Ouyahia et Sellal avaient triste mine hier. Epaules courbées, tête baissée, on percevait en eux comme une envie de s'affaisser davantage dans les bancs des accusés, mais la raideur des sièges les en empêchait. A leurs côtés, d'anciens membres du gouvernement qu'ils conduisaient, des hommes d'affaires qu'ils ont longtemps fréquentés écoutent, effarés, les peines requises par le ministère public. Il est représenté par le procureur général d'abord chargé de récapituler tous les faits qui se sont produits depuis lundi dernier. Le discours qu'il tient en préambule est extrêmement sévère. De Premiers ministres, ministres et hommes d'affaires craints et respectés, ces hommes passent au statut de «prévenus sans éducation, sans principes et sans morale», jugés pour ce que le procureur qualifie de «crimes». Ses mots sont durs : «Il y a quelques années, nous entendions dire que l'argent sale avait fait irruption dans le monde de la politique, nous avions également entendu dire que des responsables d'un haut niveau étaient corrompus, mais à cette époque, ceux-là mêmes qui se trouvent ici poursuivis tenaient des discours complètements contraires à leurs agissements, ils parlaient de principes, ils sont les premiers à les avoir enfreints (…) ces personnes se sont révélées être sans principes, elles se sont révélées être sans éducation car elles ont plongé le peuple dans la pauvreté et ont grandement contribué à fragiliser l'économie du pays.» Il évoque ensuite les hommes d'affaires : «Sous couvert de projets d'investissements économiques, ces personnes ont agi pour obtenir des avantages en prétextant qu'elles allaient contribuer à l'essor économique, au montage automobile, mais elles n'ont agi que pour leurs intérêts. Qui peut s'acheter une voiture aujourd'hui ?» Avant de passer au récapitulatif, il lance : «Ce procès est aussi un exemple pour tous ceux qui occuperont de hauts postes de responsabilité à l'avenir.» S'ensuit un récapitulatif des dégâts occasionnés par les prévenus poursuivis. Abdeslam Bouchouareb : l'argent qu'il a blanchi s'élève à 23 milliards de DA «Une commission technique a été créée pour étudier tous les dossiers des opérateurs économiques désireux de postuler pour des projets économiques. L'enquête menée a démontré que des cadres qui opéraient au sein de cette même commission ne se préoccupaient pas d'étudier ces dossiers ou de vérifier leur conformité, mais agissaient pour le compte de Bouchouareb. Cet ancien ministre actuellement en fuite a écarté des dossiers afin de préviligier certains hommes d'affaires, comme Arbaoui, auxquels ont été octroyés 14 projets, car cela servait ses intérêts.» Le procureur révèle alors que le déficit induit par les avantages octroyés à ces hommes d'affaires était de 1500 milliards de DA ! «Ce sont des deniers publics dissipés», martèle-t-il. Il révèle également le montant de deux crédits bancaires accordés en 2017 à l'ancien ministre de l'Industrie : «10 milliards lui ont été accordés par la Gulf Bank et 13 milliards par une autre banque. Où sont passées ces sommes, c'est du blanchiment d'argent ?» Avant de clôturer, il rappelle que dans un témoignage livré samedi devant la cour, Omar Rebrab a affirmé qu'une villa d'un montant de soixante milliards, située à Hydra, avait été offerte à Bouchouareb par un homme d'affaires. Ahmed Ouyahia : «il a transféré 30 milliards de centimes sur les comptes de son épouse et de son fils à l'étranger» «Il a offert de grands avantages aux hommes d'affaires en entravant les lois et faisant entorse au code d'investissement réservé aux étrangers (…) il a avantagé Ahmed Mazouz en lui permettant de prendre des projets sans qu'il associe des partenaires étrangers comme stipulé par les textes qui régissent ce volet. Ouyahia a établi une liste d'opérateurs fermée sans fournir les raisons de son choix. Ces hommes d'affaires sont-ils les seuls opérateurs dans le pays ? N'existe-t-il pas d'autres personnes capables d'investir ?» Il rappelle que les avantages accordés à Mazouz ont provoqué un déficit de 77 milliards de DA. Le procureur poursuit : «Son fils et son épouse avaient des biens matériels qui n'ont jamais été déclarés. Il possédait, quant à lui, trois comptes contenant