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C'est le grand déballage
Procès de l'affaire de l'automobile
Publié dans Le Soir d'Algérie le 07 - 12 - 2019


Le différend Ouyahia-Yousfi étalé au grand jour
Il y avait beaucoup à voir et entendre ce jeudi à Sidi-M'hamed, au second jour du procès de l'automobile. Ouyahia et Yousfi ont révélé leurs différends au grand jour, Sellal a supplié le juge de croire en son innocence, les hommes d'affaires n'ont eu aucune pitié les uns envers les autres, et ils se sont livrés à des révélations sur les sommes incroyables délivrées par certains d'entre eux pour la campagne de Bouteflika… Le grand déballage a réellement eu lieu.
Ouyahia est parmi les premiers prévenus à être interrogé. L'ancien chef de gouvernement a beaucoup d'assurance. La veille, premier jour du procès, il avait failli perdre l'équilibre en s'approchant de la barre, mais a refusé de se faire amener une chaise comme le lui proposait le juge. Il voulait visiblement renvoyer l'image d'un homme digne, capable de se défendre sans être assisté par ses avocats. Des robes noires l'entouraient pourtant jeudi. Parmi les anciennes hautes personnalités concernées par ce procès, certaines ont, en effet, préféré demander l'assistance d'autres avocats pour remplacer ceux qui avaient décidé de boycotter la séance. Ces derniers interviennent, cependant, très peu durant l'audition de leurs clients. Après une mise en place rapide, le juge entame une série de questions. Comme la veille, elles sont toutes en rapport avec les décisions prises dans le cadre de l'octroi de marchés aux constructeurs automobiles. La prolongation du décret qui a joué en faveur des hommes d'affaires revient souvent : «Pourquoi avez-vous décidé de prolonger le décret, pour favoriser les hommes d'affaires ?» Ouyahia ne mâche pas ses mots : «Pour ne pas qu'on tourne autour du sujet, pour éviter que je répète à chaque fois la même chose, je vous redis que c'est la première fois que nous avions décidé de prolonger un décret, et comme je vous l'ai déjà dit hier, le gouvernement actuel a agi également de la même manière en octobre dernier, pour permettre à des personnes d'avoir le temps de décharger des containers.»
«Yousfi ne voulait pas de Mazouz»
Au fil des réponses, Ouyahia laisse progressivement entrevoir le grave différend qui l'opposait à Youcef Yousfi, ex-ministre de l'Industrie. «Il y avait une liste de quarante opérateurs, et Yousfi voulait l'élargir, j'ai dit non.» Le juge revient sur le refus d'accréditer un opérateur turc. «Pourquoi avez-vous refusé qu'un opérateur étranger soit autorisé à travailler, alors que le décret se basait sur des lois portant sur les modalités qui concernent des étrangers ?» Réponse : «J'ai donné mon avis.» «Vous avez donc influencé la décision de l'ancien ministre puisque vous étiez chef de gouvernement.» Ouyahia : «Non». Le juge : «Pourquoi avez-vous accepté de travailler avec ces hommes d'affaires ? Pour leur accorder des avantages ? Pourquoi avez accrédité Mazouz ?» Réponse : «La liste ne s'est pas établie sur la base des cartes d'identité, nous avons travaillé avec des entreprises. Je n'ai pas favorisé Mazouz, tous les dossiers venaient de l'ANDI (…) Nous avions des différends Yousfi et moi sur certains dossiers.» Le juge : «Vous aviez des différends avec Yousfi ?» Ouyahia : «Yousfi a refusé le dossier Mazouz, moi je l'ai accepté.»
Yousfi est appelé à la barre : «Oui, il y avait un différend entre Ouyahia et moi sur le dossier Mazouz. Ouyahia m'a adressé une lettre pour me demander d'exonérer Mazouz. J'ai émis des réserves.» L'ancien ministre de l'Industrie développe : «Les décisions venaient de la commission technique du ministère de l'Industrie (…) L'entrée en lice des étrangers était nécessaire, car nous visions l'exportation (…) Aucun dossier ne m'est parvenu pour signature, mais le décret imposant le partenariat avec des étrangers a été prolongé jusqu'en 2019 (trois ans) pour Mazouz.»
