De toutes les réactions internationales ayant suivi l'annonce officielle de la victoire de Abdelmadjid Tebboune, celle d'Emmanuel Macron a particulièrement retenu l'attention. Le Président français utilise un ton sec pour transmettre un message contenant des propos à la limite des règles de bienséance, habituellement usitées en diplomatie. Abla Chérif - (Alger) Le Soir - Emmanuel Macron est le premier Président européen à réagir. Il le fait lors d'une conférence de presse qui se tient à l'issue d'un Conseil européen à Bruxelles. Aux journalistes qui l'interrogent, il répond : «J'ai pris note de l'annonce officielle que M. Tebboune a remporté l'élection présidentielle en Algérie dès le premier tour», déclare-t-il. Avant d'ajouter : «Je souhaite simplement que les aspirations exprimées par le peuple algérien trouvent une réponse dans le dialogue qui doit s'ouvrir entre les autorités et la population. Il appartient aux Algériens d'en trouver les voies et moyens dans le cadre d'un véritable dialogue démocratique et je leur dis, avec respect et amitié, que dans ce moment crucial de leur histoire, la France se tient à leurs côtés.» La réaction surprend. Les journalistes qui assistent à la conférence de presse animée par le nouveau Président algérien s'emparent naturellement du sujet. Il a refusé de polémiquer avec le Président français mais ne s'est pas empêché de renvoyer la pareille. «Le Président français, dit-il, est libre de faire la promotion de sa marchandise dans son propre pays, moi j'ai été élu par le peuple algérien et je ne reconnais que le peuple algérien.» Démarcation officielle des positions adoptées par ses prédécesseurs, davantage enclins aux déclarations d'amitié basées sur une histoire commune, ou simple réponse rendue nécessaire par la conjoncture dans laquelle Abdelmadjid Tebboune est annoncé nouveau chef d'Etat ? Durant la campagne électorale, Tebboune, alors candidat, est cependant le seul à avoir réagi publiquement à des déclarations faites par le ministre français des Affaires étrangères. Il en a fait même l'un des sujets porteurs de sa campagne. Dans une interview accordée à une chaîne de télévision étrangère, il a accusé Jean-Yves Le Drian de «s'immiscer dans les affaires internes de l'Algérie». Le MAE français avait souhaité voir l'Algérie s'engager dans une transition. «Je suis algérien comme ces 45 millions d'Algériens qui n'acceptent pas qu'un Etat s'immisce dans nos affaires internes, rétorque le candidat. Ne donnez pas votre avis (…) Nous sommes un pays indépendant, nous ne sommes pas un Etat soumis ou placé sous votre protectorat. Si vous me respectez, je vous respecte et vice versa.» Il révèle à ce moment son intention de demander à «la France de reconnaître ses crimes en Algérie», s'il venait à être élu président de la République. Cette réaction est sa seconde déclaration hostile à la France. Dans un entretien accordé à la chaîne de télévision El-Bilad, il s'en était également pris de manière sévère à Jean-Yves Le Drian, soulignant que le «peuple algérien ne veut pas de cette période de transition». «Oui la France s'ingère, a-t-il ajouté, avant de modérer ses propos : «Je ne dis pas la France officielle, mais leur ministre des Affaires étrangères qui veut nous imposer sa vision, en appelant à une période de transition.» Tension ? Propos de campagne électorale ou nouvelle approche des relations algéro-françaises ? Les connaisseurs du dossier affirment avoir vu venir cette «nouvelle phase dans les relations entre les deux pays. Une phase qui n'en est qu'à ses débuts mais découle d'une logique qui s'est progressivement mise en place tout au long de ces derniers mois, et même plus loin encore. A la fin de son règne, Bouteflika a laissé derrière lui l'image d'un pays à genoux, presque humilié. La population qui s'est soulevée pour retrouver sa dignité était et demeure à fleur de peau, pour tout ce qui touche à l'ingérence. Abdelmadjid Tebboune arrive à un moment très sensible, il est dans une position très délicate et ne l'ignore pas. Ses propos ont été certes utilisés en période électorale, ce qui est de bonne guerre, mais ils sont basés sur des sentiments véridiques et en adéquation totale avec la position des autorités. Les Français sont inquiets, c'est une situation normale. Mais en diplomatie, il y a une règle bien connue : les propos tenus ne reflètent jamais l'entière vérité de ce que l'on pense», analyse un ancien diplomate. A. C.