester sa circonspection � l��gard de sa politique (comme ce fut le cas du Dr Ahmed Taleb Ibrahimi qui fut son compagnon de d�tention � la prison fran�aise de la Sant�, en 1958, et qui avait pourtant renonc� � toute ambition politique en 1962), mettre entre parenth�ses la Constitution du 10 septembre 1963 quelques semaines seulement apr�s sa promulgation en l�gif�rant par ordonnances, alors qu�aucune circonstance d�ordre int�rieur ou ext�rieur ne le justifiait. L�application de l�autogestion dans les conditions les plus fantasques qui soient mena�ait de paralyser l��conomie du pays � tout moment. Quant � l��ducation, ABB avait fait venir d��gypte une cohorte de cireurs, de cordonniers et de marchands de beignets qui s��taient improvis�s enseignants et qui seront les premiers � d�truire les fondations de l��cole alg�rienne. Au sein de l�administration r�gnaient l�indiscipline dans le travail, le populisme, le n�potisme, la fuite en avant. Laisser ABB programmer, organiser et mettre � ex�cution le chaos de l�Alg�rie, alors que celle-ci venait de payer au prix fort son ind�pendance e�t �t� une attitude irresponsable. Il est inexact � cet �gard d�attribuer le renversement de ABB � la menace que ce dernier aurait fait peser sur la coh�sion du groupe d�Oujda, � partir du mois de d�cembre 1964. Dans les mois qui suivirent l��lection d�ABB (soit � partir du 1963), le bureau du colonel H. Boumedi�ne �tait litt�ralement assailli par des moudjahidine et des responsables du FLN qui l�exhortaient � faire barrage aux foucades d�ABB. Ce � quoi le colonel Boumedi�ne, alors 1er vice-pr�sident de la R�publique et ministre de la D�fense, opposait son attachement au l�galisme et son refus subs�quent de porter atteinte aux pr�rogatives d�un pr�sident �lu au suffrage universel. Ceux qui pr�tendent que le colonel Boumedi�ne pr�parait la prise du pouvoir depuis sa d�signation par le CNRA � la t�te de l�EMG, en janvier 1960, font liti�re du refus qu�il avait constamment exprim�, � partir de 1962, de prendre quelque initiative que ce soit � l�encontre du pr�sident ABB. Il avait fallu que le d�sordre institutionnel atteigne son acm� (en juin 1965) pour que H. Boumedi�ne se r�sol�t � franchir le pas fatidique. Il y aurait beaucoup � dire sur le temp�rament vell�itaire et attentiste de H. Boumedi�ne qui d�ment totalement le profil de va-t-en-guerre que lui accole une partie des historiens. III. La signification de la destitution d�ABB Ce n�est pas seulement avec l�appui des membres du groupe d�Oujda que le colonel Boumedi�ne est parvenu � renverser ABB. Il a b�n�fici� du soutien des anciens chefs des wilayate de l�int�rieur (S. Boubnider, Y. Khatib, T. Zbiri, M. Sa�d, M. Oulhadj, S. Soufi), d�autres officiers puissants (A. Chabou, A. Bencherif, S. Abid, Ch. Bendjedid, A. Belhouchet, A. Dra�a) ainsi que des personnalit�s engag�es depuis longtemps dans le combat anticolonial (A. Mendjli, A. Mahsas ou B. Boumaza). La politique de fuite en avant pratiqu�e par le pr�sident ABB avait fini par faire l�unanimit� contre lui. C�est seulement lorsqu�il prend acte de la d�gradation irr�m�diable de la situation politique que H. Boumedi�ne acc�l�re le processus de mise � l��cart d�ABB. Il ne s�agissait pas d�un banal coup d�Etat men� par des hommes impr�gn�s de la culture du pronunciamiento ou du cuartellazo ; il fallait imp�rativement mettre un terme � une exp�rience qui risquait de co�ter cher � l�Alg�rie. Lorsque dans tel ou tel manuel d�histoire, on rel�ve que le colonel Boumedi�ne pr�parait la prise du pouvoir � l�ind�pendance en recherchant parmi les historiques celui qui lui servirait de paravent le plus commode, on omet de dire qu�� partir de 1959, tous les chefs politico-militaires alg�riens ont le regard riv� sur l�ind�pendance, non pas comme �v�nement majeur qui viendra d�finitivement lib�rer tout un peuple asservi et mutil� par 130 ans de colonisation, mais comme une aubaine pour prendre la place du