C'est dans un amphithéâtre plein que le think tank Nabni collectif citoyen a convié, ce samedi 27 avril, à l'Ecole polytechnique d'El-Harrach (Alger), les étudiants à débattre de ses «chantiers de la refondation» et notamment du processus de transition politique à la lumière des expériences dans le monde, en Amérique latine et l'Europe en particulier. Il faut dire que si « l'Algérie rêvée » est au cœur des activités de Nabni depuis sa création, les chantiers ou domaine de recherche et de réflexion sont aussi divers que d'une grande sensibilité. Aujourd'hui sans doute encore plus dans le contexte de la « révolution du sourire » et des chambardements induits par le Hirak dans la sphère du pouvoir, d'une part, et la rupture quant à la perception de la chose politique et ceux qui en portent la responsabilité (yetnahaou ga3). C'est donc là que sont les défis majeurs de la transition quant à savoir comment et par qui elle doit être menée, pour quel projet de société en conformité avec les revendications populaires exprimées et dans le cas qui nous intéresse, depuis le 22 février. Sadek Fenardji, consultant de Nabni, a développé une analyse comparative des expériences de transition démocratique, exercice intéressant certes mais qui ne pouvait embrasser de façon exhaustive le sujet qui tient en haleine les marcheurs du vendredi. Pour de multiples raisons relevant des spécificités propres à chaque pays mais dont l'intérêt est sans doute dans les enseignements que l'on peut tirer des processus de changements ou de transition démocratique. Une chose paraît évidente est qu'il s'agit de rompre par rapport à un système autoritaire mais pour cela il n'y a pas de schéma préétabli ou recette à usage général. Du Chili au Brésil, au Mexique, Indonésie, Philippines, l'Espagne post-Franco, la Pologne de Lech Valesa (Solidarnosc) à la Tunisie de l'après-Ben Ali, le transfert du pouvoir s'est fait dans un cas par le haut et dans un autre sur la base de la volonté populaire. (Articles 7 et 8 de la Constitution en Algérie). L'on retiendra des débats à l'Ecole polytechnique que les animateurs de Nabni se gardent bien de prétendre faire des recommandations de cet atelier de la transition politique mais d'évoquer les mécanismes susceptibles d'aider à un « passage réussi » d'un régime à un autre comme les élections libres et transparentes sous contrôle populaire direct, se passer du fichier électoral en lui substituant le vote par la pièce d'identité tout simplement. Une telle mesure fait partie, entre autres moyens, de préparer la transition démocratique qui ne peut se faire dans le court terme mais s'inscrit dans la durée afin qu'elle soit réussie et qu'elle ne soit pas bâclée au grand bonheur du système qui, ainsi, peut se régénérer. Comment alors transférer le pouvoir des militaires aux civils ? Cela peut être à la charge d'une commission élue pour un mandat unique comme cela s'est déjà fait. Mais la question est ardue et surtout d'une grande sensibilité quant aux enjeux internes. En Algérie, l'appareil exécutif (gouvernement) est le premier à en faire les frais parce qu'il faut des têtes pour calmer un tant soit peu la grogne populaire. Les acteurs économiques font aussi partie de ceux qu'il faut jeter en pâture dans la mesure où leur champ d'intervention est la base même du pouvoir. Les débats ont ce mérite de rappeler que toute précipitation dans la transition politique peut mener à l'échec. Exemple, la Constitution : en faut-il une nouvelle dès le départ, c'est-à-dire une Constituante ou amender celle en cours tout en travaillant pour amender les dispositions litigieuses ? C'est l'avis du conférencier qui cite le cas de la transition réussie en Tunisie et sa nouvelle Constitution, désormais un exemple dans le monde d'après lui. Par ailleurs, l'on doit retenir par les chantiers de la transition de Nabni et tous ses efforts de réflexion qu'il n'y a de place que pour un changement démocratique sans quoi la transition est un leurre. L'institution militaire est partie prenante stratégique de cette transition (nombre de partis politiques adoptent au demeurant cette position). Si en Tunisie l'armée fait office de figurant dans le jeu politique, c'est loin d'être le cas dans de nombreux autres pays en Amérique latine (Chili avec le général Pinochet et en Asie (Indonésie et Philippines). En gros, l'armée en plus a son mot à dire dans les pays du Tiers-Monde. Cela est une donnée permanente. D'autre part, le contexte international et par les interactions supposées ou réelles, milieux mafieux, trafics d'armes et de drogues, corruption font du changement démocratique dans ces pays-là une équation à plusieurs inconnues et bien souvent sous couvert de démocratie, un ravalement de façade. Les influences extraterritoriales de puissances étrangères peuvent être décisives quant au changement revendiqué et le résultat auquel est confrontée la vox populi. Comment alors doit-on interpréter les accusations (contre la France ?) du général Gaïd Salah? Le caractère dictatorial du nouveau régime (sous des apparences de changement) s'exprimera dans la sphère économique (chômage, et chute du pouvoir d'achat) tout en donnant l'illusion de plein exercice des libertés. Enfin, il en sortira des débats des chantiers de la transition, que le changement espéré est jonché d'obstacles, le premier est celui inhérent à l'élection présidentielle du 4 juillet prochain qui ne peut, selon les conférenciers et compte tenu de tout ce qui précède, avoir lieu. Car, c'est courir vers un désastre dont on peut à peine mesurer les dégâts. Brahim Taouchichet