Depuis le 22 février, les pancartes des manifestants algériens rivalisent en créativité. Du dessin aux phrases choc, en passant par l'humour et les mascottes, les marches des vendredis et celles des étudiants révèlent un langage contestataire inventif et artistique. «La révolution du sourire» ou bien «La révolution souriante» est en passe de définir de manière emblématique le mouvement de protestation en Algérie. Les millions de manifestants qui sortent chaque vendredi aux quatre coins du pays ainsi que les centaines de milliers d'étudiants qui marchent chaque mardi font preuve d'une imagination intarissable dans l'écriture des slogans et l'élaboration de pancartes hautes en couleur. Cela est allé crescendo : le vendredi 22 février, il était clair que le caractère spontané des marches a pris le dessus sur la préparation des supports et des modes d'action politique. La marche était, cependant, dominée par le chant et le slogan «La casa del Mouradia», un titre devenu mythique, sorti des stades, et particulièrement du club algérois USMA. Il était, sans conteste, l'hymne de cette première journée. Ecrite collectivement par le groupe Ouled El-Bahdja, représentant des supporters de ce club de football, la chanson est largement antérieure au mouvement mais elle en deviendra le symbole artistique incontournable : «L'aube est déjà là et je n'arrive pas à dormir. Je consomme tout doucement (du cannabis, ndlr). A qui la faute ? Qui en est responsable ? Nous en avons marre de cette vie ! Au premier mandat, disons que ça pouvait passer, ils nous ont eus avec le spectre de la décennie noire. Au deuxième, nous avons pris conscience, c'était la Casa del Mouradia (référence à la série Casa de Papel, ndlr). Au troisième, le pays s'est fait dépouiller par les intérêts personnels. Au quatrième, le pantin est mort mais le pillage se poursuivait. Et voilà le cinquième, ils continuent leurs tractations. Le passé est archivé, reste la voix de la liberté…» Le dimanche 24 février, le rassemblement auquel a appelé le mouvement Mouwatana, largement suivi par la population, a vu l'apparition assez timide de pancartes anti-5e mandat et appelant au changement du système. Mais ce sont les étudiants qui, dès mardi 26 février, ont donné le la pour une conception plus élaborée des moyens d'expression : funérailles symboliques du président et du régime à l'université de Constantine ; banderole accrochée au portail fermé de la Faculté centrale d'Alger où l'on compare le président à un djinn dont on entend parler mais que l'on ne voit jamais ; une jeune fille qui brandit une pancarte où l'on peut lire : «Je le veux comme Bouteflika : à chaque fois que je lui demande de partir, il s'accroche davantage !»… La créativité atteindra son sommet les 1er et 8 mars derniers avec une effervescence artistique et humoristique inégalée. Alger, Béjaïa, Oran, etc. deviennent de plus en plus colorées : hommes, femmes et enfants brandissent des messages politiques chargés d'humour et d'esthétique. «Yes we can, Toz you can't !», «Pour une chaise présidentielle Tefal, afin que le président ne s'y colle pas !», «No Boutef, no cry !», « Bouteflika, go to Walahala (le royaume des morts chez les Vikings, ndlr)», «Mon bras me fait mal à force de porter cette pancarte, allez va-t-en !», etc. On pouvait également croiser une mascotte grandeur nature d'une vieille femme démesurément maquillée coiffée du slogan : «Princesse de Koukou présidente !» ; un piège à souris avec, au lieu du fromage, un gros morceau de «cachir», désormais symbole incontournable du régime et de ses soutiens ; un autre morceau accroché à une canne à pêche, etc. Salué partout dans le monde pour son pacifisme, son sens de l'humour et son iconographie singulière, le mouvement du 22 février demeure encore incertain quant à ses issues et ses possibles conquêtes, mais il aura marqué l'imaginaire collectif par son langage et son imagerie originale. Sarah H.