Comme nous l'annoncions ici même il y a un an, le Premier ministre indien Narendra Modi a remporté les dernières élections législatives avec une majorité encore plus grande. Katharine Adeney, professeure de sciences politiques et directrice de Asia Research Institute,de l'université de Nottingham, revient sur les secrets d'un tel exploit.(*) L'auteure attribue « l'étourdissante » victoire et « l'exploit politique de taille » enregistrés par le parti Bharatiya Janata (BJP) – Parti indien du peuple, droite nationaliste hindoue - aux élections indiennes de 2019 à deux de ses dirigeants: le Premier ministre, Narendra Modi, et le président du parti, Amit Shah. Le BJP a raflé plus de 300 sièges au parlement indien, le Lok Sabha, plus que les 282 qu'il a remportés en 2014 et les 272 nécessaires à une majorité. C'est la deuxième fois depuis 1971 qu'un gouvernement majoritaire en place revient au pouvoir avec une majorité en Inde. Rien n'augurait un tel raz-de-marée après le mauvais départ enregistré dans certains Etats : dans le Chhattisgarh, le Madhya Pradesh et le Rajasthan – « une partie du cœur de l'hindi qui avait aidé Modi à la victoire en 2014 » – défaites attribuées aux scandales entourant l'attribution d'un contrat de défense ainsi que la hausse du chômage. Nombre d'événements imprévus viendront bousculer l'ordre des choses initial et dessiner la victoire de Modi, principalement les retombées d'un attentat-suicide à Pulwama dans le Jammu-et-Cachemire, qui a fait 40 victimes parmi les forces armées indiennes en février 2019. La fermeté de Nodi a payé : il a engagé des frappes aériennes contre les coupables sur le territoire pakistanais, et mis le discours sur la sécurité nationale au centre de sa campagne. Le second facteur de réussite est le camp adverse ! Le parti du Congrès a commis l'erreur fatale de concentrer ses attaques sur « des allégations de corruption plutôt que sur les échecs économiques » du premier mandat de Modi. Paradoxalement, une telle ligne d'attaques a ravivé la mémoire de l'électorat sur les précédents (et très importants) scandales de corruption ayant entaché des membres du Congrès.Autre erreur impardonnable du Congrès : la formation et la gestion de ses alliances politiques – alors que le BJP était « extrêmement accommodant avec ses partenaires de l'alliance dans des Etats comme le Bihar et le Maharashtra »,(**) le Congrès « n'a pas réussi à trouver un accord avec ses partenaires potentiels à Delhi et dans l'Uttar Pradesh ». La machine de guerre médiatique du BJP a été également d'un grand apport : « Alors que seulement un quart des Indiens utilisent WhatsApp, ce qui représente encore 300 millions de personnes, la création de matériel promotionnel spécifiquement destiné à différents segments de la société a joué un rôle déterminant dans la progression d'un récit politique particulier. » Au-delà de ces facteurs, l'observateur retiendra une lame de fond pas forcément réjouissante : le diktat de la majorité sur les minorités, la prévalence de la démocratie sur les libertés. « En 2014, 51% des personnes ayant répondu aux études sur les élections nationales indiennes ont déclaré croire que la démocratie devait donner la priorité à la volonté de la communauté majoritaire ». Le balancement de l'Inde à droite est porté par un « majoritarisme hindou » d'autant plus inquiétant qu'il est plus fréquent chez les jeunes, parallèlement à un hégémonisme mortel sur les autres minorités religieuses (20% de la population), en particulier les musulmans. L'argument économique n'a pas été en reste dans la victoire de Modi. Jagannadha Pawan Tamvada, professeur associé en stratégie et innovation à l'université de Southampton, met l'accent sur « les promesses de croissance économique ».(***) « Au cours des cinq dernières années, le gouvernement de Modi a projeté de travailler sans relâche pour faire avancer la cause des marginaux de l'économie indienne. Les initiatives politiques du BJP comprennent un mouvement de démonétisation controversé pour mettre fin à la corruption, qui a créé des comptes bancaires pour 356 millions de pauvres. Il a également fourni des raccordements de gaz de cuisson à près de 60 millions de foyers et fourni de l'électricité à près de 16 000 villages, couvrant plus de 40 millions de foyers qui ne l'avaient pas auparavant, rendant toute l'Inde électrifiée.» Par ailleurs, la couverture sanitaire a été étendue aux citoyens les plus pauvres du pays et plus de 90 millions de toilettes ont été construites, alors que des micro-prêts sans garantie étaient accordés aux entrepreneurs indépendants et une taxe unifiée sur les produits et services instaurée pour l'ensemble du pays, ce qui a permis d'élargir l'assiette de recouvrement fiscal. Au programme « sabka sath et sabka vikas» (développement pour tous) en vigueur depuis cinq ans est venu se greffer pendant la campagne de 2019 le mot d'ordre nouveau de «mein bhi chowdikar» (moi aussi je suis un gardien) pour mettre en avant le rejet de la corruption et présenter Modi dans le rôle d'un justicier. Ce dernier semble résolu à poursuivre l'œuvre engagée il y a cinq ans et à tenir ses ambitieuses promesses de campagne au cours des cinq prochaines années : « Il s'agit notamment de s'assurer que chaque famille indienne a sa propre maison d'ici à la 75e année de son indépendance en 2022, de doubler les revenus des agriculteurs, de développer une infrastructure de classe mondiale et d'accélérer le soutien apporté aux entrepreneurs et aux entreprises en démarrage, tout en maintenant la priorité pour le développement inclusif. » A. B. (*) Katharine Adeney, «India Election : how Narendra Modi won with an even bigger majority», The Conversation, 23 mai 2019 https://theconversation.com (**) Il s'agit de l'Alliance démocratique nationale (NDA), une coalition au pouvoir de 1998 à 2004 et de nouveau depuis 2014. (***) Jagannadha Pawan Tamvada, «Indian Election : Modi win delivered thanks to faith in economic growth pledges», The Conversation, 23 mai 2019 https://theconversation.com