Rien ne peut apparemment venir à bout du Mouvement populaire à Tizi-Ouzou. Ni les caprices de la météo ni le coup au moral subi après l'intronisation de Bensalah à la tête de l'Etat avec la bénédiction du chef d'état-major de l'ANP n'ont, en effet, eu le don de casser l'élan des centaines de milliers de partisans de la refondation de la République. L'abandon du projet d'un 5e mandat par Bouteflika, le rejet du prolongement de son 4e et de son offre pour venir à bout de la crise, puis sa démission sous la contrainte après une historique mobilisation, sont «des acquis fondamentaux à capitaliser quoi qu'il arrive», comme l'expliquait un ancien militant de l'un des deux partis les mieux implantés en Kabylie. La mobilisation d'hier, bien qu'elle ait, au début, quelque peu pâti en raison d'une météo pas très indiquée pour des pans entiers de ceux qui ont pris l'habitude de sortir tous les vendredis depuis le 22 février, le cours normal des habituelles manifestations a repris le dessus au fur et à mesure que le ciel se débarrassait de ses gros nuages. Des centaines, puis des milliers de manifestants de tous âges, flanqués des drapeaux national et amazighs, de banderoles et de pancartes sur lesquelles les slogans écrits ont été mis à jour tout autant que les revendications entonnées à voix déployées, commencèrent à déferler en prenant la direction du point de rassemblement habituel, aux alentours du campus de Hasnaoua, en passant par le boulevard Lamali, sur la route du CHU. Dès la grosse ondée passée, peu après 12 heures donc, le tableau redevenait identique à celui des sept vendredis précédents. Les milliers de manifestants se sont mis à se multiplier pour atteindre les dizaines de milliers puis à partir de 13h30, ce fut la marée humaine qui déferlait sur les principaux axes qu'empruntent, depuis huit semaines maintenant, les protestataires auxquels sont venus se joindre des centaines d'autres, déçus pour n'avoir pu rejoindre la capitale. «Wahed ma yeslah djaboulna Bensalah» (aucun d'eux n'est utile, ils nous ont ramené Bensalah) scandait un groupe de jeunes derrière un autre groupe de manifestants qui, lui, a ressorti un vieux slogan datant des années douloureuses du Printemps noir : «Ulach l'vote ulach» (Pas d'élections qui tiennent). Un peu plus loin, un homme d'âge mur donnait le ton avec son mégaphone en passant de «Echaâb yourid yetnahaw gaâ» (Le peuple veut qu'ils partent tous) à «Silmiya, silmiya, houkouma irhabiya» (pacifique, pacifique, Etat terroriste). Des slogans encore plus crus les uns que les autres à travers lesquels les développements intervenus ces derniers jours sont passés en revue à la manière des manifestants. Des slogans dont Gaïd Salah, Bensalah et Bedoui ont pris la grosse part du nouveau lexique des manifestants. L'autre fait marquant de la manifestation d'hier à Tizi-Ouzou a été l'expression à travers une multitude de pancartes sur lesquelles il est désormais expliqué que la Constitution n'a plus cours. «La volonté du peuple plus forte que la Constitution», brandissait une fillette accompagnée de ses parents qui traversaient le rond-point du Bâtiment-Bleu à l'entrée du boulevard Abane-Ramdane, par où, un quart d'heure plus tôt, au milieu de la procession, jaillissait une autre pancarte sur laquelle un jeune homme avait écrit «Votre Constitution n'émane pas du peuple, prenez-la avec vous, c'est le peuple qui décide». Plusieurs heures durant, les rues de Tizi-Ouzou ont, donc, renoué avec la manifestation du vendredi et, comme on le promettait sur un autre écriteau, «le peuple ne se taira plus jusqu'à tetnahaw gaâ». Azedine Maktour