La nuit n'a pas été longue. Je l'ai blanchie contre ma volonté. Oui, elle a été courte. Je n'ai pas eu ma dose de sommeil. Au fait, un sénior a droit à combien d'heures de sommeil ? Je poserai la question à mon médecin préféré ; pourvu qu'il ne s'embarque pas dans les histoires des cinq phases de sommeil. Il en est même qui est paradoxal, comme cette canicule qui n'a aucune compassion pour quiconque. Et qui montre ses crocs de jour comme de nuit. Le réveil est laborieux. Comme assommé par le manque de sommeil, je traîne les pieds, de la chambre à la salle de bains. L'eau du robinet ne me réveille pas tout à fait. Elle est pratiquement tiède. Je ne vais pas, tout de même, me laver avec celle du frigo. Quoique, ça peut être une option ! A la kitchenette, j'opte pour un café. Je pensais que ça allait me fouetter les nerfs. J'en ai vraiment besoin. Je veux sortir de cette torpeur caniculaire. Curieusement, j'ai eu envie d'une clope. Pourtant, j'ai arrêté de me goudronner les alvéoles pulmonaires depuis des années. Voilà, j'ai envie d'une sèche. Confiant en ma volonté, je ne céderai pas à cette tentation. Je ne retomberai pas dans le piège de la nicotine. J'avale mon café, fissa. Je traîne, un peu, les pieds. Je tourne en rond. D'une pièce à une autre, je tente d'ouvrir vraiment les yeux. Les paupières sont encore lourdes. Vite, un autre kahoua ! Celui-là, je le déguste. Je profite de son arôme. Je ne vais pas faire de publicité. C'est un café connu. Là, je commence à voir clair. J'entrevois la lumière du jour. Je décide, de ce fait, d'affronter l'extérieur. La tête, cachée dans un « bob », comme il est loin le chapeau de paille de mon grand-père au moment de la fenaison, je sens mon cerveau bouillir. Pourtant, je n'ai pas encore fait la moitié du trajet. Seigneur, ça chauffe dur ! Je me dis que j'ai vu pire, surtout de ma période de bidasse, du temps où le barrage Vert devait arrêter l'avancée du désert. Soukiès est juste un coin calciné par le soleil. Un peu lunaire. Juste bon pour les gerboises et les scorpions. Enfin, la vigueur était encore mienne. Plus maintenant. Les voitures, toutes vitres fermées, clim oblige, passent et repassent, comme si elles avaient perdu le nord. Les passants, sous un soleil de plomb, usent leurs souliers. Têtes nues, ils affrontent la chaleur, une bouteille d'eau à la main, comme s'ils étaient en bord de mer. Il faut avoir une tête solide pour supporter cet effet. J'en ai même vu qui promène leurs enfants. Pourtant, il fait une chaleur à ne pas mettre un bambin dehors. Ni un poète. Ni un policier. Ni un balayeur. Ni un marchand de glaces. Ni un chien errant. Comme il n'y a plus d'arbres sur nos trottoirs, la fournaise fait son jeu. Les arbres, quelle ironie ! Sitôt plantés, sitôt cassés ! Comme si l'Algérien avait peur de la nature ! Il n'y a même plus de jardins publics arborés, comme dans le temps. Au fait, les voleurs du Jardin d'Essai ont été mis à l'ombre. Je ne fais aucun jeu de mots, les amis. Les volets des maisons sont clos. Heureux le détenteur d'un climatiseur, par les temps qui surchauffent. Heureux celui qui possède une cave. Malheureusement, crise du logement oblige, on construit à la verticale pour caser plus de monde. AADL. LPP. LPL. LPA. LSP. LS… Allez convertir ces acronymes ! Personnellement, j'en suis incapable ! Quant à la construction traditionnelle, cela relève du passé ! Au fait, avez-vous remarqué les couleurs choisies pour badigeonner les nouvelles cités ? Un Mozart de la couleur ! Pensant trouver « mes » analystes politiques, je me rends à mon café habituel. La salle est presque vide. Il faut compter avec la chaleur. Je prends place face à la porte, quêtant un hypothétique souffle d'air. J'espère, également, voir arriver mes potes. Je veux comprendre beaucoup de choses. Je veux comprendre les tenants et les aboutissants de cette chasse au drapeau amazigh. Je veux comprendre l'entêtement de l'Algérie officielle. Je veux savoir où se niche le vrai pouvoir, depuis le départ peu glorieux de Bouteflika. Je veux comprendre les arrestations de ces Algériens, qui brandissent l'emblème jaune. Mon esprit vagabonde. Je ne me rends même pas compte du serveur, qui dépose devant moi un Ben Haroun. Mais où va donc l'Algérie ? Vers une reconduction du système, qui a conduit le pays à une crise sans nom ? Au fait, combien de temps faudra-t-il passer pour compter, billet après billet, mille milliards de dollars ? Faut-il utiliser une compteuse de billets ? Ou est-ce seulement un simple jeu d'écriture ? La chaleur me fait tourner la tête. J'ai des questions inquiétantes. Et « mes » analystes politiques qui ne montrent pas le bout de leur nez ! Tout seul, je me perds au fond de cette inquiétude, qui me fait craindre le pire. Supposons que ça tourne au vinaigre, il n'y aura ni vainqueur ni vaincu. Ma grande peur, c'est celle-là : l'Algérie officielle est en train de serrer, graduellement, les vis. Et l'Algérie populaire refuse de perdre sa révolution. Révolution du sourire, dit-on ! Jargon de journaliste. Pour faire beau. Pour trouver une formule adéquate. Tout comme la révolution du jasmin. Pas loin de notre pays. Ou les fameux printemps arabes. Des formules creuses. Rien de moins. Je ne ris plus. Je ne souris plus. Depuis un moment, je constate que la force risque de casser ce merveilleux mouvement populaire. Personne à l'horizon ! Je lève l'ancre. Je bouge ma carcasse. Je vais chercher un peu de fraîcheur à la librairie Multi-livres. Je me dis que la compagnie des écrivains serait rafraîchissante. A l'arrivée, je constate qu'il y a, malgré tout, des audacieux qui viennent braver la canicule et s'offrir un roman. S'offrir une compagnie. S'offrir un soutien. Comme le roman est une somme d'invraisemblances, ces audacieux de la lecture pourraient s'offrir le luxe de subvertir la réalité algérienne. Comme la poésie est une somme de rêves, ourdis à fleur de peau, ces audacieux de la lecture pourraient s'offrir le luxe de tracer des plans sur la comète. Alors, lointain sera le Hirak. Et lointaine sera cette impasse politique, qui veut que l'Algérie officielle fasse des discours, chaque mardi ; et que l'Algérie populaire occupe les rues, chaque vendredi. Trois climatiseurs tentent, vaille que vaille, de refroidir la grande salle de la librairie. C'est juste une tentative. A moins de se mettre sous l'appareil, la transpiration est garantie. Les commis libraires font de leur mieux, pour coincer le moindre souffle d'air frais. Néanmoins, le boulot les oblige à tracer les rayons, pour mettre à la disposition du client le titre voulu. Ils ont le cœur à l'ouvrage. Travailler dans le livre est valorisant. Dehors, le peuple vaque à ses occupations, comme si de rien n'était. Il faut continuer de vivre, en attendant le prochain vendredi. La mer se représente, comme un projet inatteignable. Puis viendra le prochain discours. Et vogue la galère algérienne ! Y. M.