colonisateur. C�est un hasard de l�histoire qui fait qu�au moment o� l�EMG se constitue en force militaire autonome, celui qui la dirige n�est pas un chef militaire ordinaire, uniquement soucieux d�ordre et de discipline. Il s�agit d�un homme qui a r�fl�chi aux ressorts profonds du colonialisme, � la d�structuration profonde de la soci�t� alg�rienne sur le plan culturel et celui des repr�sentations symboliques, un homme qui �tait capable d�appr�cier, au travers de l�exacerbation des luttes de clans et de factions, que l��lite politique alg�rienne candidate � la succession de l�Etat colonial n�avait pas encore pleinement acc�d� � la conscience nationale et manquait de maturit�. Avec beaucoup d�autres, silencieux parce qu�impuissants, il redoutait que l�ind�pendance ne soit d�tourn�e de sa vocation originelle qui consistait � redonner � l�Alg�rie une �me que la colonisation lui avait �t�e et engager le pays sur la voie de la reconstruction, du d�veloppement et aussi de la justice sociale. Des hommes comme ABB, H. A�t Ahmed, K. Belkacem ou B. Ben Khedda, si grande qu�ait �t� leur d�termination � combattre le colonialisme et si m�ritoires que fussent leurs sacrifices, n�apparaissaient pas en mesure de rassembler les Alg�riens autour des t�ches prioritaires de l�ind�pendance ou de s�adresser � un auditoire plus vaste que celui de leurs client�les respectives (car leur approche �tait ind�niablement de type client�liste, � l�exception de H. A�t Ahmed qui se consid�rait d�j� comme le za�m de la r�volution et le plus apte � jouer les directeurs de conscience, r�le qu�il continue d�exercer encore aujourd�hui avec le succ�s que l�on sait). Seul le colonel Boumedi�ne avait r�fl�chi, con�u et �labor� dans la solitude de son bureau de travail au PC de Ghardimaou, un v�ritable projet de soci�t� pour l�Alg�rie. Les jeunes universitaires qui avaient rejoint l�arm�e des fronti�res en 1960 n�avaient jamais entendu un chef politico-militaire, dans la clandestinit� qui pr�valait encore � cette �poque, leur parler d�ind�pendance, de construction de l�Etat, de rassemblement de la nation, de lutte contre le n�potisme, le clanisme ou le client�lisme. Cet homme qui avait la prescience des �v�nements et pouvait se projeter tr�s en avant du cessez-le-feu de mars 1962 (horizon ind�passable pour certains acteurs politiques), c��tait H. Boumedi�ne. IV. La p�riode 1965-1977 Il est impossible dans le cadre restreint de cette contribution de d�cliner les grandes r�alisations de H. Boumedi�ne pendant la p�riode 1965-1977. Ce qu�il nous para�t important de retenir est que la construction d�un Etat puissant et f�d�rateur est au c�ur de sa conception de la nation alg�rienne, historiquement conglom�rat h�t�roclite de tribus et de fractions de tribus, cependant que le d�veloppement �conomique passait � ses yeux comme � ceux de la quasi-totalit� des experts par le d�veloppement des industries industrialisantes. 1. Sur la construction de l�Etat Encore en 2010, on continue de faire reproche au pr�sident Boumedi�ne d�avoir �t� un �tatiste imp�nitent, plus du reste qu�un socialiste. Ceux qui alimentent ce grief ne connaissent pas l�histoire de l�Alg�rie et plus encore la question de l�Etat dans des r�gimes implant�s � l�issue d�une longue p�riode de colonisation et de domination �trang�re. D�s l��veil du nationalisme alg�rien, le fait �tatique est soumis � trois hypoth�ques structurelles : l�islam qui a ciment� la r�sistance du peuple alg�rien � l�oppression coloniale, �la communaut� trans�tatique de langue et de culture� (M. Camau) et l�ensemble des particularismes �thniques, tribaux et r�gionaux. Aux yeux de H. Boumedi�ne, la construction d�un Etat alg�rien suffisamment puissant pour incarner les aspirations du peuple alg�rien au d�veloppement devait tenir compte de la pr�gnance historique de l�islam et de la vigueur des particularismes infra-�tatiques qui sont toujours � l��uvre dans notre pays, presque 50 ans apr�s