Cette visite du ministre des Affaires étrangères français intervient au lendemain de la conférence de Berlin sur la crise libyenne. Au menu, les relations politiques et économiques entre la France et l'Algérie et leur activation depuis l'élection de Abdelmadjid Tebboune, président de la République. Ce sera également l'occasion de confronter les points de vue sur la guerre civile en Libye et la recherche des voies et moyens d'y mettre fin. La photo de famille traditionnelle des participants à la conférence de Berlin sur la crise libyenne veut démontrer, si besoin est, l'unanimité, voire la volonté des pays directement ou indirectement concernés par le conflit de parvenir à une solution dont l'interface est la paix. Mais, entre satisfaction béate et optimisme forcé, les résultats de ce sommet exceptionnel voulu par Angela Merkel, la chancelière allemande, laissent un goût d'inachevé. Pis, l'espoir de voir la fin des affrontements armés dans ce pays déchiré par la guerre civile, malgré la trêve annoncée, est repoussé à une date indéfinie. Hier encore, l'on a signalé des tirs dans la banlieue de la capitale Tripoli. Cela est symptomatique de la précarité d'un cessez-le-feu du 12 janvier dernier, hypothétique, paraphé par la seule partie Fayez El-Serraj et résolument ignoré par Khalifa Haftar. Beaucoup de promesses néanmoins et qui demandent à être suivies d'actes sur le terrain pour ne pas être des vœux pieux, au grand dam des Libyens. Abdelmadjid Tebboune, qui a eu à prendre la mesure des motivations des uns et des autres dans la conférence, a toutes les raisons de se sentir conforté dans la vision de l'Algérie quant aux voies et moyens de mettre fin à cette guerre fratricide. Comme prévu, il l'a réitérée devant les grands de ce monde en terre européenne. Sans fioriture, le chef de l'Etat a appelé les belligérants au dialogue que l'Algérie se propose d'accueillir. « Nous sommes appelés à arrêter une feuille de route claire et contraignante pour les parties, visant à stabiliser la trêve, à stopper l'approvisionnement des parties en armes afin d'éloigner le spectre de la guerre dans la région.» L'Algérie réussira-t-elle là où la conférence de Berlin s'apparente à un coup d'épée dans l'eau ? En effet, ni Rome, ni Moscou ne sont arrivées à faire asseoir les deux frères ennemis à la même table de négociations que conclurait une poignée de mains prometteuse. Sa position non partisane est en soi un atout pour inspirer confiance dans les deux camps. Ainsi que l'a révélé Abdelmadjid Tebboune, il s'agira de mettre sur pied un gouvernement d'entente nationale tablant, pour cela, sur des efforts loin des feux de la rampe. Ce type d'initiative que propose Alger n'est pas inédit au regard des démarches antérieures dans les cycles de dialogues entrepris dès 2015 et stoppés par l'accord de Skhirat en décembre 2016, accord lui-même rendu caduc par la conférence de Berlin. Mais faire « monsieur bons offices » exige, pour aboutir à des résultats probants durables, c'est-t-dire à moyen terme, de transformer la trêve en cessez-le-feu permanent accepté par les deux parties en conflit. C'est là un challenge terrible mais pas irréaliste si toutefois l'Algérie peut compter sur les appuis désintéressés des pays arabes et sortir la Ligue arabe de sa torpeur légendaire. Le récent ballet diplomatique qui a vu converger vers Alger plusieurs émissaires, outre El Serraj, le Premier ministre italien, les ministres turc et égyptien des Affaires étrangères, n'est pas près de s'achever. Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian est attendu aujourd'hui, il sera certainement reçu par le chef de l'Etat. Il est, par ailleurs, question de la visite, dans les prochains jours, de Recep Tayyip Erdogan, le Président turc. Pour que cessent les interférences en faveur d'une partie ou de l'autre, les fréquents déplacements à Alger de Fayez El-Serraj constituent un avantage qui gagnera plus en crédibilité avec la disponibilité souhaitée et encourageante de Khalifa Haftar dont la dernière visite en Algérie remonte à 2018, accompagné d'une forte délégation. Récemment encore, une délégation de haut niveau a été dépêchée à Alger, avec au menu divers dossiers allant de l'économique au sécuritaire. Il est évident qu'une solution de paix dans le cadre arabe fera grincer des dents chez les tenants d'un règlement européen. Et, visiblement, les derniers développements incitent plutôt à la plus grande des prudences. « Les luttes d'influences régionales et internationales, la multiplicité d'agendas contradictoires jouent en faveur d'un statu quo », a déclaré devant ses pairs Abdelmadjid Tebboune. C'est pourquoi, pour certains observateurs, la rencontre internationale de Berlin est un coup d'épée dans l'eau. Mais pour les invités de Berlin, c'est un pas en avant pour le règlement de la crise à travers une feuille de route, satisfaction exprimée, il est vrai, du bout des lèvres sans doute par égard à l'illustre hôte allemande. Que tous admettent l'évidence d'une solution politique à la guerre civile libyenne, encore faut-il s'engager sans calcul ni hypocrisie. Remettre au goût du jour l'embargo sur les ventes d'armes décidé par l'Onu depuis 2011, l'arrêt des activités des mercenaires. Qui peut garantir alors une telle résolution ? Le secrétaire général de l'Onu et son émissaire en Libye se disent horrifiés par ce commerce de la mort ! Quel rôle alors pour la Russie et la Turquie, devenus les maîtres à jouer dans la région du Maghreb ? Entre un maréchal qui ne recule devant rien et déterminé à en découdre afin d'arriver à ses fins et un chef de Gouvernement d'union nationale reconnu, il est vital que soit instaurée la confiance. Fayez El-Serraj ne cesse de clamer sa bonne foi mais il complique l'équation, craignant au plus haut point l'entrée de son rival à Tripoli. Les recommandations de la Conférence de Berlin s'apparentent à de la pommade sur une blessure ouverte. C'est ce qui le pousse à réitérer ses appels à l'aide. Dans la dernière de ses sorties, il appelle à la mise en place d'une force d'interposition internationale sous l'égide de l'Onu. Comme écho à cette doléance, des pays comme la Grande-Bretagne et l'Italie se disent favorables en encouragent la mise en place d'un comité de supervision de cette force. Au demeurant, cette idée qui fait son chemin a déjà été suggérée par Ghassan Salamé, l'envoyé spécial onusien. A Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont pris note, indiquant, toutefois, que c'est là une initiative hâtive et qu'ils n'agiront que dans le cadre d'un mandat de l'Onu. Finalement, et sans verser dans le pessimisme, la Conférence de Berlin, a servi à quoi ? On est dans une situation de dangereux statu quo ! Brahim Taouchichet