A l'écoute de la capitale, accrochés au moindre développement de la situation, à l'instar du reste du pays, les centaines de milliers de personnes de tous âges, qui sortent chaque vendredi depuis le 22 février dernier dans les rues de Tizi-Ouzou, ont, encore une fois, répondu à l'appel pour exiger le départ de tout ce qui symbolise le régime. Rien ne les fera dévier de leur exigence exprimée depuis le début du mouvement, ni la démission forcée de Bouteflika ni celle de Belaïz ou encore les discours alambiqués de l'armée, rien d'autre que le départ de tous. Comme partout ailleurs à travers le pays, ils ont donc écrit, hier, un autre chapitre de la Révolution joyeuse même si beaucoup ne l'ont pas caché, les dernières «entourloupettes» du chef de l'Etat par intérim et le discours chaud et froid de Gaïd Salah ont mis leur patience à rude épreuve. D'ailleurs, hier, beaucoup de slogans et de pancartes brandies servaient directement en guise de réponse à ce que propose le pouvoir. Ainsi, les consultations conduites par le chef de l'Etat ne sont ni plus ni moins qu'apparentées à «une tentative vaine de sauver ce qui reste du régime en reprenant la feuille de route de Bouteflika avec sa conférence nationale inclusive», estime un ancien journaliste qui, en famille, n'a raté aucune des neuf manifestations du vendredi et ce n'est «surtout pas maintenant qu'il faudra flancher». Ils sont des milliers comme lui à sentir la nécessité absolue de maintenir la flamme, comme ceux qui ont voulu donner un sens supplémentaire à la marche d'hier en joignant à la cause la commémoration des deux Printemps ayant marqué à jamais la Kabylie, les événements du 20 Avril 1980 et ceux d'il y a 18 ans lorsque 127 personnes ont payé de leur vie une page des plus sombres du long règne de Bouteflika. De cette manifestation à la veille de commémoration des deux dates qui comptent dans la mémoire collective en Kabylie, il restera des images hautement significatives puisqu'elle coïncide, donc, avec le 20 Avril. En effet, parmi les milliers de manifestants, beaucoup brandissaient à dessein les deux drapeaux, le national et l'amazigh, comme depuis le début du mouvement populaire pour montrer, même s'ils n'avaient pas besoin de se justifier de quoi que ce soit, que rien ni personne ne leur fera sentir qu'ils sont moins ou plus algériens que n'importe qui. «On marchera, on marchera jusqu'à ce qu'ils tombent», clamait un groupe parmi les tout premiers à parvenir au rond-point du carrefour Djurdjura, où étaient exposés des portraits de quelques-unes des victimes du Printemps noir, alors que d'une vingtaine de mètres plus loin retentit «Al chaâb yourid isqat nidham» (le peuple veut faire tomber le régime) clamé par un autre groupe mené par un jeune «armé» d'un mégaphone qui haranguait ceux qui l'accompagnaient en criant : «Bensalah !» pour se voir répondre «Dégage !», tout autant lorsqu'il prononçait les noms de Bedoui et Gaïd Salah. Des tableaux désormais rituels parmi tant d'autres qui n'en finissaient pas tout le long du rituel parcours menant vers la place de la Bougie, à la sortie ouest de la ville. Là d'où il était loisible de voir que des milliers qu'ils étaient au départ de la manifestation, vers midi, ils s'étaient transformés en une véritable marée humaine aux alentours de 14 heures. «Uulach smah» (pas de pardon), «Pouvoir assassin» et autre «Djazaïr hourra dimocratia» résonnaient de partout jusqu'en fin d'après-midi avec la promesse de beaucoup de manifestants de revenir le lendemain pour le moment sacré de la double commémoration du 20 Avril 1980 et du Printemps noir, toujours en gardant le caractère «silmiya»(pacifique) de la protestation. Azedine Maktour