Le ministère du Commerce a appelé, samedi 4 avril 2020, dans un communiqué, les commerçants à déclarer tous leurs entrepôts et leurs stocks dans le cadre de la lutte contre le commerce illicite et le monopole. Si l'opération était réellement lancée, ce serait du jamais vu : un véritable coup de pied dans la fourmilière de la spéculation et du marché noir… «Au terme de la réunion tenue le 30 mars 2020 avec les représentants des grossistes des produits alimentaires et dans le cadre de la lutte contre les commerçants illégaux et le monopole, il a été convenu de l'obligation de déclarer tous les entrepôts et leurs stocks», précise la même source. Cette déclaration doit être adressée, indique la même source, à la Direction du commerce du territoire de compétence afin de permettre aux services de contrôle et de sécurité de faire la part entre commerçants intègres et spéculateurs. Par ailleurs, les directeurs de wilaya ont été instruits d'engager, en coordination avec les services du Centre national du registre du commerce (CNRC) et sous la supervision des walis, les procédures de radiation définitive de tout commerçant impliqué dans la spéculation et le monopole des produits», conclut le communiqué. Les grossistes tenus à une «licence provisoire» Le ministère du Commerce a facilité aux grossistes des produits alimentaires l'obtention d'une «licence provisoire» leur permettant d'exercer leurs activités sans être soumis aux procédures de contrôle et de saisie de leurs stocks et dépôts «non encore déclarés», a indiqué à l'APS le ministre du Commerce, Kamel Rezig. Face à la propagation de la pandémie du nouveau coronavirus et la suspension de l'activité de plusieurs notaires et huissiers de justice, il suffira aux grossistes de formuler une demande portant déclaration de tous les locaux utilisés pour le stockage de leurs marchandises, jointe à une photocopie du registre du commerce, pour obtenir des services du commerce au niveau des différentes wilayas «une licence provisoire» attestant la propriété des locaux en attendant le parachèvement des procédures juridiques en vigueur, une fois la situation revenue à la normale, a-t-il affirmé. Le ministre a précisé, dans ce sens, que plusieurs commerçants «intègres» qui n'avaient pas finalisé les procédures légales de déclaration de leurs dépôts supplémentaires ont subi les mesures de contrôle, voire de saisie par les agents de commerce et les services de la Gendarmerie nationale. Ces saisies, a-t-il expliqué, «sont intervenues dans le cadre d'une opération d'envergure lancée par le secteur du commerce et les services de sécurité pour lutter contre la spéculation, la fraude et le monopole par «des pseudo-commerçants», et qui a donné lieu à la constatation de beaucoup de contraventions. Cependant, a-t-il admis, «il existe parmi ces contrevenants des commerçants honnêtes qui possèdent des dépôts et des locaux qu'ils n'avaient malheureusement pas déclarés», rappelant que la procédure légale exige du commerçant de gros la fourniture des copies de l'acte de location ou de propriété et du document attestant la qualité de commerçant, délivré par un huissier de justice et des documents de contrôle fournis par l'administration du commerce. «Faire la distinction entre spéculateurs et commerçants honnêtes» Pour le ministre, les actions opérées par les services du secteur en collaboration avec les services de sécurité «sont 100% légales, en ce sens que les grossistes n'avaient pas protégé leurs activités à travers la déclaration, d'où la difficulté de faire la distinction entre spéculateurs et commerçants honnêtes». Le ministère du Commerce a souligné encore que la licence provisoire évitera au commerçant toute accusation de spéculation pour peu qu'il justifie son activité par un registre du commerce, affirmant, par ailleurs, que les décentes de contrôle et la lutte contre les spéculateurs se poursuivront. Les grossistes étant le maillon principal dans la chaîne d'approvisionnement, des mesures ont été prises en coordination avec les walis pour maintenir ouverts les marchés de gros des légumes et fruits de Boufarik, de Bougara (Blida), de Khemis El Khechna (Boumerdès), Attataba et les Eucalyptus (Alger) afin d'assurer l'approvisionnement des 10 wilayas