C'est depuis ce dimanche que onze chefs d'Etat et de gouvernement ont pris leurs quartiers dans la capitale allemande, Berlin, pour un sommet historique sur la crise libyenne, dont le Président Abdelmadjid Tebboune. Il a déjà rencontré Tayyip Erdogan, le Président turc. Avant d'embarquer pour l'Allemagne, ce dernier a donné un avant-goût de ce qu'il compte défendre fermement comme position de son pays, laissant entendre qu'il s'opposera à toute décision qui portera préjudice à son allié-protégé, Fayez El-Serraj, y compris dans le cas d'éventuelles élections. S'il était difficile de réunir à la même table Fayez El-Serraj et Khalifa Haftar, leur présence même dans des pièces séparées de la chancellerie est déjà un succès, estiment les officiels allemands. Selon un projet de communiqué final préparé en amont de la conférence, il s'agit de mettre fin aux ingérences étrangères, multiples en Libye, obtenir un engagement sur le respect de l'embargo sur les livraisons d'armes , un appel à un arrêt total et durable des hostilités qui doit être lancé. De même que l'éventuel envoi sur place d'une force internationale est discuté. D'ailleurs, un appel à un arrêt total et durable des hostilités sur le terrain doit également être lancé, tandis que le débat sur l'éventuel envoi sur place d'une force internationale pour en vérifier la réalité gagne du terrain. A ce propos, l'émissaire de l'Onu pour la Libye, Ghassan Salamé, a indiqué que la conférence de Berlin devrait mettre en place un comité international de soutien qui se réunira régulièrement pour suivre les avancées dans le dossier libyen par les pays participant au sommet de Berlin. C'est la paix qui mobilisera tous les efforts grâce à un processus crédible et la fin des ingérences étrangères. L'on insiste à cet égard sur le rôle du tandem Russie-Turquie dans la désescalade militaire. Rappelons, ici, les pays participants parce qu'ils déterminent les résultats de la conférence. Il s'agit, outre l'Allemagne, pays organisateur, de l'Algérie, l'Egypte, les Emirats arabes unis, la Chine, les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la Turquie, la France, l'Union européenne, la Ligue arabe, l'Italie et, bien évidemment, les deux parties en conflit, Fayez El-Serraj et Khalifa Haftar. Citer les participants à cette rencontre, c'est aussi revenir sur l'absence d'autres Etats concernés par la guerre qui se déroule à leurs frontières et qui menace d'impacter grandement tout le pays. Sans que les omissions décriées (le Qatar non invité) constituent une pierre d'achoppement au congrès de Berlin, la controverse provoquée par exemple par l'invitation tardive de la Tunisie (que Kaïs Saïed a déclinée), a suscité un certain malaise chez certaines délégations, la plus nette étant celle du chef du Gouvernement d'union nationale de Tripoli qui n'a pas manqué de déclarer ,à partir de Berlin ,que ces deux pays sont « indispensables », car ils pourraient soutenir les pourparlers de paix et l'instauration de la sécurité et la stabilité en Libye ». Soit dit en passant ,que des contentieux à caractère bilatéral posent problème dans les relations germano-tunisiennes. Mais cela ne devrait nullement s'inviter dans le cas de la conférence de Berlin. Sur un autre registre, le Qatar ne peut faire oublier son implication aux côtés du rival de Haftar et surtout son rôle dans la chute de Maâmar El Gueddafi, pays à partir duquel le prêcheur El Qaradaoui a appelé publiquement au meurtre du guide libyen, à la consternation générale. Pour autant, il est tout aussi vrai que la Tunisie ne peut être éloignée de la recherche de la paix à sa frontière. D'ailleurs, la classe politique tunisienne se dit écœurée par l'absence de la Tunisie à la conférence de Berlin ,qui peut être aussi une opportunité de rompre l'isolement diplomatique de la Tunisie. C'est le point de vue que défend le président du parti El Mechrou3 Mohsen Merzouk, quand d'autres personnalités politiques clouent au pilori le chef du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, pour sa proximité avec le chef de l'Etat turc. Bien que loin du théâtre des opérations, le Maroc, non invité, crie au scandale de crime de lèse-majesté, camouflant la coordination avec la France, la veille du sommet, par un dialogue direct Macron-Mohammed VI. D'autre part, le Makhzen sait bien que le Sommet de Berlin enterre définitivement l'accord de Skhirat du 17 janvier 2015, du fait même de son jeu trouble dans l'affaire libyenne. Il ne manquera, d'ailleurs, pas d'accuser publiquement le président de Tripoli et l'Allemagne qui n'est motivée que par ses propres intérêts. Voire. Bien que le point central inscrit à l'ordre du jour de cette rencontre internationale soit la mise en œuvre d'un cessez-le-feu effectif et durable, des indiscrétions parlent d'une esquisse de communiqué qui préconise l'arrêt des attaques armées contre les installations pétrolières, et dont l'unique et légitime opérateur serait la société libyenne NOC pour toutes les opérations de commercialisation du pétrole. On imagine mal comment faire lâcher prise au maréchal qui contrôle 80% des installations hydrocarbures du pays, et dont il tire sa force pour sa guerre de conquête de Tripoli. La trêve introduite par le fragile cessez-le-feu permettra-t-elle de faire baisser un tant soit peu la tension et les passions exacerbées ? Les Berlinois d'un jour devront déployer des trésors d'imagination pour mettre d'accord les deux protagonistes. Mais rien n'est moins sûr, sachant le déséquilibre dans le rapport de force entre les deux belligérants, d'où les appels à l'aide répétés de Fayez El-Serraj, d'où l'intervention militaire de la Turquie en mode pause pour l'heure. Khalifa Haftar, quant à lui, exige la dissolution des milices de Tripoli, autrement dit qu'on lui remette les clefs de la capitale libyenne, synonyme du contrôle total du pays, son objectif de toujours. Ce sera très difficile de lui faire signer un quelconque document l'engageant dans la sortie de crise. Versatile, il l'a déjà prouvé à Rome (Italie) en refusant de rencontrer El-Serraj récemment, et quittant brusquement Moscou pour ne pas parapher le cessez-le-feu, qu'il a fini par accepter, tactiquement, la veille de la conférence de Berlin. En bonne Samaritaine, Angela Merkel parviendra-t-elle à imposer la paix ou du moins un processus de réconciliation entre les frères ennemis ? De quels poids seront son crédit et ses soutiens auprès des pays amis, pour ne pas faire de la paix que partie remise ? Elle pourra croiser les doigts… Ce qui paraît comme évident en tout cas est qu'aucune solution militaire n'est possible. Au pire, elle ne fera qu'exacerber un conflit fratricide derrière lequel se tiennent embusqués des intérêts à peine quantifiables aux yeux du profane. C'est cette situation inextricable qui attise les convoitises et les ingérences de toute sorte… La paix n'aura pas encore dit son dernier mot ! Brahim Taouchichet