Quoi d'étonnant qu'il y ait des islamistes de l'ex-FIS au sein du Hirak ? Ce qui serait anormal, c'est qu'il n'y en ait pas. Ce qui est nouveau, c'est qu'ils s'affichent, portrait d'Ali Benhadj bien en vue, non seulement à Alger mais aussi à Paris, place de la République. A la place de « l'islam est la solution », passé de mode, les islamistes mettent en avant « Etat civil et non militaire». En tout cas, après quelques tentatives pour imposer leur marque comme cette prière, le 22 mars rue Didouche à Alger, organisée par Fateh Hammadache et une dizaine d'islamistes, qui a tourné au fiasco car elle n'a pas entraîné les centaines de milliers de gens qui manifestaient dans une prière collective, ou encore celles, à l'occasion du Ramadhan, où ils ont tenté de s'assujettir le Hirak, les islamistes, qui ont pris le train en marche du 22 février, ont préféré se la jouer « islamo-compatibles ». Mais sans pour autant renoncer à leurs fondamentaux. En tout cas, on est en train d'assister à une sorte de banalisation de la présence islamiste au sein du Hirak. Et certains courants démocrates, qui jouent la carte du politico-religieux correct, ont contribué, de bonne foi, à les remettre en selle. Certes, il ne s'agit pas de les ignorer, de les laisser sur le bord de la route ou de les interdire car le courant islamiste existe et il faudra compter avec lui. Mais de là à affirmer que l'on aurait pu éviter la décennie noire, les 20 ans de Bouteflika et ses dérives et le scrutin présidentiel du 12 décembre si l'armée n'avait pas privé l'ex-FIS de sa victoire électorale, afin de gagner la sympathie d'Ali Benhadj et de ses amis, cela me laisse perplexe. Ali Benhadj ? On nous dit qu'il a changé et que lui aussi est devenu islamo-démocrate compatible ! Il s'exprime une à deux fois par semaine sur Youtube. Adoptant une posture de vieux sage, Benhadj tient un discours policé, faisant siennes les revendications du Hirak, réservant ses coups à la seule « Issaba » (bande au pouvoir) mais c'est à peine s'il prononce le mot de démocratie ou de libertés démocratiques. Dans la forme, ce n'est plus le Ali Benhadj d'il y a trente ans, l'homme qui fustigeait la démocratie de kofr, qui menaçait de mort journalistes et intellectuels (les écrits existent), quand il n'appelait pas le GIA – lettre à l'émir du GIA Chérif Gousmi en mai 1994 – à poursuivre le « djihad » pendant que lui, Benhadj, négociait avec le pouvoir. Et s'il impute aux seuls militaires la décennie noire, lui, Ali Benhadj, ne s'en sent nullement responsable ! Et pourquoi le serait-il puisque certains démocrates l'ont dédouané quand ils ne disent pas tout haut que la place de l'ex-général Mohamed Mediène serait devant le TPI ! Et tous ces ex-émirs de l'ex-GIA et de l'ex-AIS, responsables de crimes innommables et qu'ils ont publiquement revendiqués, faut-il les décorer pour faits de résistance ? Puisqu'on nous dit que l'ex-numéro deux de l'ex-FIS a une vision « moderne » de la Constitution, est-il pour le droit à la citoyenneté où chacun peut vivre et assumer son droit à la différence, sans avoir à subir à tout instant un contrôle d'identité ethnico-religieux ? S'est-il prononcé pour l'abolition du code de la famille qui fait de la femme une mineure à vie ? Est-ce trop lui demander que de répondre à ces questions ? Ne soyons pas dupes. Certes, les islamistes ne prônent plus la violence, mais ils n'ont pas fondamentalement changé. Les plus radicaux rêvent toujours d'un régime islamique sur le modèle rétrograde des pays du Golfe, et les « modérés » d'un Etat islamo-nationaliste autoritaire sur le modèle turc, mais sans la laïcité. Dès lors, rassembler tout le monde autour d'un projet esquissant les grandes lignes d'un changement de système, à savoir un régime démocratique où le politique doit primer sur le militaire mais aussi sur le religieux, pourquoi pas ? Mais, ce n'est pas en se moulant dans le politico-religieux correct, en s'asseyant une fois de plus sur les droits des femmes, pensant ainsi gagner la masse des croyants qui, elle, est loin d'être dupe du jeu des uns et des autres, que l'on avancera. Le Hirak est demandeur d'Etat de droit, de démocratie, de libertés sans exclusive, à savoir d'un régime politique qui n'a jamais existé et qui reste à inventer. Le Hirak n'est pas demandeur d'un compromis boiteux qui fermerait la porte aux champs du possible, porteurs de citoyenneté et de progrès social, des termes qui ne figurent pas dans les éléments de langage des islamistes ou des islamo-nationalistes et conservateurs. H. Z.