L'opinion algérienne est manifestement en attente de mesures d'apaisement en provenance du nouveau président de la République. Le sort des détenus d'opinion est au cœur de ces attentes. Abdelmadjid Tebboune n'est pas seulement le nouveau chef d'Etat élu, il incarne également aujourd'hui l'image de l'homme pouvant mettre fin au lourd dossier de ces dizaines de personnes arrêtées depuis le 22 février pour leur opinion, ou pour avoir pris part aux manifestations hebdomadaires en faveur du changement. Alors candidat, Tebboune n'a pas inscrit le sujet sensible dans ses discours électoralistes. Quelques heures après la confirmation de sa victoire au scrutin du 12 décembre dernier, il lance une phrase probablement lourde de sens à des journalistes qui soulèvent la question de ces détenus. Une dépêche de l'APS, agence gouvernementale, reprend immédiatement mot pour mot sa réponse : «La grâce présidentielle ne touchera pas les personnes impliquées dans les affaires de corruption», déclare le nouveau Président. Il ne va pas plus loin dans les explications, mais sa phrase sous-entend, peut-être, plus, à en croire les interprétations qui en ont été faites. Sur les réseaux sociaux, les internautes formulent très explicitement leur espoir de voir le calvaire des jeunes étudiants, pères de famille ordinaires, activistes, militants des droits de l'Homme, ancien moudjahid ou figures du Hirak prendre fin. Tous se disent dans l'attente d'un geste, d'une décision. Proches des familles des détenus et des réseaux de solidarité qui se sont mis en place autour des concernés, les avocats formulent, eux aussi, le même souhait. Me Mecheri explique : «Toutes les personnes avec lesquelles je discute, qu'elles soient proches ou pas des familles des détenus ou des prisonniers eux-mêmes, estiment que le premier pas que devrait faire le nouveau président de la République est en direction des prisonniers. Nous attendons et espérons qu'il le fasse. Ce sera non seulement une manière de mettre fin à la souffrance de toutes ces personnes injustement incarcérées, mais aussi et surtout une façon d'instaurer une confiance nécessaire aux démarches qu'il entreprendra. Abdelmadjid Tebboune a lancé une offre de dialogue au Hirak, pensez-vous sincèrement qu'elle puisse se concrétiser sans cette mesure d'apaisement ? L'Algérie nouvelle qu'il veut construire ne peut se faire que sur des bases assainies, de la confiance.» Me Mecheri poursuit : «Comment peut-on continuer à maintenir en prison un ancien moudjahid qui n'a fait qu'exprimer son opinion, un Karim Tabbou pour ses déclarations en faveur du changement, des jeunes sortis crier leur envie d'une Algérie nouvelle ?». Durant la conversation, l'avocat a tenu à souligner que son client, le général Benhadid, vient de subir une troisième opération, et que son seul tort est d'avoir dit tout haut ce qu'il pensait de la situation. Tous les avis convergent également vers une seule conclusion : le président de la République est en mesure de dépasser très facilement toutes difficultés de procédures qui pourraient se poser en ce qui concerne les détenus qui n'ont pas encore été condamnés définitivement. Me Miloud Brahimi explique : «La plupart des détenus n'ont pas été condamnées de manière définitive, mais dans la situation présente, ce sont des procédures techniques, le Président peut prendre des décisions, il s'agit de mesures d'apaisement, et il peut donc instruire son équipe gouvernementale, le Premier ministre et le ministre de la Justice afin que ces procédures soient hâtées pour qu'il puisse agir. Nous attendons avec impatience et grand espoir que ces décisions soient prises, il est incompréhensible que toutes ces personnes soient maintenues en prison. Nous attendons un signe fort de sa part car ce dossier renvoie une image négative tant au plan interne qu'extérieur.» Me Miloud Brahimi poursuit : «Je tiens à souligner également une chose importante. Pour avoir été membre du gouvernement durant de longues années, Tebboune a une idée précise des personnes qui sont également incarcérées dans le cadre de la lutte anti-corruption. Il connaît les profils et sait donc qui est innocent et qui ne l'est pas.» Les partis politiques dans l'opposition sont eux aussi dans l'attente de ces mesures d'apaisement. Au cours de cette semaine, le FFS a publié un communiqué qui se voulait une réponse à l'offre de dialogue lancée par Abdelmadjid Tebboune. Le FFS a ainsi réclamé la libération de tous les détenus d'opinion dans ce qu'il désigne comme étant les «règles et conditions» à mettre en place pour la mise en place d'un véritable dialogue. Le même esprit règne au sein du Parti des travailleurs (PT) et du comité mis en place pour la libération de Louisa Hanoune. «Quel que soit l'objectif du nouveau Président, il ne pourra se faire sans la libération des détenus d'opinion, et Louisa Hanoune en est une.» Durant son procès, ses avocats ont tenu à démontrer qu'elle ne s'insérait pas dans l'affaire pour laquelle elle a été condamnée à quinze ans de prison et ont insisté sur le fait qu'aucune preuve n'a été apportée à son encontre. Le procès en appel de Louisa Hanoune devrait être programmé dans les jours à venir. A. C.