Le juge appelle Mohamed Allouane, ancien membre de la commission technique, en qualité de témoin. La question émane du procureur : «Ce qu'ont fait Ouyahia et Yousfi était-il légal ?» Il répond : «Le dossier Mazouz n'est pas passé devant la commission technique. Nous avons aussi émis des réserves sur la manière dont étaient traités les dossiers automobiles.» La question s'adresse à Ouyahia : «Pourquoi n'avez-vous pas pris en compte ces réserves ?» L'ancien chef de gouvernement répond : «J'ignorais ce qui se passait au ministère de l'Industrie.» Ahmed Mazouz est appelé à la barre…
Abla Chérif
Sellal nie tous les faits qui lui sont reprochés
L'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal a été lui aussi de nouveau interrogé ce jeudi par le juge. A voix basse, presque sereine, celui-ci s'est limité à nier tous les faits qui lui ont été reprochés. Les mêmes que ceux qui ont été énumérés la veille, premier jour du procès. Les interrogations portaient essentiellement sur les avantages octroyés aux hommes d'affaires dans l'automobile. «Soyez assuré, Monsieur le juge, que je n'ai à aucun moment accordé de privilèges aux opérateurs, ni agi dans ce sens. Je vous jure devant Dieu que c'est la stricte vérité.»
A. C.

Ahmed Mazouz :
«J'ai donné 39 milliards pour la campagne de Bouteflika»
Ahmed Mazouz, propriétaire du groupe du même nom, s'est livré à des révélations fracassantes au sujet du financement de la campagne électorale de Abdelaziz Bouteflika. Au juge qui l'interroge sur la somme qu'il a remise, il répond : «J'ai remis 39 milliards pour cette campagne.» «A qui avez-vous remis cette somme ?» lui est-il encore demandé. Mazouz hésite, mais réagit lorsque le juge lui dit : «Vous pouvez le dire, de toute façon le responsable est connu, il est là dans la salle avec les autres prévenus.» Tous les regards se tournent vers Sellal. L'homme d'affaires répond alors : «Baïri est venu me voir pour me demander de contribuer au financement de la campagne pour la présidentielle. Il m'a dit que je devais le faire car Haddad avait déjà versé 180 milliards (…) je me suis alors rendu au FCE pour rencontrer Haddad et j'ai remis une sacoche comportant 39 milliards (…) je ne suis pas un homme de loi, je n'y connais rien et on ne m'a jamais dit que c'était interdit. Lorsque j'ai demandé des explications, on ne m'en a pas donné.» Mazouz est ensuite interrogé au sujet de ses biens personnels : «Combien y a-t-il dans ton compte?» L'homme d'affaires répond : «492 milliards. Cet argent provient de mon travail.» «Pourquoi as-tu transféré de l'argent à l'étranger ?» «Ce n'était pas pour le faire fuir. J'envoyais de l'argent à mon épouse pour les soins de ma fille.» Le juge : «Vous possédez de nombreuses maisons, des voitures. D'où proviennent tous ces biens ?» Lorsque Mazouz hésite, le juge menace : «Si tu ne justifies pas l'origine de tes biens j'ordonne leur saisie immédiatement.» Le prévenu répond : «C'est le fruit de mon travail et j'ai travaillé très dur.» S'agissant du dossier automobile, il dira, par ailleurs : «Mon dossier a été exclu en 2016, j'ai introduit un recours puis j'ai été accepté en 2018 grâce à la liste établie par Abdelaziz Bouteflika. J'étais le seul à faire du montage automobile depuis longtemps, je suis dans le métier depuis 1991.» Le juge lui demande : «Vous avez été accepté sur la base de la loi relative à l'investissement étranger.» Mazouz tente une réponse détournée : «Nous achetons des véhicules à moitié montés en provenance de l'étranger. Tous les produits sont contrôlés par des étrangers. Aucun véhicule n'est mis sur le marché s'il n'est pas contrôlé, ils veillent jusqu'au dernier moment à ce que tout soit conforme. Ils sont soucieux de la réputation de la marque et des produits qui la portent.» Le juge : «Vous aviez des contacts avec Youcef Yousfi ?» Réponse : «Je n'ai rencontré Yousfi que lors de la visite qu'il a effectuée sur mon site.»
A. C.
Hacène Arbaoui
Une villa à 60 milliards à Hydra
Hassan Arbaoui, propriétaire de l'usine de montage automobile de marque KIA, et l'ancien ministre de l'Industrie Mahdjoub Bedda sont les deux derniers prévenus à avoir été entendus ce jeudi au tribunal de Sidi-M'hamed. Des questions identiques à celles posées aux hommes d'affaires qui ont précédé ont été à nouveau adressées à Arbaoui qui répond : «Je n'ai reçu aucun avantage. J'ai déposé mon dossier en 2016 et j'avais jusqu'en 2018 pour intégrer des étrangers car le décret avait été prolongé.» Le juge le coupe : «Sur combien portait le projet KIA ?» Réponse : «13 000 milliards.» Il poursuit : «Vous avez une villa à Hydra d'une valeur de 60 milliards et un terrain à Annaba. D'où provient tout cet argent ?» Réponse : «Je n'ai pas de terrain à Annaba. Quant aux 60 milliards, ils proviennent d'un crédit octroyé par la Gulf Bank Algeria.» Arbaoui a, en outre, nié connaître Abdeslam Bouchouareb et Youcef Yousfi.
