Il était 9 h du matin ce dimanche 3 novembre lorsque les familles de détenus du Hirak se sont rassemblées face au tribunal de Sidi-M'hamed à Alger. Onze détenus doivent être présentés devant le procureur de la République, accusés d'avoir brandi le drapeau amazigh lors de la marche du 37e vendredi, correspondant au 65e anniversaire du déclenchement de la guerre d'indépendance, le 1er Novembre 1954. La veille, jeudi, une rafle policière a abouti à l'arrestation d'une centaine de manifestants qui seront – fort heureusement — relâchés en fin de journée, à l'exception, toutefois, du militant activiste Raouf Raïs pour port de l'emblème amazigh. À un croisement de la rue Hamani-Chérif et la rue de la Liberté, le rassemblement devait nettement grossir sans, cependant, noyer ces vieilles artères de la capitale. Les policiers anti-émeutes faisaient le pied de grue dans les rues adjacentes et ne semblaient pas, pour autant, alarmés par cet événement à répétition aux abords d'une institution censée faire justice, aussi bien parmi les citoyens qu'entre ces derniers et ceux qui les gouvernent, représentants de l'Etat dans toute sa plénitude. Mais, visiblement, la machine judiciaire toussote tant pour ce qui concerne les affaires traitées que du fait du mouvement de grève et de contestation de ses hommes, les magistrats. Le noyau, particulièrement bruyant, des protestataires donne de la voix de façon ininterrompue, brandissant haut le drapeau national. Du fait des slogans scandés à pleins poumons, on se serait cru au Hirak du vendredi sans que cela donne l'impression d'une récurrence éculée. Bien au contraire, c'est l'air de cette atmosphère de révolution populaire citoyenne qui trouve son prolongement au 15, rue de la Liberté. Et d'ailleurs, les manifestants ont bien pris le soin de se poser face à l'étage de la chambre d'accusation où le procureur de la République doit recevoir et se prononcer sur les marcheurs de vendredi dernier, lesquels ont été cueillis à froid, dès le début de la journée. Les manifestants n'ont de cesse d'entonner les chants patriotiques, dont celui de l'hymne national «Kassamen». Aucun dépassement n'est à relever ni de la part de ces derniers ni des policiers, plutôt pris dans leurs palabres. C'est dire. «Où est la justice ?» crient les parents des détenus ; «Libérerez nos enfants» ; «Libérez l'Algérie» ; «Libérez Bouregaâ» ; «Libérez les détenus, ils n'ont pas vendu de la cocaïne». Et comme une incantation qui monte haut dans le ciel, les cris à vous donner la chair de poule : «Ya Ali» (en référence à Ali La pointe (Ali Amar) mort lors de la bataille d'Alger. Et puis, c'est au tour de Raouf, bien vivant celui-là mais attend son jugement par ses compatriotes. Meriem, la maman de Rayan, 54 ans, fait partie de ce collectif des parents des détenus. Elle se sent toujours aussi impliquée depuis que son fils, Rayan, 17 ans, a été pris mais vite relâché début mars au niveau de l'hôtel El-Djazaïr. Traumatisé, nous dit-elle, il se trouve dans un état de claustration chez lui… Par contre, à l'en croire, elle est dans les marches du mardi (étudiants) et du vendredi. Il y a lieu de relever que le sit-in se tient à quelques mètres du siège du quotidien El Moudjahid, et qu'aucune télé publique ou privée n'a jugé utile de couvrir cet événement. Une dizaine d'avocats de la défense s'est mobilisée, dont la très médiatique Aouicha Bakhti. On notera également la présence du représentant de la Laddh de Bejaïa à Alger depuis mercredi dernier. Il y a également le représentant du CNLD (Comité national de libération des détenus). Légèrement en retrait, deux députés ferment ce rassemblement qui en appellera certainement d'autres. La relax des détenus du drapeau amazigh, réclamée y compris pour ceux des 21 et 28 juin dernier, se heurte – pour l'heure — à l'intransigeance des juges qui affirment, quant à eux, qu'ils décident en leur âme et conscience, loin de toute pression ou injonction… Les délibérations, s'il y a lieu, se déroulent en vase clos, loin des clameurs des manifestants que ne démobilisent ni le verdict, pour eux connu d'avance, ni les longues journées d'attente. Contraste saisissant mais non moins routinier que celui des cambistes du square Port-Saïd. Touristes d'un jour, des passants éternisent une pose sur le front de mer du boulevard Zighoud-Youcef, face au port d'Alger. Le noyau dur des familles de détenus reprend en boucle les slogans chers au Hirak. Et comme un écho qui résonne au loin : «A bas la répression, vive la liberté d'expression.» Brahim Taouchichet