Entretien réalisé par Salima Akkouche En plus du stress et de la peur liés à l'épidémie de Covid -19, les Algériens vivent une situation inédite avec les mesures de confinement auxquelles ils doivent s'adapter. Une situation qui ne serait pas sans conséquence et qui nécessite un accompagnement psychologique pour en minimiser l'impact. Le ministère de la Santé a envoyé, cette semaine, une note aux directeurs de la santé de wilayas leur demandant de mobiliser le personnel de santé mentale (psychologues et psychiatres), «pour accompagner les patients atteints ou suspectés de Covid-19, ainsi que leurs proches, la population hospitalière et la population en général». Comment les psychologues sont-ils impliqués dans la prise en charge des citoyens ? Entretien avec Khaled Keddad, président du Syndicat national des psychologues. Le Soir d'Algérie : En pleine crise sanitaire, les psychologues sont plus que jamais sollicités, comment accéder à un soutien psychologique ? Khaled Keddad : Ils faut dire que les psychologues algériens possèdent une grande expérience en matière de traditions d'intervention dans les situations extraordinaires et extrêmes (les inondations de Bab-el-Oued, le tremblement de terre de Boumerdès, la prise en charge psychologique des victimes de la tragédie nationale, les crashs d'avions), mais dans la situation actuelle et devant la propagation rapide du virus corona (Covid-19) et sa contamination, nos réflexes d'intervention ont été bouleversés et nous a conduits à adapter notre dispositif habituel à cette nouvelle situation, qui nécessite, avant tout, d'assurer une protection maximale de toutes les équipes intervenantes qui sont sur le terrain. Donc, face à cette situation, nous avons proposé à notre ministère de tutelle d'intégrer les psychologues de santé publique dans le dispositif d'intervention déjà mis en place, en focalisant nos efforts sur trois niveaux d'intervention. Premier niveau : il consiste à assurer une écoute et soutien psychologiques à toute la population par le biais du Numéro Vert 3030 et tous les autres moyens de télécommunications. Deuxième niveau : c'est d'assurer un accompagnement psychologique à nos citoyens rapatriés et qui sont mis en confinement et aussi les malades qui sont en confinement médical au niveau des hôpitaux. Troisième niveau : c'est d'assurer un soutien psychologique aux équipes médicales et paramédicales intervenantes afin de prévenir des situations d'épuisement et de stress extrême. Mais malgré cela, le ministère tarde toujours à adopter nos propositions, peut-être qu'il considère comme toujours qu'elles ne constituent pas une priorité dans cette étape. La mesure de confinement a-t-elle augmenté le besoin de solliciter un psychologue ? Oui, bien sûr, nous avons constaté un besoin important de la part de nos patients qui nous appellent régulièrement par téléphone et, dans ce cadre, il faut dire qu'au début, les gens avaient besoin de l'information médicale pour connaître tous les signes cliniques de cette maladie, maintenant, ils veulent avoir de l'information psychologique pour savoir comment gérer leurs angoisses devant cette propagation du virus et face à la situation de confinement qui a bouleversé plusieurs familles et chamboulé leurs habitudes. Les gens ont très peur et sont quotidiennement angoissés, ils ne sont pas vraiment rassurés, et cette situation fait ressortir plusieurs questions qui restent sans réponses surtout par rapport à la durée du confinement. Comment venez-vous en aide aux personnes vulnérables ? A travers l'écoute et le soutien psychologiques par téléphone et tout autre moyen de télécommunications et également par le biais des réseaux sociaux. D'ailleurs, beaucoup de psychologues ont publié des vidéos sur les réseaux sociaux pour toucher le plus large possible de la population. Le choix de cette manière d'intervenir est dû au fait que cette crise sanitaire a fait que les gens ne se déplacent plus vers les hôpitaux et les centres de santé à cause de la peur d'être contaminés et ils veulent créer des liens virtuels pour communiquer puisque le lien habituel est suspendu. Existe-t-il des cellules de crise psychologiques au sein des hôpitaux pour venir en aide au personnel de santé ? Le ministère de la Santé, à travers sa Direction générale de la prévention et de la promotion de la santé, a publié son plan de préparation et de riposte à la menace à l'infection coronavirus Covid-19. Ce qui est étonnant dans ce plan, c'est l'absence totale de toutes mesures qui assurent l'accompagnement psychologique relatif à cette crise sanitaire. Le document contient 114 pages et il n'existe pas un mot sur la prise en charge de la dimension psychologique des malades et leurs familles. Pas un mot sur le soutien psychologique des équipes intervenantes face à la pression, le stress et toutes les émotions qui y sont associées. Pas un mot sur le soutien psychologique des citoyens durant le confinement, et pas un mot sur les recommandations de l'OMS en matière de santé mentale et considérations psychosociales en temps de pandémie Covid-19. D'ailleurs, même au niveau du Numéro Vert 3030 qui est installé dans 48 wilayas, la majorité des DSP tardent à intégrer les psychologues dans ce dispositif. Et la plupart des psychologues interviennent avec leurs téléphones portables personnels. Et même le courrier adressé récemment par la Direction générale de la prévention et la promotion de la santé du MSPRH portant sur l'accompagnement psychologique relatif à la crise sanitaire actuelle est venu très en retard. Mais malgré cela, les psychologues de santé publique continuent à assumer leurs devoirs et à apporter, par tous les moyens disponibles, les secours psychologiques nécessaires à la population pour assurer un temps de parole à la population et aux malades afin de verbaliser et donner un sens à ce qui arrive. Existe-t-il des personnes plus vulnérables que d'autres et qui doivent consulter ? Bien sûr, notamment les enfants autistes qui sont coincés et bloqués dans leurs maisons et la détresse de leurs parents qui n'arrivent même pas à les gérer en temps ordinaire, de même que les malades mentaux qui n'ont pas une représentation claire sur ce qui se passe à cause de leurs maladies mentales et peuvent constituer un foyer de transmission du virus puisqu'ils ne peuvent assurer une propreté et des mesures de protection personnelle. Il y a également les malades qui souffrent de troubles obsessionnels compulsifs, les enfants qui peuvent développer des troubles de comportement. On peut aussi constater une montée des conflits conjugaux qui peuvent être provoqués par le confinement et enfin les malades qui souffrent de maladies chroniques et ceux qui sont atteints du cancer avec toutes les conséquences psychologiques de ces pathologies lourdes. À quel moment devrions-nous consulter un psychologue durant cette période ? Y a-t-il des signes qui doivent nous alerter ? Comme les personnes atteintes au Covid-19 ne peuvent aller vers l'hôpital sauf s'il y a une détresse respiratoire importante, la même logique pourra être opérée sur les situations psychologiques extrêmes notamment les attaques de panique, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) qui peuvent être provoqués par la peur d'être contaminé par le virus, et tous les troubles psychologiques qui peuvent se manifester dans ce genre de situations et qui dépassent les moyens de défense habituels de notre appareil psychique. Et n'oublions pas surtout les gens qui ont perdu des proches à cause de cette maladie et qui ont besoin d'un soutien psychologique adéquat. S. A.