l�ind�pendance. Ces facteurs constituaient deux contraintes objectives dirimantes � l��closion d�un Etatnation construit sur le mod�le de l�Etat occidental. Contrairement � ce que soutient M. Harbi ( L�Alg�rie et son destin. Croyants ou citoyens, Arcant�re, 1992, 247 p. p.195), �H. Boumedi�ne [ne] croyait [pas], comme tous les nationalistes populistes, au mythe d�une communaut� �trang�re aux factions�, pas plus qu�il n�a cherch� � manipuler l�opinion publique alg�rienne. Il avait au contraire su appr�cier � sa juste valeur la construction d�un Etat moderne d�gag� de la traditionalisation autant que du n�opatriarcat, lesquels ont l�une et l�autre min�, � travers l�histoire, la construction des Etats arabes. Tout au long de la p�riode 1965- 1977, H. Boumedi�ne lutte de fa�on acharn�e (Cf. A. Taleb- Ibrahim, M�moires d�un Alg�rien, Tome 2, La passion de b�tir [1965 1978], Casbah Editions, 2008) contre la privatisation de l�Etat en mettant en place des institutions qui auront la primaut� sur les relations interpersonnelles et combat obstin�ment la client�lisation de la soci�t�, l�allocation des ressources politiques devant s�effectuer pour promouvoir l�int�r�t g�n�ral (R�volution agraire, gestion socialiste des entreprises, r�cup�ration de richesses naturelles, �l�vation du niveau culturel des populations, etc.) et non pour mobiliser des all�geances, comme entreprendra de le faire son successeur Ch. Bendjedid entre 1977 et 1992. 2.- Sur la strat�gie �conomique Ce n�est pas le pr�sident H. Boumedi�ne qui a cherch� � imposer urbi et orbi une strat�gie de d�veloppement �conomique sans consulter aucun expert et sans longuement r�fl�chir � l�impact qu�elle peut produire sur le d�veloppement de l�ensemble du pays. Au milieu des ann�es 1960, pr�vaut une doctrine forg�e par F. Perroux et G. D. de Bernis en vertu de laquelle les pays qui entendent se d�velopper et qui disposent d�une rente susceptible d��tre transform�e en capital productif, doivent rechercher les p�les d�industrialisation dont les effets sur les autres secteurs de l��conomie seront importants. En outre, ce qu�on appelle �les cha�nes de d�s�quilibres cr�ateurs� g�n�reront de nouvelles branches qui r�troagiront sur les premiers en les stimulant. Les responsables politiques de l��poque devaient r�pondre � trois questions fondamentales : quelles productions encourager, quel march� satisfaire et quels doivent �tre les principaux acteurs de ce processus. La r�ponse � la premi�re question est qu�il convient d�encourager les productions qui poss�dent un caract�re �industrialisant� (industries lourdes, chimie, �nergie), la r�ponse � la seconde est qu�il convient de privil�gier le march� int�rieur. Quant � la r�ponse � la troisi�me question, elle consiste � affirmer le r�le pr�pond�rant de l�Etat, car lui seul, tout au moins dans une premi�re phase, peut mobiliser des capitaux importants et lui seul, ne serait-ce qu�en raison d�un secteur priv� balbutiant, peut s�engager dans des op�rations industrielles dont la rentabilit� n�est pas � court terme mais � long terme. La raret� d�une main-d��uvre qualifi�e, le niveau �lev� des co�ts induits par le fonctionnement des unit�s industrielles (au regard de la taille r�duite du march� alg�rien), l�endettement qu�elle portait en germe (car il s�agissait d�acqu�rir des industries hautement capitalistiques, par cons�quent on�reuses) et enfin l�effet d��viction qu�elle n�a pas manqu� de provoquer sur les autres secteurs de l��conomie ont conduit le pr�sident Boumedi�ne � instaurer une pause dans la mise en application de cette strat�gie. S�agissant de la R�volution agraire, le principe unanimement admis � l��poque (il ne s�agissait donc pas d�une lubie de H. Boumedi�ne) �tait que toute croissance agricole devait passer par la constitution d�un secteur industriel int�gr�. Dans l�Alg�rie des ann�es 1960, l�agriculture avait vocation � contribuer au d�veloppement de l�ensemble du pays � travers le