un argent dont l'origine n'a jamais été justifiée. Il énumère les montants contenus dans chacun des comptes non déclarés : 33 milliards de DA, 24 millions de centimes et 15 millions de centimes. Même durant l'instruction, Ouyahia n'a jamais été en mesure de dire d'où provient cet argent. Il a transféré 30 milliards de centimes à son épouse et son fils qui possèdent des comptes à l'étranger. Il voulait les dissimuler.» Abdelmalek Sellal : il a induit un déficit de 150 millions de DA au Trésor public Les avantages accordés à plusieurs hommes d'affaires, «parmi lesquels Eulmi et Tahkout dont les dossiers sont en instruction dans d'autres affaires, cela a provoqué un déficit de 150 millions de DA au Trésor public. Il possédait une Land Rover non déclarée. Il possédait des comptes ouverts pour la campagne électorale de 2019 (la présidentielle) sur lesquels deux hommes d'affaires ont versé des sommes importantes : Benhamadi 5 milliards de DA et Mazouz 39 milliards.» Durant toute la séance, Sellal gardait la tête baissée entre les mains. Youcef Yousfi : un déficit de 500 milliards de centimes «Il a octroyé d'énormes avantages aux hommes d'affaires, n'a pas travaillé dans la transparence. De nombreuses irrégularités ont été signalées en 2018 par l'Inspection générale des impôts.» Le déficit induit par ses agissements s'élève à 500 milliards de centimes. Mahdjoub Bedda possédait deux entreprises non déclarées Les avantages donnés aux hommes d'affaires, dont Eulmi (Sovac) et Tahkout, «sont énormes». Ceux accordés à Arbaoui s'élèvent, à eux seuls, à 8 milliards de DA. Il possédait également des comptes et des biens immobiliers non déclarés. Mahdjoub Bedda n'a également pas déclaré posséder deux entreprises spécialisées dans l'importation, le déficit est de 50 milliards de centimes. Il a agi pour que Mohamed Baïri bénéficie d'un terrain agricole. Abdelghani Zaâlane : «les hommes d'affaires lui ont remis de grosses sommes d'argent» Pour la campagne électorale de 2019, des hommes d'affaires lui ont remis de grosses sommes d'argent. Arbaoui lui a donné 20 millions de centimes. «Certains diront que Bouteflika n'était pas un parti politique et que ces prévenus ne peuvent donc être sanctionnés par la loi sur les associations, mais celle-ci englobe toutes les activités partisanes et celle concernant la préparation d'élections en fait partie. Le procureur passe ensuite aux hommes d'affaires. Voici les principales nouvelles informations apportées. Arbaoui : un déficit de 100 000 milliards de centimes Arbaoui est présenté comme étant une personne «sans expérience, un vendeur de voitures qui s'est retrouvé doté de projets d'investissements. Les avantages dont il a bénéficié ont induit des déficits s'élevant à 100 000 milliards de centimes». Mohamed Baïri (groupe Ival) : «il versait aussi de l'argent sur un compte utilisé par Kamel El Bouchi» Après un récapitulatif de tous les faits pour lesquels ce dernier se trouve poursuivi, le procureur annonce que «16 milliards de DA ont été versés sur des comptes appartenant à des sociétés n'ayant jamais activé et sur lesquels Kamel Chikhi, dit Kamel El Bouchi, avait également versé de l'argent. Farès Sellal, fils de l'ancien Premier ministre : Baïri lui a remis 11 milliards de DA «Il était sans expérience, mais a usé du nom de son père et de son influence. Il a intégré la société de Baïri sans mettre un sous, mais à son départ, l'homme d'affaires lui a remis 11 milliards de DA.» Les peines requises Voici les peines requises hier par le procureur de la République à l'encontre des anciens hauts responsables et hommes d'affaires jugés dans le dossier automobile : 20 ans de prison pour Ouyahia, Sellal, Abdeslam Bouchouareb. 15 ans de prison à l'encontre des deux anciens ministres de l'Industrie : Youcef Yousfi et Mahdjoub Bedda. 10 ans de prison ont été requis à l'encontre de Ahmed Mazouz, Mohamed Baïri, Hacène Larbaoui, Aboud Achour et Nemroud Abdelkader, Ali Haddad, un ancien cadre du FCE Hadj Malek Saïd, Abdelghani Zaâlane, et Nouria Zerhouni, ancienne wali de Boumerdès. 8 ans de prison ont été, enfin, requis à l'encontre de Farès Sellal, trois de ses co-accusés, et trois anciens cadres du ministère de l'Industrie. Abla Chérif