du centre du pays, a précisé M. Rezig. A ce propos, le ministre a salué les efforts déployés par les walis et qui ont permis aux commerçants d'accomplir leur mission, ce qui a contribué à la stabilité des prix qui sont plus au moins «acceptables» aux marchés de gros et de détail après «la flambée» enregistrée. Opérations «inédites» ces 20 dernières années Le ministre du Commerce a indiqué que son secteur avait engagé la radiation des commerçants dont la culpabilité a été prouvée en matière de spéculation, monopole ou vente de produits périmés. Dans un entretien accordé à l'APS, le ministre a fait savoir que ces mesures interviennent en concrétisation des orientations contenues dans le communiqué du Haut- Conseil de sécurité, prévoyant la radiation de tout commerçant dont la spéculation, le monopole ou la commercialisation des produits périmés sont avérés. Il a précisé, dans ce sens, que les directeurs du commerce au niveau des wilayas ont été instruits du suivi de ces violations, sous la supervision des walis. Des mesures coercitives ont été prises, en coordination avec les autorités sécuritaires, contre les commerçants illégaux, les spéculateurs et ceux qui vendent des produits périmés, a-t-il ajouté faisant état de la saisie d'importantes quantités de marchandises dont la durée de validité a été dépassée. Estimant que c'est là des opérations «inédites» ces 20 dernières années, M. Rezig a précisé que son département a fait le choix de «la politique de la carotte avec les commerçants intègres et du bâton à l'égard des malhonnêtes». Il a ajouté que les produits saisis, lors des différentes opérations, ont été mis «à titre exceptionnel» à la disposition des walis en tant que réserves à partager aux nécessiteux au lieu de les orienter vers la direction des Domaines, comme le stipule la loi, soulignant la mise en place, dans chaque wilaya, d'une instance ayant pour mission la distribution des aides aux catégories nécessiteuses. «Le ministère du Commerce exerce les prérogatives qui lui sont attribuées et fixées par la loi, consistant en la régulation, la supervision et le suivi des offices et des entreprises publiques et privées», a soutenu le ministre battant en brèche les allégations d'un quelconque impact négatif sur les prix du fait de la lutte contre la spéculation et la fraude. Il a expliqué que les marchés ont été impactés durant les premières semaines de la propagation du coronavirus suite aux mesures limitant les rassemblements à travers la fermeture des grands espaces commerciaux, suscitant chez le citoyen une frénésie d'achats pour stocker. Selon le premier responsable du secteur, la forte demande sur les produits alimentaires, «beaucoup plus importante que les prévisions», et la multiplication des quantités consommées ont entraîné une rupture de stock en très peu de temps. Toutefois, le ministère a réussi, par une série de mesures, a-t-il assuré, à stabiliser les marchés, que ce soit pour les produits alimentaires ou les fruits et légumes, à travers les 48 wilayas. D'énormes marchandises non déclarées dans des dizaines de milliers de garages sur tout le territoire national Exhortant les citoyens à un changement de comportement de consommation, le ministre du Commerce a indiqué que la dernière période a enregistré la consommation de deux mois de produits alimentaires, en particulier le blé dur (semoule), ce qui a provoqué une stagnation de l'activité des boulangeries. Il a tenu à rassurer que les quantités de produits alimentaires disponibles en stock sont suffisantes pour un approvisionnement jusqu'au premier trimestre 2021. Evoquant les différents contacts avec les fournisseurs et les producteurs ayant permis au secteur de rétablir la stabilité du marché, notamment en ce qui concerne la semoule, le ministre a rappelé les mesures de vente directe par les minoteries aux citoyens afin de réduire la pression, après les instructions données aux 48 directeurs de wilaya et 8 directeurs régionaux, puis cette mesure a été annulée car ayant donnée lieu à d'importants regroupements de consommateurs, ce qui allait à l'encontre des mesures de distanciation dans le cadre de la prévention contre le coronavirus. Cette opération s'est répercutée sur les prix qui ont baissé à un