r�le des produits agricoles (l�agriculture devant nourrir une population en croissance tr�s rapide), le d�veloppement du r�le du march� (car le secteur agricole devait servir de d�bouch� � la production industrielle de biens de production et de biens de consommation), l�apport de main- d��uvre (dans la mesure o� l�agriculture fournit � l�industrie les salari�s dont elle a besoin) et enfin et surtout l�accroissement de l�accumulation puisque aussi bien la part de plus en plus importante que repr�sente l�agriculture dans le PIB va lui permettre de d�gager des ressources qui financeront l�accumulation du capital dans les autres secteurs. Quelque bilan que l�on veuille dresser de cette politique, force est d�admettre qu�elle ob�issait � un souci de coh�rence, une d�marche globale dans laquelle la part d�ambition personnelle ou l�attrait du pouvoir, s�ils existaient ind�niablement, se dissolvaient dans le souci primordial de cr�er les conditions du d�veloppement �conomique, le d�collage industriel de l�Alg�rie et l�autosuffisance alimentaire. V. Le tournant d�avril 1977 De tous les universitaires et chercheurs alg�riens qui ont eu � porter une appr�ciation sur le bilan de H. Boumedi�ne, seule une, Claudine Chaulet (authentique r�sistante au colonialisme qui fut une compagne de route de Abane et � laquelle jusqu�ici personne n�a rendu l�hommage qu�elle m�rite), a r�ussi � th�oriser l�indiff�rence des masses populaires � l��gard du projet de soci�t� �labor� par H. Boumedi�ne et notamment la R�volution agraire dans sa remarquable th�se de doctorat (Les fr�res, la terre et l�argent, OPU, Alger, 1986, 3 tomes). En avril 1977, H. Boumedi�ne prend conscience des quatre hypoth�ques suivantes : 1. Les fellahs, les salari�s du secteur public et la classe politique dans son ensemble n�adh�rent plus au projet de d�veloppement du pays, quels que soient les r�sultats positifs obtenus et nonobstant la n�cessit� de passer � une deuxi�me phase dans laquelle le co�t du d�veloppement devra �tre moindre, les ambitions industrielles revues � la baisse et la responsabilisation des agents �conomiques plus grande. 2. Il n�est plus possible pour lui de continuer � s�adosser � des clans et des factions qui ne sont pas tant hostiles � l�option socialiste du pays que r�fractaires � toute politique visant la satisfaction de l�int�r�t g�n�ral et la lutte contre l�enrichissement personnel en provenance des fonds publics. 3. L�instrumentalisation des valeurs fondatrices de la nation alg�rienne par quelques lobbies (notamment ceux de la tendance arabo-ba�thiste) l�inqui�te au plus haut point, cependant qu�une arabisation outrageusement d�magogique qu�il n�a jamais pr�conis�e menace de d�truire � terme toute l��cole alg�rienne. 4. Enfin, le pr�sident Boumedi�ne prend conscience qu�il lui faut songer � se rel�gitimer, non plus en r�inventant de nouvelles formes de bonapartisme social ou politique (comme cela avait �t� le cas dans le sillage du redressement du 19 juin 1965) mais en dotant le pays d�institutions d�mocratiques, en commen�ant d�abord par r�activer les institutions consultatives, en associant l�expertise locale tenue � l��cart de la r�flexion sur le projet de soci�t� et en d�cidant de faire accomplir au FLN un profond aggiornamento (ce qui passait, � ses yeux, par un renouvellement du personnel politique). Le changement commence par un important remaniement minist�riel d�cid� en avril 1977 qui mettra fin, entre autres, � l�h�g�monisme st�rile de B. Abdesslam sur l�industrie et l��nergie. Mais 17 mois plus tard, alors que H. Boumedi�ne est engag� � fond dans une entreprise de transformation de sa politique (y compris �trang�re, notamment vis-�-vis du Maroc fr�re), il tombe gravement malade avant de d�c�der le 27 d�cembre 1978. Au prononc� du nom de son successeur, � l�issue du 4e congr�s du FLN, d�aucuns ont eu le sentiment que l�Alg�rie passait de la lumi�re aux t�n�bres. A. M. * Professeur d�universit