Le procès en appel du dossier automobile s'avère bien plus riche en révélations qu'il ne l'a été en première instance. Les ministres et hommes d'affaires rejugés depuis dimanche ont opté pour une stratégie de défense très différente de celle qu'ils avaient adoptée en décembre dernier, accusant la présidence de la République d'être à l'origine de toutes décisions qu'ils disent n'avoir fait qu'appliquer. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - C'est ce qu'ont fait Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia ce dimanche, jour d'ouverture du procès, en renvoyant directement la balle à Abdelaziz Bouteflika qui, bien qu'étant malade, demeurait informé de tout ce qui se faisait grâce à son frère conseiller. Sellal est même allé plus loin en demandant indirectement la convocation de l'ancien chef d'Etat mais en revenant aussi sur la phase tumultueuse traversée par Abdelmadjid Tebboune durant le règne Bouteflika tout en imputant l'emprisonnement de son fils, Khaled, à une revanche du clan présidentiel. Tout comme les deux anciens chefs de gouvernement, les ministres de l'Industrie qui comparaissent dans le cadre de cette affaire s'étaient abstenus de toute allusion à la présidence de la République, mais il en a été autrement hier. Mahdjoub Bedda : «j'étais ministre de l'Industrie sous Tebboune» Lors de son audition, Mahdjoub Bedda a accentué la charge contre Bouteflika en accusant directement la présidence d'avoir exercé des pressions après le renvoi de treize cadres du ministère de l'Industrie. Bedda s'est défendu en révélant les deux raisons essentielles qui ont conduit à son éviction (nommé en mai 2017, il a été limogé trois mois plus tard, en août de la même année). Selon lui, la première est liée à ses critiques publiques des dossiers SDK-CDK, et le renvoi de treize cadres du ministère de l'Industrie et des Mines. Mahdjoub Bedda : «J'ai occupé la fonction de ministre de l'Industrie durant une courte période et ce n'était pas durant la période de Ouyahia et Sellal (Abdelmadjid Tebboune occupait alors la fonction de Premier ministre (…) j'ai critiqué ouvertement le dossier du montage automobile et ma fin a été pitoyable, je n'ai occupé ce poste que deux mois et demi puisque j'ai été chassé en 2017. J'étais étranger au ministère, je ne connaissais aucun cadre, ma première mesure a été de renvoyer 13 cadres, mais la présidence a très vite réagi en me demandant de les réintégrer. Hebba, conseiller auprès de la présidence de la République, m'a appelé et demandé d'annuler ma décision. Je lui ai répondu que c'était impossible et que je pouvais présenter ma démission s'ils insistaient. J'ai été ensuite convoqué à la présidence mais j'ai refusé de me présenter (…) Je ne suis pas un corrompu, je suis une victime (…) Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai constaté qu'une anarchie totale régnait au sein du ministère de l'Industrie, j'ai tenté de mettre de l'ordre, on m'a renvoyé, mon départ a eu lieu à la même période que Tebboune.» A une question du procureur sur ses avoirs personnels, il répond encore : «J'avais un seul compte, déclaré, il contenait 400 millions, l'argent de mon salaire qui était de soixante-dix millions.» Durant son audition, Mahdjoub Bedda a nié aussi avoir octroyé un quelconque avantage à l'homme d'affaires Mazouz, puis fond en larmes. Ahmed Mazouz confirme avoir reçu 24 milliards de Kamel El Bouchi Ahmed Mazouz, président du groupe du même nom, a également nié toutes les accusations portées à son encontre durant son audition. Le procureur de la République l'accule : «Votre dossier était vide, mais vous avez quand même obtenu un agrément (…) vous faisiez du commerce, vous étiez sans expérience et vous avez obtenu des avantages.» Le mis en cause tente se défendre comme il peut : «Je suis dans le métier depuis un grand nombre d'années.» Mazouz est ensuite interrogé au sujet du financement de la campagne de Bouteflika. Comme durant le premier procès, il confirme avoir contribué avec 39 millions de DA. «Des hommes d'affaires m'ont contacté pour me dire que Ali Haddad était chargé de collecter de l'argent qui allait servir au financement de la campagne pour le cinquième mandat de Bouteflika et que lui-même avait remis 180 millions. J'ai contribué pour que mon usine soit alimentée en gaz et électricité dont elle était privée depuis trois ans. Cette situation était due aux Kouninef. Je me suis plaint à Ali Haddad, il m'a dit : contribue à la campagne on t'aidera. Je n'ai rencontré Haddad que deux fois dans ma vie et je n'ai jamais rencontré les Kouninef que j'ai vus pour la première fois en prison. J'estimais qu'il était légal de contribuer au financement de cette campagne, je suis un homme honnête, je payais mes impôts qui ont atteint 130 millions une fois. (…) Après le 22 février, j'ai cependant demandé la restitution de l'argent que j'avais remis à Haddad et j'ai déposé plainte.» Le procureur pose une question qui contient une révélation : « Dans vos transactions, on a noté que vous avez versé 24 milliards à Kamel El-Bouchi.» Mazouz répond : «Il est vrai que j'ai aidé des amis, y a-t-il du mal à cela ?» Farès Sellal : «je n'ai exercé de pression sur personne» Le fils de l'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal a été lui aussi auditionné hier. Poursuivi pour pressions exercées sur des fonctionnaires en exercice, il a nié tous les faits qui lui ont été reprochés : «J'ai commis une erreur, celle d'avoir pris les onze milliards qui m'ont été remis par la société de Baïri, mais c'était parce que j'avais cédé mes actions.» Farès Sellal était actionnaire dans la société IVAL appartenant à l'homme d'affaires Baïri également poursuivi dans ce dossier et condamné à trois ans de prison en première instance. Abdelghani Zaâlane : «les hommes d'affaires ont versé l'argent avant mon arrivée» L'ancien ministre des Travaux publics a été à nouveau interrogé au sujet du financement occulte de la campagne pour le cinquième mandat. Il est poursuivi en sa qualité d'ancien directeur de campagne de Bouteflika. Ses réponses au juge : «Saïd Bouteflika m'a demandé de diriger la campagne du Président. J'ai pris mes fonctions le 5 mars et j'ai quitté le 11 mars. Je n'ai jamais ouvert un compte en mon nom ni pris attache avec les hommes d'affaires qui ont financé cette campagne (…) L'argent a été versé au mois de février.» A. C.