niveau «raisonnable» après une flambée spectaculaire durant les premiers jours de cette crise sanitaire, a-t-il ajouté. En conclusion, le ministre a tenu à saluer les agents du commerce, qui travaillent sur le terrain en dépit des conditions sanitaires difficiles, pour leur contribution tout au long de la semaine à la stabilisation des marchés, en coordination avec les services de sécurité. Dans toutes les villes et villages d'Algérie, il existe des dizaines de milliers d'entrepôts clandestins, s'apparentant le plus souvent à d'énormes garages dans des quartiers d'habitation, à la façade anonyme, non déclarés auprès de l'administration du commerce, où sont stockées toutes sortes de marchandises — produits alimentaires non périssables notamment —, propriétés de grossistes-spéculateurs faisant la pluie et le beau temps en matière de prix et de disponibilité des produits les plus courants, grossistes disposant d'importants moyens de transportant et agissant de nuit, à l'abri des regards. Ces spéculateurs n'ont aucun scrupule à provoquer des pénuries pour faire exploser les prix et la demande, surtout dans des périodes propices à leurs activités criminelles, comme l'actuelle épidémie de coronavirus et l'approche du Ramadhan. Plus grave, il arrive souvent que ces «grossistes» écoulent de la marchandise périmée auprès des détaillants, avec les conséquences sanitaires que l'on devine, marchandises mal stockées ou stockées trop longtemps. Si jusqu'à maintenant, ces spéculateurs et ces gros commerçants véreux continuent d'agir en toute impunité, c'est qu'ils ont réussi à neutraliser les administrations et les institutions en charge de la lutte contre les activités commerciales illicites. Si les actes concrets suivaient les discours du ministre du Commerce, et de manière permanente, des résultats probants et durables pourraient être enregistrés contre les mafias du commerce illicite… S'assurer que les fonds qui devraient atténuer la crise sanitaire et soutenir les populations ne finissent par être volés et cachés au large Face à la pandémie de coronavirus qui continue de toucher presque tous les pays, il est urgent d'agir pour empêcher la perte de fonds d'urgence critiques en raison de la corruption. Pour cela, il y a nécessité d'inclure des garanties anti-corruption clés dans les plans de relance contre le coronavirus, les réformes proposées assureront, entre autres, que les contrats du gouvernement visent à lutter contre le virus et ne sont pas détournés par des acteurs corrompus, au pays ou à l'étranger. Des ONG et la société civile, un peu partout dans le monde, appellent à la vigilance et à des actions de veille : avec des ressources supplémentaires allouées pour lutter contre la pandémie, il faut s'assurer que les fonds qui devraient atténuer la crise et soutenir les communautés ne finissent pas par être volés et cachés au large. C'est précisément la raison pour laquelle ces ONG demandent également que la surveillance anti-blanchiment des banques soit plus solide, effectivement appliquée et cohérente. Que tous ceux qui portent des valeurs de transparence et d'éthique et qui partagent l'inquiétude que la crise sanitaire globale que nous traversons et celle, économique et tout aussi globale qui s'annonce, ne soient une occasion de reléguer ces valeurs au second plan ! Parce qu'en période de pénurie, il est à craindre un accaparement des produits de première nécessité, le risque accru de corruption doit nous tenir en alerte. Parce que le gouvernement s'apprête à mobiliser des soutiens financiers sans précédent, il est essentiel de veiller à leur juste attribution. Le gouvernement et les décideurs publics doivent entretenir l'exigence de transparence, d'intégrité et de redevabilité envers les citoyens. Dans ce contexte, ces valeurs ne sont pas un luxe mais des impératifs pour ne pas risquer un autre recul démocratique. Pour ce faire, les pouvoirs publics, pour veiller à ce que les mesures de relance économique, les procédures d'achat et d'aide publiques, les choix à venir en termes de politiques de santé publique, comme d'accès aux éventuels futurs traitements, qui vont préparer et accompagner la sortie de crise sanitaire, se fassent de manière transparente et éthique. Djilali Hadjadj