Le juge s'adresse ensuite à Mahdjoub Bedda. «Les avantages que vous avez octroyés à Arbaoui ont induit un déficit de 29 milliards.» L'ancien ministre de l'Industrie répond : «Tous les dossiers me parvenaient prêts, ficelés. Je devais uniquement les signer.»
A. C.
Baïri, Nouria Zerhouni et le lot de terrain agricole
Assis au box des accusés, Mohamed Baïri n'a laissé transparaître aucune réaction lorsque l'homme d'affaires Ahmed Mazouz l'a cité comme étant celui qui l'avait incité à financer la campagne présidentielle de Bouteflika. Appelé à la barre, il a, cependant, tenté de se défendre comme il le pouvait, pour se justifier face aux questions du juge.
Les questions de ce dernier concernent les avantages dont il a bénéficié au nom de son groupe Ival, mais aussi un lot de terrain agricole déclassifié et obtenu de manière illégale. Nouria Zerhouni, ex-wali de Boumerdès, est appelée à la barre. Elle doit justifier cet octroi à l'homme d'affaires. Baïri se défend : «Je n'ai jamais rendu visite à la wali de Boumerdès. Il fallait un terrain pour la construction de mes sites. Mes partenaires italiens ont refusé celui de Sidi-Moussa car il ne convenait pas à nos activités. Les ingénieurs également l'ont refusé, car il ne s'adaptait pas à ce que nous voulions faire. Lorsque j'ai obtenu un terrain dans la wilaya de Boumerdès, j'ignorais totalement qu'il s'agissait d'un terrain agricole. C'était à eux de me le dire car je n'y connais rien là-dedans.»
S'ensuit une série de questions-réponses entre Nouria Zerhouni et l'ex-directrice de l'industrie. Les deux femmes se renvoient la balle. Nouria Zerhouni : «Le dossier m'a été remis par l'ex-directrice de l'industrie. Tout a été déjà fait. je n'ai rien signé (…) Le terrain a été déclassifié avant ma prise de fonction, c'est le wali précédent qui l'a fait (…) Baïri a été informé de cette situation.» L'ancienne directrice de l'industrie au niveau de la wilaya de Boumerdès : «Je n'étais pas en poste au moment où les faits principaux se sont produits. Il y avait 100 dossiers, celui de Baïri était complet. C'est la wali qui a signé. Le dossier venait du ministère.»
A. C.

Le fils Tebboune auditionné pour blanchiment d'argent
Une étrange coïncidence a voulu que le fils Tebboune soit auditionné, ce jeudi, au tribunal de Sidi-M'hamed où se trouvaient concentrés un grand nombre de journalistes venus couvrir le second jour du procès dans lequel sont impliqués Ouyahia et Sellal.
La rumeur de l'arrivée du fils du candidat à la présidentielle a très vite couru au sein du tribunal qui n'était, affirmaient les avocats, pas opérationnel pour les autres affaires en cours, en raison de l'importance du procès qui s'y déroulait. Khaled Tebboune et trois autres prévenus poursuivis dans la même affaire ont été auditionnés par le procureur adjoint au procureur de la République. Contactés, les avocats des concernés ont affirmé n'avoir pas été informés de cette comparution, concernant également un ex-président de l'APC de Ben Aknoun et le fils de l'ancien wali de Relizane. Sur place, nul n'était en mesure de fournir davantage de détails sur cette comparution, hormis le fait qu'il s'agissait d'une poursuite de l'instruction au sujet des faits qui leur sont reprochés : blanchiment d'argent. Khaled Tebboune avait été incarcéré dans l'affaire de la cocaïne, il y a plus d'un mois.
Tous les indices portaient à croire que son procès allait être organisé avant la fin du mois d'octobre, mais une bataille de procédure inattendue a provoqué son renvoi.
Le ministère public, représenté en la personne du procureur de la République, avait demandé à ce que les faits pour lesquels sont poursuivis les prévenus soient requalifiés et traités par la chambre criminelle, alors que le juge insistait pour que le dossier soit traité dans les affaires pénales. Le conflit a été porté devant la chambre d'accusation, qui a décidé de le renvoyer à la Cour suprême, qui doit trancher définitivement.
A. C.


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